B. CONFORTER L'INDÉPENDANCE DES MEMBRES ET DES SERVICES
L'indépendance des AAI tient en premier lieu à l'indépendance de leurs membres, tant vis-à-vis du pouvoir politique qu'à l'égard des secteurs professionnels visés par l'autorité.
Comme l'avait souligné le Conseil d'Etat dans son rapport de 2001, cette indépendance renvoie essentiellement à l'impartialité des membres des AAI , qui constitue une justification majeure du recours à ce type d'entités. Aussi convient-il de s'assurer que les règles relatives aux mandats de ces membres apportent des garanties d'indépendance suffisantes.
1. La collégialité, l'irrévocabilité et la durée des mandats
a) La collégialité
Selon M. Jean-Marie Pontier, « dans la plupart des pays les AAI sont des institutions collégiales, certains insistent même sur ce point en considérant que la collégialité est une condition indispensable. Tel est le cas des États-Unis. »
Il indique cependant que « dans plusieurs pays il est également admis que l'autorité soit constituée d'une seule personne ; c'est le cas de certaines autorités en Belgique qui prennent le nom de « commissaire », ce dernier pouvant être assisté de commissaires adjoints ; ou bien c'est le président seul d'une institution qui est considéré comme une autorité administrative indépendante. En Grande Bretagne, après un temps (les années 80-90) où la majorité des organismes indépendants étaient dirigés par un responsable unique, on s'est orienté ensuite vers des organismes à direction collégiale, le « Bureau » étant présidé par un directeur, le "Chairperson" »
Comme le rappelle Mme Marie-Anne Frison-Roche, « l'indépendance n'est qu'une condition pour l'effectivité du véritable critère, qui est celui de l'impartialité », celle-ci caractérisant « la qualité d'un homme, d'une structure, ou d'une procédure qui assure l'application neutre de la règle ».
La collégialité apparaît comme une garantie essentielle de l'indépendance. Aussi, le législateur a-t-il doté la quasi totalité des AAI d'une structure collégiale.
A cet égard, le Médiateur de la République et le Défenseur des enfants constituent des exceptions, justifiées à la fois par la reprise du modèle scandinave de l'ombudsman et par la volonté de faciliter l'identification de ces autorités. Le Médiateur du cinéma, considéré comme une AAI par le Conseil d'Etat dans son étude de 2001, est également une autorité « personnelle ».
La situation particulière du Médiateur de la République et du Défenseur des enfants est d'ailleurs soulignée par la loi qui les qualifie d' autorités indépendantes et non d'autorités administratives indépendantes 141 ( * ) . Le mandat de ces deux autorités fortement « personnalisées » est entouré de garanties d'indépendance spécifiques :
- un mandat de six ans, irrévocable et non renouvelable ;
- l'impossibilité d'être candidat à un mandat de conseiller municipal, de conseiller général ou de conseiller régional pendant la durée de leurs fonctions, s'ils n'exerçaient pas le même mandat antérieurement à leur nomination 142 ( * ) ;
- le Médiateur de la République est inéligible à l'Assemblée nationale et au Sénat 143 ( * ) .
Ainsi, au-delà des garanties attachées à la collégialité, c'est le statut des membres des AAI qui fonde leur indépendance.
b) L'irrévocabilité et la durée des mandats
L'irrévocabilité des mandats des membres des AAI constitue une garantie d'indépendance essentielle, permettant, selon les termes de Mme Marie-Anne Frison-Roche, d'éviter « une capture de l'autorité par le politique ».
La loi peut toutefois renvoyer à un décret la définition des modalités selon lesquelles il peut être mis fin au mandat du membre d'une autorité dans le seul cas où il serait empêché 144 ( * ) .
Le caractère non renouvelable des mandats constitue également un facteur d'indépendance, en réduisant le risque de pression par l'autorité de nomination.
Toutefois, une telle règle n'est applicable qu'à condition de prévoir une durée de mandat suffisamment longue et un renouvellement du collège par moitié ou par tiers, afin de préserver la « mémoire » de l'autorité.
Il s'agit de maintenir ainsi, comme le souligne Mme Marie-Anne Frison-Roche, « la permanence d'une certaine doctrine, permanence requise pour la sécurité juridique ».
Les règles relatives à la durée et au renouvellement des mandats des membres des AAI sont marquées par une certaine hétérogénéité, comme le montre le tableau suivant :
Des durées de mandat et des conditions de renouvellement hétérogènes
Autorité |
Durée du
|
Mandat renouvelable |
Renouvellement |
Autorité de régulation des communications électroniques et des postes |
6 ans |
Non |
Par tiers
|
Commission d'accès aux documents administratifs |
3 ans 1 |
Oui (indéfiniment) |
Intégral/partiel
|
Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles |
5 ans 2 |
Oui (une fois) |
Intégral/partiel
|
Autorité des marchés financiers |
5 ans |
Oui (une fois, sauf pour le président) |
Par moitié
|
CNIL |
5 ans 3 |
Oui (une fois) |
Intégral/partiel selon les vacances et mandats électoraux |
Commission consultative du secret de la défense nationale |
6 ans 3 |
Non |
Intégral/partiel selon les vacances et mandats électoraux |
Commission nationale de déontologie de la sécurité |
6 ans |
Non |
Par moitié
|
Conseil de la concurrence |
6 ans |
Oui ( souvent 2 fois) |
Partiel selon vacances |
Commission de régulation de l'énergie |
6 ans |
Non |
Par tiers
|
Conseil supérieur de l'audiovisuel |
6 ans |
Non |
Par tiers
|
Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité |
5 ans |
Non |
Par moitié
|
Médiateur de la République |
6 ans |
Non |
____ |
Défenseur des enfants |
6 ans |
Non |
____ |
1 Sauf les députés, sénateurs et élus des collectivités territoriales dont la durée du mandat au sein de l'autorité est fondée sur la durée de leur mandat électoral. |
|||
2 Sauf le gouverneur de la Banque de France, membre de droit. |
|||
3 Sauf les parlementaires, dont la durée du mandat électoral détermine la durée de leur mandat au sein de l'autorité. |
L'harmonisation de la durée des mandats et la généralisation de la règle de non renouvellement rendraient le régime des AAI plus lisible et apporteraient à chacune les mêmes garanties d'indépendance en la matière.
Cette harmonisation doit cependant tenir compte du lien entre l'indépendance et la compétence .
A cet égard, Mme Marie-Anne Frison-Roche rappelle qu'« est vraiment indépendante la personne qui maîtrise et l'objet sur lequel porte son action (secteur technique, situation sociale), et les moyens de son action (pouvoirs, relations avec les parties prenantes). Il faut donc un temps suffisant pour que s'opère un tel apprentissage, notamment pour permettre de ne pas recruter les membres des AAI uniquement parmi les experts déjà acquis aux secteurs ou aux problématiques sociales en cause ». Elle en conclut que la durée pertinente serait de 6 ans , afin de permettre cet apprentissage et de faciliter le renouvellement du collège par tiers.
Recommandation n°22 :
L'Office partage l'analyse ainsi développée et préconise que la durée du mandat des membres des AAI soit fixée à 6 ans, non renouvelable et que le collège de chaque AAI soit renouvelé par tiers tous les 2 ans .
Si, en cours de mandat, un membre du collège cessait d'exercer ses fonctions, le mandat de son successeur serait limité à la période restant à courir, mais serait renouvelable dans l'hypothèse où il aurait commencé moins de deux ans avant son échéance normale.
* 141 Cf l'article 1 er de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur et l'article 1 er de la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants.
* 142 Art. L. 194-1, L. 230-1 et L. 340 du code électoral.
* 143 Art. L.O. 130-1 du code électoral.
* 144 Tel est le cas notamment pour le Défenseur des enfants, aux termes de l'article 2 de la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000, et du Médiateur de la République, aux termes de l'article 2 de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 et du décret du 9 mars 1973.