12.2.1.1.1.1.1.1.3 Audition de M. Michel GODET,
auteur
d'un article « Désindustrialisation ou
modernisation »
(mercredi 23 mars 2005)
M. Jean Arthuis, président , a rappelé le contexte dans lequel intervenait cette audition, indiquant que la commission avait décidé d'entendre, outre des industriels ou des syndicalistes, des universitaires et des chercheurs afin de mieux appréhender les phénomènes de mondialisation de l'économie et de nourrir sa réflexion sur la désindustrialisation, cherchant en particulier à savoir si les délocalisations ne masquaient pas des retards dans la modernisation et le management des entreprises. Il a rappelé que M. Michel Godet avait activement pris part à ce débat, qu'il avait obtenu au Sénat le Prix 2004 des lecteurs du livre d'économie pour son ouvrage « Le choc de 2006 » et qu'il venait de publier, dans la revue « Futuribles », une contribution intitulée « Désindustrialisation ou modernisation ? ».
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Michel Godet a tout d'abord indiqué qu'il ne se considérait que comme un « franc-tireur » sur le sujet des délocalisations et qu'il ne l'abordait qu'en réaction aux idées fausses qu'il jugeait en circulation. Il a souligné que ce thème faisait figure de mode récurrente, rappelant notamment son rapport de 1981 sur les défis industriels de l'Europe, rédigé dans le cadre de sa participation au projet communautaire « FAST » de prévision et d'évaluation technologique, dans lequel il préconisait la « sérénité » face à la croissance des pays de l'ASEAN, dans la mesure où ce développement engendrait des marchés solvables pour l'Europe. Il a ajouté que, d'une façon générale, la question des délocalisations constituait une « mauvaise question » et qu'elle jouait le rôle d'un « rideau de fumée ».
M. Michel Godet a alors exposé que l'angle d'approche pertinent, pour la France comme pour l'Europe, consistait à étudier non la mondialisation, qu'il a qualifiée de « bouc émissaire », mais à bien mesurer l'étendue de nos propres responsabilités. S'attachant à montrer que le problème de l'industrie tenait, aujourd'hui, à la situation de l'emploi, il a mis en parallèle le fait que certains pays européens, confrontés aux mêmes contraintes internationales que la France, mais ayant procédé aux réformes structurelles nécessaires, n'enregistraient un taux de chômage que de l'ordre de 4 %, et le fait que les dépenses publiques en France s'élevaient à 7 points de plus que la moyenne communautaire. Il a indiqué que les autres pays avaient réformé leurs administrations tout en améliorant l'efficacité de leurs services publics et a préconisé une intervention publique limitée aux seules carences du marché. Sur ce dernier point, il a cité les cas de la répartition des immigrés sur le territoire national et de l'orientation de l'immigration en termes de qualification professionnelle.
M. Michel Godet a ensuite rappelé qu'il défendait, depuis une vingtaine d'années, dans le sillage d'Alfred Sauvy, l'idée que le défi pour l'Europe, face aux Etats-Unis, ne relevait pas d'enjeux technologiques, mais démographiques, et a noté que des raisons historiques avaient longtemps empêché de percevoir cette situation. Il a cependant signalé la parution d'un tout récent Livre vert de la Commission européenne intitulé « Face aux changements démographiques, une nouvelle solidarité entre générations » et a relevé le lien qu'établissait ce document entre la natalité et la croissance économique. Il a repris cette analyse à son compte, précisant qu'il développait une démonstration similaire dans un rapport qu'il a indiqué être en train de rédiger, à la demande du Premier Ministre.
M. Michel Godet a ensuite fait remarquer que la notion de désindustrialisation ne mesurait que la baisse de l'emploi industriel dans l'ensemble de l'emploi total et qu'il s'agissait d'un signe de progrès pour les sociétés, à la condition que la valeur ajoutée dans l'industrie ne baissât pas. Il en a distingué la notion de délocalisation, et a rappelé les conclusions de travaux selon lesquelles l'implantation à l'étranger des entreprises françaises, nécessaire à leur conquête des marchés, engendrait un solde d'exportation net positif. Il a ajouté qu'une démonstration semblable avait pu être établie en termes de balance de l'emploi dans les pays de l'OCDE.
Il s'est ensuite attaché à exposer les raisons actuelles de la perte d'emplois industriels en France, après une légère augmentation (4 %) entre 1993 et 2001, et alors que d'autres pays européens, comme la Finlande ou l'Espagne, connaissaient une très importante croissance. Il a estimé que cette situation résultait de la conjugaison de trois facteurs, tenant respectivement à une croissance économique bridée par la démographie, à un coût du travail alourdi par les charges, et à un défaut d'incitation à travailler.
Sur l'aspect démographique, M. Michel Godet a délivré de nombreuses données chiffrées. Il a d'abord présenté une projection démographique décomptant 30 millions d'habitants en moins en Europe à l'horizon 2050, réserve faite des flux d'immigration à venir, dont le chiffre de 1,3 million d'immigrants en 2004, plus élevé que le nombre d'immigrés accueillis par les Etats-Unis, lui a laissé présager l'ampleur. Puis il a présenté des données établissant un lien entre la création d'emplois et une progression démographique dynamique. Il ainsi exposé qu'entre 1975 et 2000, alors que la population s'accroissait de 28 % aux Etats-Unis, l'emploi progressait de 57 %, que, dans le même temps, alors que la population des principaux pays européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) augmentait de 7 %, l'emploi augmentait de 12 %, et que, pour la France, ces taux s'établissaient respectivement à 12 % et 2,3 % et pour le Japon, à 13 % et 12 %. M. Michel Godet a ensuite fait état d'autres projections démographiques révélant une augmentation de la population des Etats-Unis, passant de 276 millions d'habitants en 2000 à 404 millions en 2050, alors que, sur la même période, la population de l'Europe des quinze diminuerait de 378 millions d'habitants à 350 millions, et celle du Japon de 127 millions à 101 millions. Il a commenté, ensuite, un graphique faisant apparaître une corrélation proportionnelle, sur le long terme, entre le recul démographique et celui de la croissance.
Sur un autre plan, M. Michel Godet a commenté un nouveau graphique montrant la sensibilité de la création d'emplois marchands au taux de croissance du PIB. Puis il a comparé les taux de croissance et les ratios PIB par tête dans la décennie 1980, la décennie 1990 et les années 2000-2003 aux Etats-Unis, au Japon, en Europe, en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. En premier lieu, il a souligné que, dans la décennie 1980 et la décennie 1990, le PIB total et le PIB par tête des Etats-Unis d'une part (respectivement 3,3 % et 2,3 % pour la décennie 1980, 3,3 % et 2 % pour la décennie 1990) et de l'Europe d'autre part (2,2 % et 2,1 % pour la décennie 1980, 2,4 % et 1,8 % pour la décennie 1990) n'étaient que faiblement éloignés, et que le ratio PIB par tête français (1,9 % dans la décennie 1980, 1,5 % dans la suivante) se situait en dessous de la moyenne européenne, de sorte que la France, dotée d'une meilleure démographie, se trouvait en dessous de son potentiel. Il a également relevé le meilleur ratio PIB par tête du Royaume-Uni (2,5 % dans la décennie 1980, 2,1 % dans la suivante) et la faiblesse de celui de l'Allemagne (2,2 % dans la décennie 1980, 1,6 % dans la suivante), qui s'expliquait par les contraintes de la réunification et une « démographie sclérosée ». Il a, en second lieu, fait observer que, dans la période 2000-2003, l'écart du PIB par tête entre les Etats-Unis (0,9 %) et l'Europe (1 %) restait modéré, mais que la dynamique démographique était moindre en Europe (avec un accroissement de 0,2 % de la population) qu'aux Etats-Unis (qui enregistraient un accroissement de 1 %), et que la France, si elle obtenait la même croissance que l'Europe (1,2 % d'augmentation du PIB), conservait un moins bon ratio PIB par tête (0,7 %, contre 1 % pour l'Europe) alors que, cependant, sa dynamique démographique était relativement meilleure (0,5 % d'accroissement de la population, contre 0,2 % pour l'Europe).
M. Michel Godet a alors affirmé que cette situation de la France en dessous de son potentiel était liée au « travail insuffisant » des Français. Il a mentionné que ces derniers travaillaient l'équivalent de 50 jours de moins que les Américains, soit en termes d'indices d'heures travaillées par habitant, si la valeur 100 était attribuée à la France, un indice 146 pour les Etats-Unis, 133 pour la Grande-Bretagne, 123 pour l'Espagne et 117 pour le Japon. Il en a conclu que les pays où le taux de chômage était le moins élevé correspondaient à ceux où la population active travaillait le plus d'heures et, soulignant que l'activité créait l'emploi, a prôné que celle-ci soit « libérée ». Il a ajouté que le taux d'emploi français était trop faible, à 64 %, contre 72 % pour les Etats-Unis, de même que la productivité nationale, dans la mesure où l'indice de la productivité corrigé du taux d'emploi étant en France affecté de la valeur 100, l'indice américain s'élevait à 137. Il a également livré le calcul suivant lequel, à productivité constante, si les Français travaillaient autant que les Américains, ils gagneraient 11.000 dollars (environ 8.000 euros) de plus par an et par habitant.
M. Michel Godet s'est, alors, attaché à détailler les trois facteurs qui, selon lui, expliquaient le marasme industriel en France : premièrement, la conjoncture démographique et économique globale, dans une période de croissance molle ou fluctuante en Europe, la demande étant saturée et imposant, de fait, aux entreprises une implantation à l'étranger ; deuxièmement, l'impact, sur l'économie, de la parité dollar/euro ; troisièmement, les exigences des grandes entreprises envers leurs sous-traitants, source de contraintes parfois insurmontables pour ces derniers, dès lors qu'elles se trouvaient cumulées à des contraintes de type réglementaire.
Il a rappelé que, sur les 2,6 millions d'entreprises françaises, 96 % étaient des entreprises de moins de vingt personnes. Indiquant qu'il travaillait actuellement à un rapport, commandé par la DATAR, relatif à l'impact du vieillissement de la population sur l'activité des PME et TPE, il a signalé que 60 % des chefs de ces entreprises arriveraient à l'âge de la retraite dans les dix prochaines années et, insistant sur la dimension humaine essentielle de la création d'activité, il s'est interrogé sur l'existence de candidatures à la reprise de ces activités, compte tenu de la charge de travail et de la lourdeur des exigences bureaucratiques associées. Présentant une carte des pôles de compétitivité français, il a indiqué que ce dispositif lui paraissait prometteur, et a encouragé au développement de l'existant.
M. Michel Godet a également plaidé pour un changement de management dans les entreprises en difficulté, et s'est déclaré en faveur d'un soutien prioritaire aux entreprises en « bonne santé », afin qu'elles puissent se développer davantage encore, estimant que le soutien aux entreprises en difficulté mobilisait des fonds qui pourraient servir « ailleurs » et, en définitive, « bridait » la croissance et le développement des autres. Il a d'ailleurs fait valoir que les entreprises françaises les plus compétitives à l'international étaient celles qui n'avaient jamais reçu d'aides.
Citant en exemple l'industrie du lait, il a incité à ne pas oublier la dimension innovante de nombreuses industries aujourd'hui. Il a également mis en exergue l'importance de la stratégie de positionnement des entreprises sur les marchés, en fonction de demandes existantes et celle des services attachés au produit vendu. Pour conclure, il s'est déclaré confiant, en notant que le développement durable était devenu une « excellente barrière non tarifaire » aux importations et que l'essentiel, pour les entreprises, était de s'assurer de l'existence de consommateurs solvables. Il a répété, enfin, que, selon lui, les délocalisations ne constituaient pas, en elles-mêmes, un problème.
M. Jean Arthuis, président , a remercié M. Michel Godet pour ces convictions fortes et leur expression « enthousiaste ». Un large débat s'est alors instauré.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a jugé que le langage tenu par M. Michel Godet méritait d'être écouté avec sérieux et s'est déclaré en sympathie avec nombre des thèses qu'il venait de défendre. Il l'a interrogé sur les « bonnes options » qu'il convenait, selon lui, d'adopter afin de faire décroître le taux de chômage structurel, tant du point de vue de l'offre que de celui de la demande de travail.
M. Michel Godet , en réponse, est revenu sur les trois facteurs qu'il estimait participer à la création d'emplois. En premier lieu, il a évoqué la croissance économique, soulignant ses perspectives faiblement dynamiques. A cet égard, il a d'abord réaffirmé ses préconisations en direction d'une immigration mieux choisie en termes de qualification professionnelle, soulignant les difficultés qu'éprouvaient actuellement certaines entreprises, dans les secteurs de la restauration et de l'hôtellerie notamment, à trouver de la main-d'oeuvre. Répondant à une question incidente de M. Philippe Marini, rapporteur général , il a indiqué être favorable à l'instauration de « quotas professionnels ». Puis, ayant fait valoir les fractures territoriales qui résultaient du départ massif de travailleurs immigrés hors d'Ile-de-France, et ayant exposé que les métiers en développement consisteraient, demain, dans les emplois du bâtiment et les services à la personne, parmi lesquels il a cité tout particulièrement l'assistance à domicile aux personnes âgées, il a insisté sur la nécessité de professionnaliser les flux migratoires afin de répondre à ces besoins. Dans cette perspective, il a plaidé pour une intégration de ces populations qui soit conforme au modèle républicain, et s'est exprimé en faveur de l'attribution d'aides, comme la fourniture de logements, de nature à éviter la formation de « ghettos ». Il a relevé, d'ailleurs, le coût que représenterait, pour la collectivité, une non-intégration. Il a ensuite appelé à un encouragement actif de la natalité, signalant le grand nombre de femmes obligées de « renoncer à une maternité » afin d'assumer leur vie professionnelle et indiquant que les femmes diplômées étaient sans enfant pour 40 % d'entre elles en Allemagne, pour 25 % d'entre elles en France, soit une proportion double par rapport aux femmes ouvrières. Il a regretté que les dépenses associées au régime des 35 heures n'aient pas été employées sous forme d'aides parentales.
En deuxième lieu, M. Michel Godet a évoqué le coût du travail, rappelant que, pour le marché du travail comme pour tout marché, une offre trop chère entraînait mécaniquement une demande moindre. Répondant à une question de M. Philippe Marini, rapporteur général , il s'est déclaré favorable aux réductions d'impôt associées à l'emploi à domicile, de même qu'à la prime pour l'emploi et, dans une certaine mesure, à l'expérimentation d'une « TVA sociale » dont la commission des finances défendait l'idée.
Sur ce dernier point, M. Jean Arthuis, président , évoquant le projet de directive dite « Bolkestein », a fait valoir que, dans un contexte d'allégement de charges sociales, le seul impôt pertinent serait, en effet, la TVA.
Revenant au coût du travail, M. Michel Godet a appelé de ses voeux une réforme structurelle qui passerait par la réduction du nombre de fonctionnaires en ne renouvelant pas tous les départs en retraite. Il a, en outre, souligné la nécessité de réformer les modes de formation et de fonctionnement de la haute fonction publique de l'Etat, en vue de faire passer les exigences managériales avant les seules préoccupations de carrière.
M. Michel Godet est, en troisième lieu, revenu sur l'incitation à travailler. Au plan macro-économique, il a d'abord fait observer qu'un seul aspect du modèle danois avait, jusqu'à présent, été retenu en France, qui consistait dans l'indemnisation satisfaisante des chômeurs, tandis qu'avait été négligée l'obligation, pour le chômeur, d'accepter l'emploi qui lui était proposé. Sur le plan micro-économique, il a fait état de l'initiative qu'il avait prise de créer un « Institut de chômeurs entreprenants », structure destinée à aider les « entreprises dynamiques » plutôt que les entreprises en difficulté et à développer de « petits projets en latence », qui, en particulier, en mettant à la disposition des chefs de petites entreprises une main-d'oeuvre compétente, permettait à ces derniers de répondre à l'ensemble de la demande. Il a estimé que la généralisation de ce type de démarches susciterait la création de dizaines de milliers d'emplois et a regretté que la réglementation en vigueur ne s'y prêtât pas, se félicitant néanmoins des initiatives qui fleurissaient en dépit des obstacles administratifs.
M. Paul Girod s'est ensuite exprimé pour réagir aux propos de M. Michel Godet concernant certaines clauses difficiles à satisfaire qui seraient imposées aux sous-traitants par leurs donneurs d'ordre. Il s'est interrogé sur l'existence de « phénomènes de mode intellectuelle » parmi les dirigeants économiques et sur les moyens de les combattre, le cas échéant.
M. Michel Godet , en réponse, a confirmé l'existence de tels phénomènes de mode et la nécessité de s'en méfier. Dialoguant avec M. Paul Girod , il a convenu que ces phénomènes pouvaient concerner, non pas seulement les thèmes de débats, mais aussi les méthodes de management.
M. Jean Arthuis, président , s'est demandé si la pratique des délocalisations relevait ainsi d'une mode. M. Paul Girod a précisé que la mode pourrait être, pour les entreprises françaises, de s'adresser systématiquement à des sous-traitants étrangers. M. Michel Godet a fait valoir l'existence de contre-exemples, citant le cas d'un repreneur qui, réimplantant son entreprise en France, avait simultanément « rapatrié » ses sous-traitants.
M. Eric Doligé s'est réjoui des propos positifs tenus par M. Michel Godet à propos des pôles de compétitivité, dont il a indiqué avoir regardé, d'abord, avec scepticisme, la mise en place dans son département, où existaient déjà des pôles d'excellence, pour finalement l'approuver. Il a souhaité que M. Michel Godet livre son sentiment sur l'avenir de ce dispositif. Il lui a, par ailleurs, demandé s'il partageait l'opinion de M. Jean-Louis Beffa, exposée lors de son audition par la commission, suivant laquelle l'industrie française serait pénalisée par le mauvais positionnement de ses produits.
M. Michel Godet a d'abord fait valoir que les pôles de compétitivité, en amenant des acteurs économiques à collaborer ensemble et à instaurer une synergie entre leurs potentiels, constituaient le signe d'une heureuse prise de conscience que « l'union faisait la force ». Il a répété l'importance du facteur humain dans la création d'activité et la nécessité de s'affranchir au maximum des pesanteurs administratives.
M. Eric Doligé a indiqué que la clé de la réussite des pôles de compétitivité, selon lui, touchait moins au montant des aides associées qu'au label ainsi délivré. M. Michel Godet a acquiescé à ce propos et a indiqué que les statistiques de la DATAR faisaient apparaître que les zones où se trouvaient implantés des pôles de compétitivité connaissaient une création d'emploi plus dynamique.
M. Michel Godet a ensuite relativisé les analyses de M. Jean-Louis Beffa, jugeant qu'elles n'avaient envisagé l'innovation que sous l'angle technique, alors qu'il estimait, pour sa part, qu'elle était également sociale, organisationnelle et financière. Il a cependant convenu que les propositions faites par leur auteur « valaient mieux » que la situation actuelle, marquée par une faible appétence des chercheurs pour la recherche appliquée aux besoins des entreprises. Il a souligné, par ailleurs, que l'ampleur de la dépense publique au bénéfice de la recherche comptait moins que son efficacité, relevant que la Grande-Bretagne ne consacrait que 1,8 point de PIB en recherche et développement. Il a indiqué que, dans l'industrie française, la recherche était spécialisée dans des secteurs technologiques de pointe, comme celui de l'aérospatiale, gros consommateurs de crédits en la matière, au détriment d'investissements dans des domaines scientifiquement moins valorisants mais économiquement rentables, qui pourraient bénéficier à de nombreuses PME. Il a cité, en exemple, la recherche agronomique.
M. Jean Arthuis, président , a relevé qu'après que certaines entreprises, dans les années cinquante, eurent délaissé l'industrie pour la distribution, certains industriels, aujourd'hui, prenaient directement en charge la distribution.
M. Michel Godet a souligné que les grandes entreprises françaises internationalisées n'avaient pas besoin d'aides de l'Etat pour développer leurs produits, alors que l'intervention publique était nécessaire afin d'aider les autres entreprises à s'implanter à l'étranger et à lutter contre les fractures territoriales et sociales.
Mme Nicole Bricq , déclarant ne pas vouloir revenir sur chacun des points de l'intervention de M. Michel Godet, mais soulignant son désaccord avec beaucoup de ses propos, a indiqué qu'elle partageait néanmoins quelques unes de ses « analyses à contre-courant » et qu'elle en avait jugé d'autres intéressantes bien qu'elle n'y souscrivît pas. Dans le cadre de ces dernières, elle a souligné que M. Michel Godet, d'une part, relativisait la dépense publique en recherche et développement et, d'autre part, évacuait le facteur production dans la création de la valeur ajoutée dès lors que, selon lui, cette valeur résultait de la conception, du marketing, de la distribution et de la maintenance. Elle a également relevé qu'en dernière analyse il estimait inutile une nouvelle politique industrielle.
Mme Nicole Bricq a ensuite interrogé M. Michel Godet sur le décrochage démographique de l'Europe par rapport aux Etats-Unis, estimant que la « stratégie mort-née » de croissance européenne, dite « de Lisbonne », avait sous-estimé cet aspect et que la commission des finances, dans ses travaux, n'en avait jusque là pas beaucoup approfondi l'enjeu.
M. Michel Godet , en réponse, a jugé que la stratégie de Lisbonne constituait par certains aspects un « mirage » qui pouvait masquer un phénomène de « casse sociale » et, notamment, de gâchis d'expérience s'agissant des travailleurs de plus de cinquante ans qui faisaient l'objet de licenciements. Il s'est félicité qu'on ait découvert, au niveau macro-économique, avec la notion de « capital humain », la nécessité de renouveler ce dernier et, par conséquent, de s'intéresser plus avant au problème démographique. Au plan micro-économique, il a dénoncé, en revanche, l'insuffisance de la formation des élèves à des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter) et à la sociabilité (le « savoir être »), ainsi que l'insuffisance des moyens comme des exigences mis en oeuvre pour cet apprentissage, dont il a souligné le caractère indispensable pour une insertion réussie sur le marché de l'emploi.
M. Maurice Blin a remercié M. Michel Godet pour la qualité et le « bon sens » de son exposé, remarquant qu'il avait rappelé certaines vertus primordiales du libéralisme aujourd'hui souvent perdues de vue. Il a toutefois fait observer que le même libéralisme conduisait, aussi, à certaines facilités en termes de consommation, qu'il s'agisse du recours abusif à l'emprunt ou de l'abandon à la télévision, par des parents, de leur rôle éducatif. Il a interrogé M. Michel Godet sur cette « schizophrénie du libéralisme ».
M. Michel Godet , en réponse, a estimé qu'il existait un réel problème de gouvernance, qu'il a associé à la possibilité pour les décideurs politiques d'être réélus, et a réaffirmé la nécessité de réformes structurelles. Il a regretté, en particulier, que soient reportées sur les générations futures les conséquences du creusement des déficits publics et a appelé à l'objectivité quant à la situation présente du pays.
M. Jean Arthuis, président , remerciant M. Michel Godet, a conclu en estimant qu'exprimer sincèrement ses convictions constituait un « beau programme politique ».