V. L'ALLEMAGNE : DES SPÉCIFICITÉS LIÉES AU FÉDÉRALISME, DES MÉTHODES DE TRAVAIL TÉMOIGNANT D'UN PARLEMENT PUISSANT
Régie par la Loi fondamentale du 23 mai 1949, l'organisation du bicamérisme allemand, constitué par le Bundestag et le Bundesrat, est influencée par la nature fédérale de l'Etat allemand. Seul organe constitutionnel élu directement par le peuple allemand, le Bundestag ou « diète fédérale » est la chambre basse devant laquelle le gouvernement fédéral est responsable.
Depuis novembre 2005 , le gouvernement de « Grande coalition » entre les formations de centre droit CDU-CSU ( Christlich Demokratische Union Deutschlands Christlich-Soziale Union in Bayern ) et le parti social-démocrate SPD ( Sozialdemokratische Partei Deutschlands), dirigé par Mme Angela Merkel, est soutenu par une écrasante majorité des députés (448).
A. UNE PROCÉDURE PARLEMENTAIRE COMPLEXE MAIS EFFICACE FONDÉE SUR LA RECHERCHE PERMANENTE DU COMPROMIS
1. Des complexités liées au fédéralisme allemand
Une répartition des compétences législatives rigoureuse entre Fédération et Länder
Le domaine de la loi fédérale est vaste mais réglementé. Les Länder ont le droit de légiférer lorsque la Loi fondamentale ne confère pas à la Fédération un tel droit 147 ( * ) . Le droit fédéral prime sur le droit des Länder. Prévues à l'article 73 de la Loi fondamentale, les compétences législatives exclusives de la Fédération sont étendues (affaires étrangères, défense, nationalité, liberté de circulation, immigration, monnaie, police criminelle). Les Länder ne peuvent pas légiférer sur ces matières sauf si une loi fédérale les y autorise expressément.
Dans les domaines où les Länder ont une compétence législative concurrente de celle de la Fédération (droit civil ; droit pénal ; état-civil ; droit du travail ; politique sanitaire...), ils ont le pouvoir de légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n'a pas fait usage de sa compétence législative.
L'intervention de cette dernière n'est alors possible que si elle est nécessaire pour « la réalisation de conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l'unité juridique ou économique dans l'intérêt de l'ensemble de l'Etat ». A l'inverse, une loi fédérale peut décider d'autoriser le remplacement d'une réglementation législative fédérale qui n'est plus nécessaire par le droit d'un Land.
Enfin, les Länder ont une compétence exclusive en matière d'éducation, de police (sauf criminelle), de culture ou encore d'urbanisme.
Le Bundesrat, une seconde chambre « pas comme les autres », dont l'avis est déterminant pour le gouvernement fédéral
Même s'il ressemble à une chambre haute, le Bundesrat ne peut être considéré strictement comme tel. Il est le représentant des membres des gouvernements des 16 Länder, états fédérés, et des trois villes libres (Berlin ; Brême ; Hambourg) qui composent la République fédérale. « Par l'intermédiaire du Bundesrat, les Länder concourent à la législation et à l'administration de la Fédération et aux affaires de l'Union européenne » (article 50 de la Loi fondamentale).
Ses membres (au nombre de soixante neuf), qui ont le rang de ministres, sont nommés et révoqués par les Länder dont ils assurent la représentation.
Ainsi, au regard des thèmes de réflexion de la mission, le Bundesrat apparaît comme une assemblée atypique où la recherche d'un statut de l'opposition (ou minorité) n'a pas de sens. Il n'y existe pas de groupe parlementaire en tant que tel.
Comme l'ont rappelé à la mission Mme Kiessler et MM. Freund, Gibowski et Reinhardt, respectivement ministres de la ville de Brême et des Länder de Mecklembourg-Poméranie occidentale, de Basse-Saxe et de Bade-Wurtemberg et membres du Bundesrat, l'opposition fédérale a pu tenter d'influencer la politique gouvernementale par son action au Bundesrat lorsqu'elle était majoritaire. Ainsi, pendant la plus grande partie de la coalition sociale-libérale ou de 1999 à 2005, la CDU-CSU, majoritaire au Bundesrat, a pu retarder temporairement certaines initiatives du gouvernement. Il en a été de même pour le SPD à l'encontre du gouvernement Kohl, de 1991 à 1997.
Mais cette grille d'analyse en termes de majorité et d'opposition fédérales n'a qu'un intérêt limité pour comprendre les prises de position des membres du Bundesrat, qui n'est pas au sens strict une assemblée politique . Ceci est d'autant plus vrai que la composition et les majorités du Bundesrat varient rapidement en raison de la fréquence des élections dans les Länder. Le Bundesrat se veut avant tout le garant des intérêts des Länder lorsqu'il examine les textes législatifs et contrôle l'action du gouvernement fédéral.
Par ailleurs, formellement, le Bundesrat dispose de peu de moyens de contrôle (obligation pour les ministres fédéraux de participer aux débats du Bundesrat pour répondre à ses questions ; rapports annuels du ministre des finances pour obtenir quitus de sa gestion...), n'utilise que très rarement son droit de questionner les membres du gouvernement en séance plénière et n'a pas instauré d'« heure des questions » ni de procédure d'interpellation.
En revanche, la nature fédérale de la démocratie allemande impose une coopération permanente entre le gouvernement fédéral et les Länder. Cette coopération a lieu principalement par l'intermédiaire du Bundesrat , qui en est l'instrument privilégié selon la Loi fondamentale en tant que représentant des Länder dont le rôle institutionnel est incontournable.
La procédure parlementaire d'examen des textes législatifs comporte quelques caractéristiques qui reflètent le rôle déterminant du Bundesrat :
- l'initiative des lois : tout comme le Bundestag et le gouvernement fédéral, le Bundesrat a l'initiative des lois . Il peut ainsi déposer au Conseil des ministres un texte législatif recueillant l'accord de la majorité des Länder. Le gouvernement fédéral est cependant en pratique à l'origine des deux tiers de la législation. Toutefois, les parlementaires sont souvent impliqués dans la rédaction des projets de loi gouvernementaux (voir A, 2). Les propositions de loi émanant du Bundestag doivent être signées par un groupe parlementaire ou 5 % des membres du Bundestag (formellement, les projets de loi décrivent le problème considéré puis la solution qu'ils préconisent, examinent d'éventuels projets alternatifs ainsi que les répercussions financières de leur adoption) ;
- le Bundesrat est le premier à émettre ses observations sur les textes : le Bundesrat est toujours le premier à donner son avis sur les projets législatifs 148 ( * ) afin que les positions des Länder sur une réforme soient prises en considération le plus tôt possible 149 ( * ) par le gouvernement fédéral. Il dispose de délais serrés pour examiner les projets de loi ou les propositions venues du Bundestag (6 semaines en principe, 3 semaines en cas d'urgence invoquée par le gouvernement fédéral). Son avis sur le texte est transmis dans les 6 semaines au Bundestag et au gouvernement fédéral ;
- le bicamérisme allemand est inégalitaire en faveur du Bundesrat, qui dispose, au nom des Länder, d'un véritable pouvoir de codécision et de veto sur certaines lois, qu'il doit approuver explicitement : lois portant modification de la Constitution (approuvées à la majorité des deux tiers par les deux chambres) ; lois mettant en cause les recettes fiscales des Länder ou relatives à leur souveraineté administrative ; transferts de souveraineté à l'Union européenne.
Son rôle s'est accru car il a réussi à imposer une conception extensive de ce veto : son accord est nécessaire pour l'adoption d'un texte dont une seule disposition a un caractère fédératif et pour toute modification d'une loi adoptée avec son approbation. Plus de la moitié des textes législatifs sont concernés ;
- enfin, le Bundesrat a un rôle essentiel après le vote de la loi : il doit examiner et approuver la plupart des décrets d'application des lois .
* 147 Article 70 de la Loi fondamentale.
* 148 Sauf pour les projets de budget et de loi de finances rectificative, transmis simultanément au Bundestag et au Bundesrat, qui disposent respectivement de 6 semaines et de 3 semaines pour les examiner.
* 149 En cas de crise, l'état de nécessité législative permet l'approbation des lois par le seul Bundesrat.