II. L'ETAT DOIT METTRE EN PLACE UNE NOUVELLE POLITIQUE DES JEUX

Satisfait des résultats courants (très réels) de sa politique actuelle des jeux, l'Etat s'est lui-même confiné dans une stratégie routinière et d'un autre temps, tardant à moderniser ses méthodes, appliquant des politiques « spécifiques » à l'égard des différents opérateurs, freinant certaines évolutions indispensables et pratiquant la politique de l'autruche pour les problèmes que posent internet et les Institutions européennes.

On est en droit d'attendre beaucoup mieux.

En 2006, l'Etat est à la croisée des chemins, pris entre le confort de ses prérogatives anciennes, l'émergence de nombreux problèmes épineux et des devoirs nouveaux pour lui .

Pour assurer ses missions et résoudre ses problèmes, il doit mettre en place une nouvelle politique des jeux, plus réaliste et plus humaine, plus moderne et plus ambitieuse.

L'essentiel des propositions du rapport se situe dans ce chapitre.

Les différentes possibilités d'actions de l'Etat selon M. Martignoni-Hutin

Comme le dit fort bien le sociologue Jean-Pierre Martignoni-Hutin (Espaces 210 - décembre 2003), l'Etat a devant lui plusieurs possibilités d'actions qui ne sont pas exclusives :

- Poursuivre la tradition historique : interdire et autoriser, réglementer, fiscaliser.

- Entamer une politique « suiviste », copiant les orientations répressives de certains pays.

- Définir enfin une politique des jeux globale, responsable, cohérente et novatrice, intégrant bien entendu la prévention et la prise en charge des joueurs excessifs.

- Traiter de manière équitable les trois principaux opérateurs ludiques.

- Définir des règles pour sécuriser les supports de jeu de l'économie numérique.

- Juguler les jeux clandestins qui sont criminogènes.

Car l'Etat doit s'adapter aujourd'hui à la fois aux évolutions propres à chaque secteur de l'industrie des jeux, mais aussi à des problèmes de concurrence, d'une part, entre opérateurs français, d'autre part, en provenance d'entreprises extérieures, qui mettent en cause les monopoles nationaux. Il s'agit notamment d'opérateurs sur internet qui prennent la Communauté européenne à témoin de leurs difficultés à pénétrer notre marché (qualifié souvent de « forteresse »).

L'Etat a-t-il une politique des jeux ?

Ses détracteurs habituels demandent souvent à l'Etat français d'avoir une politique des jeux, ce qui semble signifier qu'ils pensent qu'il n'en n'a aucune.

C'est inexact : l'Etat a bel et bien une politique des jeux .

Elle peut sembler conservatrice, lacunaire, restrictive et répressive, mais elle est en place depuis fort longtemps et les gouvernements successifs n'ont pas sensiblement varié dans son application.

Rappelons, une fois de plus, qu'elle consiste à tout interdire des jeux, quels qu'ils soient, pour disposer de la possibilité d'en autoriser certaines formes, dans certains lieux et selon certaines circonstances, dont l'Etat décide seul.

De cette définition découle une multitude de freins, de limitations, de règlementations et de contrôles, que les opérateurs ont tout intérêt à respecter, faute de quoi leurs autorisations (qui sont précaires et révocables) leur sont retirées.

La surveillance méticuleuse du système par la police des courses et jeux a, jusqu'ici, obtenu un assainissement des secteurs qui en avaient besoin et garanti aux joueurs, parieurs, gratteurs et pousseurs de boutons, que les établissements qu'ils fréquentent sont intègres et leurs jeux favoris fiables.

Au passage, il est vrai, l'Etat républicain (continuité du pouvoir oblige) s'est senti contraint de maintenir sur ces jeux les prélèvements conséquents qu'avait établis avant lui l'Ancien régime. Mais, en la matière, il ne fait ni mieux, ni pire, que ses voisins européens ou mondiaux.

Votre rapporteur, qui n'a pas ménagé ses critiques tout au long de ce travail, atteste que l'Etat « a une politique des jeux ».

Il est donc plus exact et plus équitable de dire qu'il serait souhaitable que l'Etat mette en place une politique nouvelle pour pouvoir affronter et surmonter la crise des jeux en Europe.

A. L'ETAT NE DOIT PAS PERDRE DE VUE SES MISSIONS PRIORITAIRES

Régaliennes ou non, les missions de l'Etat sont très importantes et, dans le passé, il les a bien remplies alors qu'elles concernaient :

- la prise en main de la totalité des jeux en France ;

- l'assainissement de certains secteurs qui en avaient vraiment besoin ;

- le cadrage policier de plusieurs professions jusqu'à une récente, mais satisfaisante mutation des gens et des choses ;

- la surveillance stricte des mouvements de capitaux dans le secteur privé des casinos, dans le but de contrôler leur origine et bloquer les blanchiments d'argent ;

- une ébauche bien partielle de régulation de l'offre de jeux, avec le travail de la Commission supérieure des jeux (CSJ), bras armé du ministère de l'intérieur ;

- la répression des machines à sous clandestines, etc.

Dans chaque domaine, les résultats ont été significatifs, mais (et ce n'est pas un reproche) il s'agit là de tâches exclusivement réglementaires, policières et/ou répressives .

Jamais l'Etat, jusqu'à une date relativement récente, n'a montré le souci d'un « jeu responsable », d'une « offre de jeu encadrée et contenue dans des limites raisonnables », encore moins du souci du sort des joueurs dépendants.

On le sait, tout cela est maintenant « à l'ordre du jour » grâce aux décrets de février 2006 du ministère du budget et au protocole de fin 2005 Intérieur-Casinos.

Il n'était que temps !

Aujourd'hui, les problèmes ayant profondément changés, les missions prioritaires de l'Etat doivent être revues.

Quelles sont les plus traditionnelles ?


• continuer à assurer et faire respecter l'ordre public ;


• protéger les ressources de l'Etat, mais pratiquer une fiscalité de raison ;


• conserver à la France sa position de leader dans certains domaines économiques.

D'autres sont nouvelles (voir plus loin) :


• imposer l'idée d'un jeu responsable et la promouvoir ;


• prendre en compte la dépendance aux jeux en tant que trouble social ;


• tenir compte des nouvelles données technologiques et européennes.

1. Continuer à assurer et faire respecter l'ordre public

Cette mission majeure, dans un pays comme la France, ne peut être confiée qu'à l'Etat, ce qui exclut qu'elle puisse être une prérogative de caractère privé ou semi publique.

Imagine-t-on que le contrôle de machines soit confié à leurs fabricants ou à leurs exploitants ? Que la définition des interdictions de jeux (mineurs ou joueurs volontaires pour cette interdiction) ne dépende pas d'un ministère ? Que les descentes de police contre les machines à sous clandestines soient de la responsabilité d'un comité de quartier ou d'une association de parents d'élèves ?

L'Etat doit rester seul en charge de cette mission d'intérêt général, d'autant plus que, dans l'avenir, il sera le seul à pouvoir rechercher et mettre en place les structures et les méthodes internationales, européennes ou mondiales, capables de réguler les jeux.

C'est une tâche complexe et très coûteuse qui demande chaque jour un redoublement de vigilance, tant évoluent vite aussi bien les technologies en cause, que les méthodes des milieux d'affaires et celles du banditisme et de la corruption.

PROPOSITIONS

Commencer par moderniser et simplifier une réglementation pléthorique et anachronique : l'Etat gagnera du temps et de l'argent, les casinotiers aussi.

Ne pas légaliser les machines à sous, dites clandestines, poursuivre la répression.

Trancher dans cette affaire (un peu ridicule) des « mineurs de moins de 16 ans » de la FDJ.

Ne pas autoriser la mise sur le marché de nouveaux appareils de jeux automatiques, présumés anodins, tant que ne seront pas précisés tous les aspects techniques (quel type de fonctionnement) fiscaux (quelles taxes), sociaux (accès des mineurs), d'ordre public (moyens de contrôle et coût pour l'Etat de ceux-ci).

Par contre, compte tenu des difficultés de cette industrie et de la pugnacité qu'elle met à défendre ses projets, il importe de créer et développer les contacts nécessaires comme l'ont fait plusieurs pays.

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