C. UTILISER DAVANTAGE LES OUTILS DU CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE
Soustraites à l'autorité hiérarchique ou de tutelle du pouvoir exécutif, les autorités administratives indépendantes exercent, pour la plupart, des prérogatives qui doivent en principe demeurer séparées, telles que l'édiction de normes, le contrôle de leur application et la sanction des manquements à ces normes.
Aussi semble-t-il insuffisant de ne prévoir comme garantie de leur bon fonctionnement que la qualité des membres qui les composent et le contrôle juridictionnel auquel elles sont assujetties.
1. La question du contrôle démocratique des AAI
L'indépendance à l'égard du Gouvernement est une des raisons d'être des AAI. Elles ne reçoivent ni ordre, ni instruction du pouvoir exécutif et ne sont pas contrôlées par lui.
Leur indépendance prend sa source dans la loi qui les crée. Ce fondement démocratique, qui permet au Parlement, le cas échéant sur proposition du Gouvernement au sein d'un projet de loi, de décider la suppression ou la modification des autorités qu'il a créées, ou de réduire leurs crédits lors de l'examen du budget, ne saurait toutefois assurer à lui seul leur légitimité.
A cet égard, la légitimité des AAI n'est pas équivalente à celle des juges. Ces derniers trouvent en effet une légitimité institutionnelle dans la Constitution, tandis que leur légitimité fonctionnelle se fonde sur l'application du droit 151 ( * ) .
En revanche, la légitimité des AAI procède d'une délégation de pouvoir consentie par les institutions, et ne saurait suffire à garantir leur inscription dans la démocratie politique 152 ( * ) .
Il faut encore que l'activité des AAI soit soumise à un contrôle démocratique, conformément à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Les AAI n'étant pas placées sous l'autorité du Gouvernement, leur contrôle démocratique ne peut s'effectuer, comme pour les autres autorités administratives, par la voie de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement.
En outre, dans l'étude de droit comparé qu'il a dirigée pour l'Office, M. Jean-Marie Pontier relève que « l'organisation des AAI est destinée à leur assurer une « indépendance » à l'égard des pouvoirs publics. Mais il convient de souligner qu'en aucun pays on ne considère cette « indépendance » comme absolue, elle est toujours relative, il s'agit toujours d'une question de dosage. La nuance est entre les pays dans lesquels on estime que même le législateur ne doit pas porter atteinte à ces autorités et ceux, très majoritaires, qui estiment que ces autorités doivent être soumises au législateur, que celui-ci est le seul à pouvoir décider en définitive . »
Votre rapporteur a d'ailleurs constaté que l'ensemble des autorités administratives indépendantes souhaitaient rendre compte régulièrement de leur activité au Parlement. Sans aucun doute, l'exercice d'une reddition de comptes annuelle permettrait aux AAI de mieux asseoir leur légitimité.
Aussi revient-il au Parlement de créer et de mettre en oeuvre les instruments de ce contrôle démocratique, qui devrait s'appliquer de façon d'autant plus approfondie que les autorités sont dotées de pouvoirs importants.
Comme le soulignait le Conseil d'Etat dans son rapport public de 2001, « l'indépendance ne saurait signifier irresponsabilité : tous les pays qui ont recouru aux autorités administratives indépendantes ont été confrontés à la nécessité de mettre en place des procédures par lesquelles les organismes administratifs dégagés de la tutelle ministérielle peuvent rendre compte de leur action aux pouvoirs politiques -législatif, mais aussi exécutif. Cette surveillance n'entrave en rien l'indépendance fonctionnelle qui est reconnue aux autorités administratives indépendantes : elle est au contraire la condition de leur développement et la meilleure garantie de leur bon fonctionnement ».
Par ailleurs, il semble justifié que la reddition de comptes devant le Parlement soit plus fréquente et plus détaillée pour les autorités exerçant un pouvoir réglementaire et/ou de sanction.
Cette distinction se fonde sur une exigence de contrôle démocratique qui doit s'exercer plus fortement sur les autorités dotées des prérogatives les plus fortes.
Ainsi, les autorités de régulation économique, toutes dotées de pouvoirs conséquents, doivent faire l'objet d'un examen approfondi et régulier. En revanche, parmi les autorités chargées de la protection des droits et libertés, il convient de distinguer entre celles qui exercent des prérogatives de contrôle et de sanction (CSA, CNIL, HALDE, Médiateur de la République, ...) et celles qui ne disposent que d'un pouvoir consultatif (CCSDN).
Dans tous les cas, le contrôle démocratique n'a pas seulement vocation à vérifier le bon fonctionnement des AAI, selon la logique de transparence qui a conduit à leur développement, mais aussi à assurer que chacune dispose de moyens adaptés à l'exercice de sa mission.
Mme Marie-Anne Frison-Roche résume ainsi les termes de cette équation : « pour qu'il y ait une indépendance à la fois effective et supportable, il faut que l'organisme qui en bénéficie, et ici l'exigence est consubstantielle à l'idée même d'autorité administrative indépendante, rende des comptes ».
Votre rapporteur relève que les lacunes du contrôle démocratique exercé par le Parlement sur l'activité des AAI sont régulièrement soulignées par la doctrine.
Ainsi, M. Marcel Pochard, déplorant que les pouvoirs politiques français n'exercent, dans certains cas, qu'un contrôle « croupion » à l'égard des AAI, estime que cette faiblesse du contrôle « ne résulte pas de ce que les textes ne le permettent pas ou, plus encore, l'interdiraient » mais lui « paraît venir de ce que, dans la pratique, les dispositions ou les habitudes n'ont pas été prises en ce sens ; on relève une sorte d'inertie plus ou moins consentie, tant de la part du Gouvernement, soucieux peut-être d'éviter de donner le sentiment de vouloir porter atteinte à l'indépendance d'une institution voulue comme telle par le Parlement, que de la part de ce dernier, peu habitué à des tâches de contrôle régulier d'institutions spécifiques 153 ( * ) ».
L'étude de droit comparé réalisée sous la direction de M. Jean-Marie Pontier montre par ailleurs que chaque pays tente de trouver des modalités de reddition de comptes ou de contrôle adaptées au degré d'indépendance de ses agences ou autorités.
Dans certains pays, il s'agit d'un contrôle de légalité exercé par le Gouvernement, d'un contrôle budgétaire fort, ou encore d'une possibilité de suspension des décisions des autorités indépendantes. Le modèle américain donne pour sa part des moyens de contrôle importants au Congrès.
Le modèle français des AAI doit par conséquent être complété par l'exercice d'un contrôle démocratique régulier par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Aussi la publication par chaque autorité d'un rapport annuel et la discussion budgétaire devraient-elles devenir les deux moments où les AAI rendent compte de leur activité devant le Parlement.
Le contrôle exercé par le Parlement sur les Agences aux Etats-Unis
(Extraits de l'étude de droit comparé
réalisée par M. Guy Scoffoni, professeur
Toutes les Agences fédérales américaines, qu'elles soient qualifiées d'« Executive » ou d'« Independent » entretiennent des relations suivies tant avec la Présidence qu'avec le Congrès. Ces relations relèvent souvent autant de la politique que du droit. Historiquement, les Agences fédérales indépendantes apparaissent d'abord liées au Congrès. Celui-ci les institue par une loi spéciale et surtout entend les placer hors d'atteinte de l'Exécutif, en prévoyant dans leur statut que le Président ne peut discrétionnairement révoquer les dirigeants d'une « Independent Regulatory Agency » (I.R.A). Le Président les nomme avec l'avis et le consentement du Sénat mais ne peut mettre fin à leurs fonctions qu'à leur demande ou pour une faute professionnelle patente. Un consensus s'est toutefois opéré aux États-Unis pour considérer que les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'équilibre des pouvoirs fédéraux conduisent à admettre au moins une parité entre les interventions respectives du Congrès et du Président à l'égard des Agences indépendantes 154 ( * ) . Les arguments en faveur de l'unicité du pouvoir exécutif (« Unitory Executive ») consistent à faire valoir la nécessité pour le Président de contrôler les modes de fonctionnement des organes exécutifs pour contrebalancer le pouvoir du Congrès de déterminer leur structure générale. La Cour suprême a entériné une telle conception de l'équilibre entre les pouvoirs en matière d'Agences indépendantes, dans une importante décision « Buckley v/ Valeo » de 1976 155 ( * ) . Dans cette affaire, était en cause une disposition du « Federal Election Act » qui prévoyait la possibilité de nominations directes par le Congrès de membres de la « Federal Election Commission ». La Cour considère à cette occasion que dans la mesure où la Commission n'a pas seulement une fonction d'enquête mais aussi une fonction réglementaire, qui constitue une compétence traditionnelle de nature exécutive, et qu'à ce titre elle ne peut être confiée qu'à des agents nommés par le Président ou autres autorités exécutives, avec le cas échéant avis et consentement du Sénat. Dans ce contexte, le Congrès exerce une première série de contrôles sur les Agences dont il détermine la structure et le statut : - demande de rapports périodiques aux Agences indépendantes ; - conduites d'enquêtes par les Commissions du Congrès sur l'action des Agences ; - tenues d'auditions permettant de parfaire l'information du Congrès et d'obtenir justifications et contenus des actions menées. De surcroît, le Congrès dispose de l'arme budgétaire, l'affectation des crédits étant un moyen d'influence important et suscitant par la suite maintes vérifications budgétaires. Un dernier argument souligne dans la pratique l'influence potentielle du Congrès et ses diverses commissions, qui disposent généralement d'une « durée de vie politique » plus grande que celles de l'Exécutif, gage de relations continues et étroites entre contrôleur et contrôlés. |
* 151 Cf. M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, Légitimité du juge, Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, p. 815.
* 152 Cf. Martine Lombard, Institutions de régulation économique et démocratie politique, AJDA, 14 mars 2005, p. 530.
* 153 Marcel Pochard, Autorités administratives indépendantes et contrôle démocratique, Cahiers de la fonction publique, novembre 2001, p. 5.
* 154 Voir sur ce point l'article qui fait autorité en ce sens aux États-Unis de P/L. Strauss, « The place of Agencies in Government : Separation of powers and the Fourth Branch », Columbia Law Review, vol. 84, April 1984, n° 3 pp. 573-669, et en particulier p. 650 et s.
* 155 Buckley v. Valeo, 424 U.S.1 (1976).