ANNEXES

ANNEXE I - Contribution du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg

Votre commission a mené d'importants travaux sur les questions relatives à la religion. Mon prédécesseur, Alvaro Gil-Robles, a organisé plusieurs séminaires avec des intellectuels et des chefs religieux en Europe. Je continuerai dans cette voie. Ces questions évoluent et de nouvelles dimensions apparaissent chaque jour ; des problèmes anciens se présentent sous des angles nouveaux. L'un d'entre eux est le thème de l'audition d'aujourd'hui, la « vieille » confrontation entre la liberté d'expression et la liberté de religion. J'ai l'intention de creuser cette question et je suivrai de près vos travaux. Ma déclaration d'aujourd'hui constitue une première réflexion sur ce sujet.

Le blasphème, les insultes à caractère religieux et l'incitation à la haine au nom de la religion doivent être considérés au vu des articles 9 et 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Selon la Cour européenne des Droits de l'Homme, la liberté de religion et la liberté d'expression constituent toutes deux l'un des fondements essentiels d'une société démocratique reposant sur le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture (affaire Handyside) . Ces deux libertés peuvent être soumises à des restrictions pour protéger les droits et les libertés d'autrui. La confrontation entre ces deux droits a montré qu'il n'est pas facile de définir exactement leurs limites. Les solutions ont donné lieu à des controverses même au sein de la Cour.

La publication des caricatures dans le quotidien danois Jyllands-Posten a fait apparaître de nouveaux facteurs qu'il faut prendre en compte vu le nouveau contexte international où la religion, l'incitation à la haine, les idées extrémistes et le terrorisme sont liés. D'une part, de nombreux musulmans ont eu le sentiment que la publication des caricatures faisait partie d'une campagne de dénigrement à leur égard. Ils ont été profondément choqués et blessés par ces caricatures. D'autre part, certaines réactions ont été orchestrées comme la violente manifestation de Damas. Les extrémistes se sont emparés de l'affaire.

En outre, cette affaire a mis davantage l'accent sur la responsabilité des médias qui, comme on l'a vu à propos des caricatures, ont un bien plus grand impact que les oeuvres d'art qui s'adressent à un public plus restreint.

Tous ces événements montrent que le débat d'aujourd'hui est à nouveau d'une grande actualité. Nous devons approfondir la question mais en nous appuyant sur les normes reconnues du Conseil de l'Europe et sur les principes établis par la jurisprudence de la Cour.

La Cour a souligné que ceux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur religion, qu'ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s'attendre à le faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi. [...] dans des cas extrêmes, le recours à des méthodes particulières d'opposition à des croyances religieuses ou de dénégation de celles-ci peut aboutir à dissuader ceux qui les ont d'exercer leur liberté de les avoir et de les exprimer ( affaire Otto-Preminger-Institut ).

Par conséquent, les restrictions imposées aux journalistes et aux auteurs doivent être considérées eu égard à l'attachement de la Cour au rôle de « chien de garde » que doit jouer la presse (affaire Thorgeir Thorgeirson ), à sa contribution à l'information du public sur les questions d'intérêt général et à l'interdiction d'infliger des sanctions aux journalistes, notamment des sanctions pénales, excepté dans les cas d'incitation à la haine et à la violence. La liberté des médias est extrêmement importante pour la liberté des débats dans chaque pays et l'on doit se montrer très prudent en ce qui concerne les restrictions. Il faut aussi prendre en compte l'importance de l'autonomie des médias. Il faut juguler les tendances à la censure d'État. Votre recommandation de 2003 sur la liberté d'expression dans les médias en Europe a mis en lumière les dangers encourus par les journalistes en Europe du fait des manoeuvres d'intimidation exercées contre eux. Lorsqu'elles portent sur des questions liées aux croyances religieuses, les mesures de droit pénal prises contre les journalistes peuvent contribuer à diviser la société. Nous devons faire preuve de circonspection en la matière.

S'agissant en particulier de l'incitation à la haine, il faut, lors de l'examen des sanctions imposées, prendre en compte le véritable contenu des publications ainsi que la proportionnalité de la sanction. Il ne faut pas imposer de sanctions à un journaliste quand, en diffusant les propos incriminés, le journaliste en question indique clairement qu'il les réprouve.

Nous devons nous appuyer sur les devoirs des journalistes en la matière. Une fois encore, tenons-nous en à la ligne de conduite définie par la Cour. Dans le contexte des opinions et croyances religieuses, « peut légitimement être comprise une obligation d'éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain » ( affaire Otto-Preminger-Institut ). Cette affirmation signifie également que les obligations dépendent de l'impact des moyens d'expression. Dans l'affaire Jersild, la Cour a souligné que les médias audiovisuels ont des effets souvent beaucoup plus immédiats et puissants que la presse écrite.

Nous devons nous tourner vers d'autres remèdes, vers des mesures préventives. Dans certains pays, les médias eux-mêmes ont établi d'un commun accord des codes d'éthique et instauré des organes de contrôle chargés de l'autorégulation. Il faut rédiger ou réviser les codes d'éthique en tenant compte des nouveaux défis à relever. Ces codes pourraient mentionner le rôle joué par les journalistes dans la promotion d'une culture de tolérance et de compréhension entre les différentes cultures et religions. Il faudrait élaborer des cadres de corégulation associant les médias, la société civile et les autorités publiques. Un tel système de contrôle peut être efficace et devrait protéger « la réputation et les droits d'autrui ».

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