2. Les modalités de saisine des AAI
a) Envisager l'extension de l'auto-saisine
Aux termes d'une analyse approfondie des modalités de saisine des AAI, Mme Marie-Anne Frison-Roche estime que « l'auto-saisine, même si elle peut poser des problèmes au regard de l'impartialité, [...] est un outil essentiel pour permettre aux autorités administratives indépendantes d'avoir une action continue. ». Elle en conclut que l'attribution de cette faculté devrait être systématiquement envisagée par le législateur.
En effet, toutes les AAI, à l'exception de celles qui sont chargées de veiller à la régularité des campagnes électorales, doivent exercer une activité permanente de régulation d'un secteur ou de protection des droits et libertés des citoyens. Peuvent déjà se saisir d'office de cas relevant de leur compétence, notamment, le Conseil de la concurrence, l'AMF, la Commission bancaire et la HALDE. D'autres autorités, comme le Défenseur des enfants, pratiquent l'auto-saisine en l'absence de disposition législative explicite.
Les exigences d'impartialité issues de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH ont amené le Conseil d'Etat à préciser les conditions d'exercice de l'auto-saisine des AAI 105 ( * ) .
Ainsi, considérant que la possibilité conférée à une juridiction ou à un organisme administratif, qui peut être qualifié de tribunal au sens de l'article 6, « de se saisir de son propre mouvement d'affaires qui entrent dans le domaine de compétence qui lui est attribué n'est pas, en soi, contraire à l'exigence d'équité dans le procès énoncée par ces stipulations », il a jugé que l'acte par lequel ce tribunal décide de se saisir de certains faits « ne saurait, sous peine d'irrégularité de la décision à rendre, donner à penser que les faits visés sont d'ores et déjà établis ou que leur caractère répréhensible au regard des règles ou principes à appliquer est d'ores et déjà reconnu ».
L'acte d'ouverture de la procédure doit par conséquent faire apparaître avec précision les faits et, le cas échéant, la qualification qu'ils pourraient recevoir, mais ne doit porter aucune appréciation laissant à penser que le « procès » a déjà eu lieu.
Recommandation n° 10 :
L'Office estime que pourrait être envisagée une extension de l'auto-saisine aux autorités administratives indépendantes dotées d'un pouvoir de sanction ou de recommandation qui le jugeraient utile, afin de renforcer l'efficacité et la permanence de leurs prérogatives, dans le respect des stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.
Un pouvoir d'auto-saisine devrait ainsi être attribué au Défenseur des enfants, qui pourrait alors se saisir des cas lui paraissant mettre en cause l'intérêt de l'enfant, lorsqu'ils lui sont signalés par des personnes ou des associations qui ne remplissent pas les conditions définies par la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants 106 ( * ) .
Pour d'autres autorités, il conviendrait seulement d'élargir les possibilités de saisine.
b) Ouvrir plus largement la saisine des AAI
La saisine de certaines AAI est soumise au filtre d'un parlementaire. Tel est le cas du Médiateur de la République et de la CNDS.
En revanche, les dernières autorités créées dans le domaine de la protection des droits et libertés bénéficient d'une saisine beaucoup plus largement ouverte. Ainsi, la HALDE peut être saisie :
- par toute personne s'estimant victime de discrimination ;
- par l'intermédiaire d'un député, d'un sénateur ou d'un représentant français au Parlement européen ;
- conjointement par toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations, et toute personne s'estimant victime de discrimination, avec son accord.
Si le maintien d'un filtre parlementaire peut paraître justifié pour la CNDS , autorité aux moyens matériels déjà insuffisants 107 ( * ) , et dont le domaine d'intervention appelle en général une instruction approfondie de chaque dossier, ses modalités de saisine pourraient toutefois être améliorées .
En effet, la CNDS peut, aux termes de l'article 111 de la loi 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure 108 ( * ) , être saisie directement par le Défenseur des enfants.
En revanche, elle ne peut être saisie par le Médiateur de la République et par le président de la HALDE de dossiers relevant de la déontologie des forces de sécurité. Pourtant, le Médiateur et la HALDE estiment que la CNDS est plus qualifiée pour examiner de telles réclamations 109 ( * ) .
Une nouvelle modification de la loi du 6 juin 2000 portant création de la CNDS permettrait de compléter le dispositif de saisine de la CNDS par d'autres AAI.
S'agissant du Médiateur de la République , M. Jean-Paul Delevoye a indiqué à votre rapporteur que la France et le Royaume-Uni étaient les seuls pays de l'Union européenne à maintenir un filtrage de la saisine de leur ombudsman.
Il a par ailleurs souligné que près de la moitié des dossiers adressés à la médiature portaient sur des demandes d'explication du droit et non sur la nécessité d'une médiation entre le citoyen et l'administration. Relevant que les nouvelles technologies de l'information devaient inciter à rendre l'accès au Médiateur plus direct, il a estimé que le besoin de proximité apparaissait également dans la proportion des dossiers traités par les délégués, soit 53.529 sur 59.974 en 2005.
Le rapport annuel 2005 du Médiateur de la République montre que 45,8 % des réclamations reçues à son siège parisien lui ont été envoyées directement, par courrier postal ou électronique.
Recommandation n° 11 :
L'Office estime que la loi du 6 juin 2000 portant création de la CNDS doit être modifiée afin de permettre la saisine directe de cette autorité par le Médiateur de la République et par le président de la HALDE.
Recommandation n° 12 :
L'Office considère par ailleurs que l'ouverture de la saisine du Médiateur de la République à tout citoyen correspond à la fois à la nécessité d'assurer l'accès au droit et aux exigences de rapidité et de proximité que requièrent certains dossiers.
Toutefois, l'Office juge indispensable de maintenir la possibilité d'une saisine par l'intermédiaire d'un député ou d'un sénateur , afin de préserver le moyen d'information dont disposent ainsi les parlementaires sur les difficultés rencontrées par les citoyens dans leurs relations avec l'administration.
Par conséquent, l'Office propose que la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 soit modifiée afin que la saisine du Médiateur puisse être exercée soit directement, soit par l'intermédiaire d'un parlementaire.
Recommandation n° 13 :
Comme le souligne Mme Marie-Anne Frison-Roche, « dans la mesure où la création des AAI résulte souvent d'une défiance à l'égard de l'Etat », l'ouverture de la saisine « permettrait d'établir un lien de confiance plus solide entre les citoyens et les autorités, dont il demeure acquis qu'elles émanent de l'Etat, même si le lien avec le Gouvernement a été rompu ».
Ainsi, l'Office estime que la saisine des AAI doit, dès lors que leur domaine d'intervention et leurs moyens le permettent, être ouverte à l'ensemble des citoyens. Chaque autorité doit en contrepartie être autorisée à mettre en place le cas échéant, un mécanisme de filtrage lui permettant d'instruire seulement les dossiers qui lui paraissent relever de sa mission et de ses compétences.
S'agissant du Médiateur de la République, la possibilité de saisine directe pourrait être assortie d'un dispositif de sanction des saisines abusives, afin de prévenir leur éventuelle multiplication et d'éviter toute instrumentalisation de l'autorité.
c) Généraliser les possibilités de saisine pour avis symétriques
Les AAI concentrent des moyens d'expertise et une application de la réglementation qui ont été retirés à l'Etat, où dont il n'a jamais disposé. Il apparaît néanmoins nécessaire que cette expertise puisse également bénéficier au fonctionnement général des autorités publiques.
Mme Marie-Anne Frison-Roche relève ainsi que les AAI sont souvent mises en valeur « par le niveau d'expertise que permet leur concentration sur un seul objet ».
Aussi paraît-il nécessaire que l'administration traditionnelle puisse bénéficier de cette expertise.
Or, si aujourd'hui la plupart des AAI sont, aux termes de la loi, saisies pour avis des projets de loi ou de décret relatifs à leur domaine de compétence, seules celles auprès desquelles est nommé un commissaire du Gouvernement sont tenues de répondre aux demandes d'avis plus ponctuelles.
De façon symétrique, l'activité des AAI requiert qu'elles puissent accéder largement aux informations dont dispose l'administration. Ce droit d'accès semble d'autant plus indispensable que les services spécialisés de l'Etat ne peuvent pas toujours être absorbés par les AAI 110 ( * ) .
Le bilan réalisé pour l'Office juge par conséquent « opportun de prévoir un droit pour toutes les autorités administratives indépendantes de solliciter des expertises de la part des services intégrés de l'Etat ».
Recommandation n° 14 :
Ainsi, comme le propose Mme Marie-Anne Frison-Roche, l'Office considère que la possibilité de saisir pour avis les AAI de toute question relevant de leur domaine de compétence doit être ouverte au Gouvernement et aux administrations de l'Etat 111 ( * ) .
De façon symétrique les AAI doivent, le cas échéant, pouvoir accéder à l'expertise de l'administration traditionnelle.
Il serait pertinent, par exemple, de permettre au Défenseur des enfants d'obtenir des informations de la part des services d'aide sociale à l'enfance sur les cas dont il est saisi.
* 105 Dans l'arrêt du 20 octobre 2000, Société Habib Bank limited, à propos des actes d'auto-saisine de la Commission bancaire.
* 106 L'article 1 er de la loi dispose que le Défenseur des enfants peut être saisi par les représentants légaux du mineur, mais n'évoque pas, par exemple, les grands-parents, qui peuvent également être en mesure de révéler une atteinte aux droits de l'enfant.
* 107 Dans son rapport annuel pour l'année 2005, la CNDS indique que cette cinquième année d'activité a été « caractérisée par une progression de 10 % de ses saisines et par des difficultés budgétaires ayant eu pour conséquence de ralentir l'instruction des dossiers ». Cf le III, A, du présent rapport.
* 108 Cet article a complété l'article 4 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité.
* 109 Cf le rapport de la CNDS pour l'année 2005, p. 29.
* 110 L'étude de Mme Marie-Anne Frison-Roche analyse à cet égard les raisons qui conduisent à maintenir une distinction entre le Conseil de concurrence et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. A contrario, la loi n° 2006-405 du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs a permis l'intégration du laboratoire national de dépistage du dopage au sein de l'Agence française de lutte contre le dopage.
* 111 S'agissant des demandes d'avis qui pourraient être adressées aux AAI par les juridictions, cf. 2 ci-dessous.