3. Circuit de règlement de la dépense

a) Le régime juridique et financier de ces frais est précisé par le CPP, qui arrête le tarif de certaines prestations. Après que les parties prenantes ont déposé leur état ou leur mémoire au greffe de la juridiction, deux situations peuvent se rencontrer. Dans certains cas, le mémoire est accompagné d'une pièce justificative (rapport d'expertise, traduction, facture...) : dans la plupart des tribunaux, le magistrat prescripteur (ou celui pour le compte duquel la mesure a été prescrite) n'a connaissance que de la pièce justificative à l'exclusion du mémoire, qui est adressé directement à la régie, ce qui le laisse dans l'ignorance de la facturation d'une prestation dont lui seul peut mesurer la qualité. Dans d'autres cas (médiation, traduction, frais d'huissier...), le mémoire n'est appuyé que de la réquisition et son traitement en est simplifié.

Le code prévoit deux circuits différents. Certaines catégories de frais de justice (article R. 224-1) ou assimilés (article R. 224-2) relèvent de la procédure de « certification », qui confie au greffier le contrôle de la réalité et du montant de la dette. Il s'agit, entre autres, des frais d'expertise en matière d'alcoolémie, des frais de garde de scellés et de mise en fourrière, des frais postaux et, plus généralement, des dépenses de toute nature inférieures à un montant fixé par le ministre de la justice et s'élevant à 1 000 F (152,45 €) depuis un arrêté du 14 septembre 1988.

Les autres frais de justice, qui relèvent de la procédure de « taxation », sont transmis aux fins de réquisition au parquet. Le magistrat du ministère public transmet l'état ou mémoire, assorti de ses réquisitions, au magistrat taxateur. Lorsque la taxe diffère de la demande de la partie prenante ou des réquisitions du ministère public, l'ordonnance de taxe peut faire l'objet d'un recours devant la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours. Ce recours peut être introduit par le ministère public à la demande du comptable assignataire, dans le délai d'un mois.

Le payement est effectué par le régisseur d'avances au vu de l'état ou du mémoire certifié ou taxé. Un état de liquidation des frais recouvrables est dressé pour chaque affaire. La liquidation doit être insérée dans la décision qui prononce la condamnation aux frais ; dès que la condamnation est devenue définitive, un extrait de la décision ou une copie de l'état de liquidation est remis par le greffier au trésorier-payeur général.

Sous l'empire de l'ordonnance du 2 janvier 1959, les frais de justice pénale étaient des dépenses sans ordonnancement 29 ( * ) , prises en charge par les trésoriers-payeurs généraux au vu des justifications produites par les régisseurs. Avec l'entrée en vigueur de la loi organique du 1 er août 2001, les frais de justice feront l'objet d'un mandatement par les chefs de cour d'appel, ordonnateurs secondaires des crédits du ministère de la justice depuis un décret du 24 mai 2004. En pratique, les juridictions semblent s'orienter vers un plafond de dépenses, suffisamment élevé pour concerner la grande majorité des mémoires, en deçà duquel les régies demeureront compétentes pour effectuer un payement sans mandatement préalable.

COUR DES COMPTES

Paris, le 14 novembre 2005

Le premier président

N° 43667

Monsieur le Président,

Par lettre du 1 er mars 2005, vous avez demandé à la Cour des comptes de procéder, en application de l'article 58, paragraphe 2°, de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, à une enquête consacrée au thème « les frais de justice ». En accord avec vos services, il a été convenu que les travaux de la Cour porteraient sur les seuls frais de justice criminelle, correctionnelle et de police, communément appelés frais de justice pénale.

En réponse à votre demande, j'ai l'honneur de vous adresser le rapport ci-joint. Celui-ci s'attache à mettre en évidence l'évolution des dépenses et les dispositifs d'encadrement et de contrôle qui les régissent et à fournir aux membres de la commission que vous présidez les éléments propices à la formulation par le Parlement de recommandations et de pistes de réforme.

Je souhaite appeler plus particulièrement votre attention sur les principales observations que les travaux de la Cour ont permis de relever.

Malgré la forte augmentation des frais de justice pénale, dont la dynamique ne paraît plus maîtrisée depuis 2003, le ministère de la justice ne semble disposer que d'une information lacunaire sur l'évolution réelle de la dépense, faute d'un outil statistique opérationnel et rigoureux. La chancellerie doit en conséquence améliorer sa connaissance de la dépense, tant en prévision qu'en exécution, ce qui suppose, entre autres, la mise en place d'une comptabilité d'engagement jusque là inexistante et la conduite d'études d'impact plus fines des nombreux projets de réforme du droit pénal et de la procédure pénale.

A défaut, le ministère ne sera pas en situation de revendiquer avec une crédibilité suffisante des dotations budgétaires dont nul, y compris la direction du budget, ne conteste le caractère manifestement et gravement insincère. L'enjeu n'est pas mince pour l'équilibre du programme Justice judiciaire : comme l'a montré l'exemple de la cour d'appel de Lyon, qui a expérimenté en 2004 les nouvelles règles budgétaires, une sous-estimation initiale des frais de justice peut conduire, du fait désormais des règles de la fongibilité des crédits, à absorber la totalité des marges de manoeuvre dégagées en fonctionnement et en personnel par les juridictions.

Monsieur Jean ARTHUIS

Président de la commission des finances,

du contrôle budgétaire et des comptes économiques

de la nation du Sénat

15, rue de Vaugirard

75291 Paris Cedex 06

La gestion efficiente des frais de justice se trouve entravée par un cadre réglementaire inutilement lourd. Sont notamment en cause les contraintes de la tarification en matière de frais de justice pénale, qui résultent d'exigences du code de procédure pénale à bien des égards dépassées. La possibilité de procéder désormais à une modification des tarifs par simple arrêté, qui permettrait de procéder à des mises à jour régulières, mériterait d'être étudiée. Le principe de la facturation à l'acte appelle les mêmes critiques, du fait des coûts de gestion qu'il représente tant pour les greffes que pour les prestataires, et aussi parce qu'il se révèle peu incitatif au regroupement et à la mutualisation des moyens, qui apparaissent pourtant comme un gisement prometteur d'économies.

La Cour a constaté, au sein du ministère, une prise de conscience réelle, mais tardive et partielle, de la nécessité d'assurer un suivi plus attentif de ce poste de dépenses. Les initiatives annoncées en la matière par la chancellerie ne peuvent qu'être encouragées. [Pour qu'elles produisent les résultats attendus, elles exigeraient un renforcement des effectifs que la direction des services judiciaires consacre à ce sujet.] Elles supposeraient aussi que soient définies plus précisément la notion de frais de justice, la distinction à opérer avec les moyens des services enquêteurs et, partant, les conditions d'une éventuelle participation des ministères de l'intérieur et de la défense à la prise en charge de certains frais de justice.

Si le pilotage de la dépense demeure insuffisant, son contrôle apparaît défaillant, tant a priori qu' a posteriori. Indépendamment de la mise en place d'une comptabilité d'engagement, qui constitue à la fois une nécessité pratique et une obligation légale, il paraît souhaitable de renforcer les procédures tendant à une meilleure identification préalable des coûts : mise en place de mécanismes d'autorisation pour les dépenses atypiques, qui relèveraient vraisemblablement moins du ministère public que de la chancellerie ou des services d'administration régionale, définition de référentiels de prestations, protocoles d'enquête pour les infractions courantes. Une telle démarche doit être élaborée en accord avec les services enquêteurs et dans le cadre d'une mise en concurrence jusque là très peu pratiquée entre les prestataires.

Quant au circuit de la dépense, il est également caractérisé par une complexité inversement proportionnelle à son efficacité. La procédure juridictionnelle de certification, sans apporter aucune garantie de régularité, contribue à la dispersion des fonctions d'ordonnateur entre de multiples intervenants, depuis l'engagement jusqu'au payement et au mandatement a posteriori. La Cour considère que ce système dérogatoire n'a plus aujourd'hui de justification et qu'il conviendrait de rapprocher les procédures de règlement des frais de justice du droit commun de la comptabilité publique.

Enfin, certaines orientations de la législation (sécurité, protection des victimes, préférence implicite pour la procédure pénale, vers laquelle sont de fait encouragées les victimes) sont peu propices à la maîtrise des frais de justice. A supposer, comme l'avance la chancellerie, que cette évolution vers une procédure de type accusatoire soit irréversible, une réflexion complémentaire apparaîtrait indispensable sur les modalités d'intervention des parties dans la prescription des frais de justice.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma haute considération.

Philippe SÉGUIN

Frais de justice : l'impératif d'une meilleure maîtrise

A la demande de votre commission des finances, la Cour des comptes a réalisé, en application de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), une enquête sur les frais de justice. Elle est publiée au sein du présent rapport d'information qui met en évidence les conclusions suivantes :

- l'effort de la Nation pour la justice, marqué par une progression sensible de son budget (de 4,5 milliards d'euros en 2002 à 6 milliards d'euros en 2006) justifie de la part des juridictions qu'elles concilient une nécessaire culture de gestion , trop longtemps insuffisante, avec l'indépendance de l'autorité judiciaire établie par l'article 64 de la Constitution ;

- la baisse de 7 % des frais de justice constatée en 2005 dans les neuf Cours d'appel ayant expérimenté la gestion de leurs dépenses en « mode LOLF », permet d'espérer pour l'année 2006 une inversion de la dérive enregistrée depuis quelques années des frais de justice ;

- la mise en oeuvre de la LOLF dans les juridictions débouchera sur une maîtrise de la dépense grâce à son meilleur contrôle. Des économies substantielles sont programmées, à la fois sur les volumes de dépenses grâce à une meilleure responsabilisation des prescripteurs et sur les coûts par des économies d'échelle ;

- les réformes éventuelles de la justice devront impérativement être précédées d'une étude d'impact financier solide et sérieuse. Les efforts manifestes de la chancellerie et des juridictions pour développer la culture de gestion constituent une illustration très positive de la mise en oeuvre de la LOLF .

* 29 A l'exception de quelques dépenses relevant, pour des raisons historiques, d'un ordonnancement par l'administration centrale : franchise postale résiduelle, transferts des détenus et escortes, envoi de bulletins de casier judiciaire, transport des pièces à conviction.

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