E. LE STATUT DE L'ÉLU(E) ET LA LIMITATION DU CUMUL DES MANDATS

1. Le statut de l'élu

Les difficultés de la conciliation, pour les femmes, des contraintes d'un mandat avec la vie professionnelle et la vie familiale, et plus généralement, la question du statut de l'élu(e), ont été fréquemment abordées au cours des auditions de la délégation.

En particulier, M. Éric Kerrouche, chercheur au CERVL, a constaté qu'il n'existait pas en Europe, pour l'instant, de véritable statut de l'élu local 67 ( * ) , même si certaines dispositions éparses pouvaient s'y apparenter. Il a relevé que, dans certains pays, notamment en France, une partie des élus récusait la professionnalisation de la fonction élective, qui, selon eux, devait continuer de reposer sur les principes du bénévolat et de l' « amateurisme républicain ».

Il a cependant considéré que l'exercice d'un mandat, au moins à l'échelon exécutif, était devenu exclusif de celui d'une activité professionnelle, notant que le degré de professionnalisation s'accentuait avec l'exercice de responsabilités exécutives.

Par ailleurs, il a fait observer que l'élu local européen type était un homme âgé de plus de 50 ans et fonctionnaire, l'accumulation des conditions d'éligibilité et des « pré-requis » professionnels profitant essentiellement aux hommes d'âge mûr, qui se trouvent ainsi surreprésentés au sein des exécutifs.

Il a considéré qu'il ne pourrait être mis fin à cette situation que par la mise en place d'un statut de l'élu, dont l'objectif serait de faciliter l'accès aux mandats, tout en soulignant que celle-ci aurait un coût politique et social qui ne devait pas être négligé.

La plupart des intervenants ont cependant insisté sur le fait qu'il ne fallait pas envisager la mise en place d'un statut de l'élu concernant uniquement les femmes, mais des mesures bénéficiant aux hommes comme aux femmes.

Parmi les propositions de loi soumises à la délégation, seule celle présentée par Mme Valérie Létard (n° 51 rectifiée, 2004-2005) aborde cet aspect du débat .

Présentant à la délégation les résultats d'un sondage effectué auprès des élues du département du Nord, notre collègue Valérie Létard a fait observer que les femmes élues ayant des enfants à charge avaient bien du mal à concilier leurs responsabilités électives et leur vie familiale, notamment dans les très petites communes, où les indemnités sont faibles.

a) Le dédommagement des frais de garde d'enfants ou d'assistance à des personnes dépendantes

Pour permettre aux femmes élues de mieux concilier mandat, métier et famille, la proposition de loi n° 51 rectifiée de Mme Valérie Létard prévoit que les maires, les adjoints au maire et les conseillers ayant reçu une délégation puissent bénéficier du dédommagement des frais de garde d'enfants, ou éventuellement de prise en charge de personnes âgées ou handicapées à domicile . Le financement de ce dispositif, adossé sur le système du chèque emploi service universel (CESU), serait assuré par l'Etat 68 ( * ) .

Il est à noter que dans le droit actuel les conseillers municipaux peuvent bénéficier, après délibération du conseil municipal, d'un remboursement par la commune des frais de garde d'enfants ou d'assistance aux personnes âgées et ou handicapées liés à l'exercice de leur mandat, en application des articles L. 2123-18 et L. 2123-18-2 du code général des collectivités territoriales. En outre, un dispositif de dédommagement des frais liés à la rémunération par chèque emploi service des salariés chargés de la garde d'enfants, ou de l'assistance à des personnes âgées ou handicapées, à domicile est prévu par l'article L. 2123-18-4 du même code en faveur des maires et, dans les communes de 20 000 habitants au moins, des adjoints au maire ayant interrompu leur activité professionnelle pour exercer leur mandat ; cependant le financement de ce dispositif, dont l'application est subordonnée à une délibération du conseil municipal, incombe également à la commune et le décret d'application n'a pas encore été pris.

Au cours de son audition devant la délégation, M. Éric Kerrouche, chercheur au CERVL, a considéré qu'une distribution paritaire des postes de pouvoir nécessiterait l'adoption de mesures statutaires favorisant l'entrée d'un plus grand nombre de femmes dans les exécutifs locaux, à l'instar de la Grande-Bretagne, qui a mis en place un système d'aide à la garde des enfants pour permettre aux femmes élues de participer aux réunions.

Notre collègue Dominique Voynet, s'exprimant au nom des Verts, a relevé qu'il était important de faciliter la conciliation de la vie familiale et de l'exercice d'un mandat politique. Faisant observer que les problèmes apparaissaient surtout lorsque les enfants grandissent, elle s'est déclarée favorable à la mise en place de mécanismes d'aide financière en faveur de modes de garde adaptés.

b) La formation des élus

Relevant par ailleurs que de nombreuses femmes conseillères municipales ou maires expriment une forte demande en matière de formation , jugée primordiale pour un exercice responsable et efficace de leur mandat, notre collègue Valérie Létard propose également dans sa proposition de loi d'affirmer le caractère obligatoire des dépenses de formation pour les communes et d'instituer un débat général d'orientation en conseil municipal, préalable à l'adoption d'un plan annuel de formation pour les élus.

Plusieurs intervenants ont en effet fait valoir devant la délégation que, contrairement aux hommes, les femmes ne se sentaient pas suffisamment préparées à l'exercice des fonctions électives et se considéraient généralement moins compétentes que les hommes, exprimant donc le besoin d'une formation adaptée. Mme Naïma Charaï, représentante de l'Association des régions de France (ARF), s'est référée à cet égard aux résultats d'une étude réalisée par l'ARF en 2005.

Au cours de son audition, M. Éric Kerrouche, chercheur au CERVL, a souligné que la France était le seul pays en Europe à avoir institué un système de formation des élus, mais a regretté que celui-ci demeure facultatif et peu utilisé. Reprenant les chiffres de l'enquête qu'il avait menée sur les maires des communes de plus de 3 500 habitants, il a précisé que la proportion des maires des communes de plus de 3 500 habitants ayant recours aux dispositifs de formation était de 55,4 % (dont 36,7 % qui avaient utilisé cette faculté plus d'une fois).

c) L'amélioration des conditions d'exercice du mandat, et notamment de l'indemnisation

De nombreuses propositions ont par ailleurs été avancées devant la délégation en vue d'une amélioration des conditions d'exercice des mandats.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, représentante de l'Assemblée des départements de France (ADF), a marqué sa préférence pour des aménagements inspirés des pratiques nordiques, tels que la mise en place de « lieux facilitateurs » à la disposition des femmes , notamment pour accueillir les enfants.

Notre collègue Yolande Boyer, entendue en sa qualité de vice-présidente de l'Association des petites villes de France (APVF), a souligné le caractère essentiel des conditions de l'exercice du mandat, tant pour les hommes que pour les femmes, et a indiqué que l'APVF avait publié un document intitulé « Moderniser l'exercice des mandats locaux », contenant 40 propositions visant à améliorer ces conditions, par exemple en prenant en compte les contraintes familiales, en aménageant le temps de travail des élus ou en développant la formation.

Elle a insisté sur l'importance de la charge de travail des adjoints au maire et des conseillers municipaux, pour lesquels son association propose une augmentation substantielle des indemnités , notamment destinées au renforcement de leur protection sociale et au remboursement d'un certain nombre de dépenses comme les frais de garde des enfants ou d'aide aux personnes âgées.

Au cours de son audition, notre collègue Valérie Létard a d'ailleurs fait observer que l'indemnisation des élus était une composante importante de leur statut, en rappelant que les femmes exerçaient des responsabilités locales à des niveaux où, bien souvent, les indemnités sont limitées, ce qui dissuade les candidatures masculines, et que les femmes maires étaient plus nombreuses dans les petites communes que dans les grandes.

M. Gérard Pelletier, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a estimé qu'une plus grande féminisation de la vie politique nécessitait une amélioration des moyens consacrés à l'exercice du mandat. Il a néanmoins considéré que la question de l'indemnité devait être abordée avec prudence, afin qu'elle ne devienne pas un enjeu malsain dans les petites communes, où son montant peut contribuer à accroître les revenus des élus de façon non négligeable, et il s'est demandé s'il ne faudrait pas plutôt imaginer un avantage fiscal en faveur des élus.

Notre collègue Pierre-Yves Collombat, s'exprimant en qualité de premier vice-président de l'AMRF , a proposé que les maires et adjoints ne percevant pas d'indemnité bénéficient de déductions fiscales , afin de valoriser la fonction d'élu.

M. Éric Kerrouche, chercheur au CERVL, a considéré qu'il convenait de mettre fin à une certaine hypocrisie et de rompre avec le « mythe » du bénévolat et de l'amateurisme, apparu à la fin du XIX e siècle dans un contexte social très différent, où les « notables » donnaient de leur temps à la communauté, au bénéfice de leur image sociale. A cet égard, il a noté que les élus locaux français étaient encore très attachés à la notion d'indemnisation du mandat, l'indemnité n'étant pas considérée comme un salaire mais comme une compensation, ce qu'il a qualifié de « fiction juridique ». Il a indiqué que certains pays européens, tels l'Allemagne, le Danemark ou l'Espagne, se trouvaient à cet égard dans une situation moins ambiguë et avaient une approche plus pragmatique, avec des élus professionnels à plein temps ou à mi-temps.

d) Les mesures de nature à faciliter la réinsertion dans la vie professionnelle à l'issue du mandat

Regrettant que l'éducation des enfants repose encore trop souvent essentiellement sur les femmes et considérant qu'il était nécessaire d'améliorer les conditions de l'exercice des responsabilités en politique, Mme Laurence Cohen, responsable de la commission « droits des femmes et féminisme » au PCF, a estimé que le statut de l'élu devrait permettre d'atteindre trois objectifs : la disponibilité des élus, leur formation, mais aussi la garantie du retour à l'emploi à l'issue du mandat, grâce notamment à la validation des acquis de l'expérience .

Le problème posé par les difficultés rencontrées par les élus pour se réinsérer dans la vie professionnelle a en effet été fréquemment abordé au cours des auditions.

Tout en estimant qu'un statut de l'élu n'était nécessaire que si l'on concevait la politique comme une carrière et en déplorant que beaucoup d'élus perçoivent leur mandat comme tel, notre collègue Hugues Portelli, également professeur de sciences politiques et de droit constitutionnel à l'université de Paris II, a considéré que le retour à la vie active, après la fin du mandat, était la période la plus difficile à vivre pour un élu et qu'il convenait d'assurer son indépendance financière.

Tout en considérant également qu'il convenait d'exercer un mandat politique comme une fonction, et non pas comme un métier, Mme Bérengère Poletti, déléguée générale aux femmes de l'UMP, a simultanément insisté sur l'importance de la définition de garanties en faveur des élus pour faciliter leur reconversion professionnelle à l'expiration de leur mandat , en rappelant qu'à la différence des élus issus de la fonction publique, les personnalités issues du secteur privé couraient un risque professionnel en embrassant une carrière politique. Elle a notamment souligné la nécessité d'une validation de l'expérience de l'élu pour faciliter son retour à la vie professionnelle.

Mme Florence Richard, présidente du conseil d'administration de l'association « Femmes, débat et société », a jugé souhaitable d'améliorer les passerelles entre la vie professionnelle et la vie politique , en prévoyant, le cas échéant, une indemnisation des élus en fin de mandat.

Rejoignant ces préoccupations, Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a souhaité la mise en place d'un accompagnement au terme du mandat (validation des acquis de l'expérience, bilan de compétences) pour faciliter la réinsertion professionnelle des élus, en se déclarant néanmoins réservée sur une évolution vers une « fonctionnarisation » des femmes et des hommes politiques.

M. Éric Kerrouche, chercheur au CERVL, a indiqué qu'en pratique, la réintégration des salariés élus au terme de leur mandat présentait toujours un certain nombre de difficultés, tout en reconnaissant la nécessité de trouver des solutions pour faciliter la reconversion professionnelle des élus. A ce titre, il a également estimé souhaitable d'explorer la voie de la validation des acquis professionnels des élus.

2. La limitation du cumul des mandats

Ainsi que l'ont fait observer plusieurs personnalités auditionnées par la délégation, la question du cumul des mandats n'est pas sans lien avec celle du statut de l'élu, dans la mesure où la faiblesse de l'indemnisation de certains mandats, ainsi que l'absence de garanties de reconversion professionnelle à l'issue d'un mandat, tendent à inciter au cumul des mandats.

Une limitation plus stricte du cumul pourrait être de nature à favoriser un renouvellement des élus et par conséquent l'accession d'un plus grand nombre de femmes à l'exercice d'un mandat.

a) La prise en compte des présidences d'EPCI dans le cadre de la limitation du cumul des mandats

Différents intervenants ont suggéré la prise en compte des présidences des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre au sein des mandats dont le cumul est soumis à limitation . Cette proposition a notamment été formulée par notre collègue Pierre-Yves Collombat, premier vice-président de l'AMRF, Mme Laurence Cohen, responsable de la commission « doits des femmes et féminisme » au PCF, Mme Laurence Rossignol, secrétaire nationale aux droits des femmes et à la parité au PS, et Mme Marie-Pierre Badré, présidente de l'association « Parité 50/50 », qui a d'ailleurs souhaité en étendre le champ aux vice-présidences. Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, a également évoqué cette piste de réflexion.

Mme Laurence Rossignol a en outre indiqué que le PS était favorable au mandat unique pour un parlementaire.

b) L'institution d'une limitation du cumul des mandats dans le temps

Par ailleurs, l'idée d'une limitation du cumul des mandats dans le temps a été avancée à plusieurs reprises au cours des auditions, en particulier par Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation.

Si la fixation d'une limite d'âge pour briguer une fonction élective serait probablement inconstitutionnelle, ainsi que l'a fait observer Mme Claire Bernard, directrice des études de l'ARF, une limitation du nombre consécutif des mandats à deux ou trois, par exemple, pourrait en revanche être envisagée.

Notre collègue Hugues Portelli, également professeur de sciences politiques et de droit constitutionnel à l'université de Paris II, a indiqué que cette limitation existait dans certains pays, par exemple en Italie pour les mandats locaux. Il a toutefois fait observer qu'une telle restriction conduisait les responsables politiques à organiser leur carrière, passant d'un mandat à un autre, et ne limitait pas leur permanence dans la vie politique en général.

Mme Marie-Pierre Badré, présidente de l'association « Parité 50/50 », a indiqué qu'une enquête, réalisée par son association auprès d'un millier de ses membres, avait montré que 80 % des personnes interrogées étaient favorables à la limitation temporelle du nombre de mandats, seul celui de maire étant considéré comme devant être exonéré de cette limitation. Elle a en outre estimé que les partis politiques devraient eux-mêmes prendre l'initiative d'instituer une limite d'âge pour l'exercice d'un mandat, qui pourrait être fixée, par exemple, à 75 ans, notant que plus de 10 % des députés, renouvelables en 2007, étaient âgés de plus de 75 ans, tout en reconnaissant qu'une telle limite était difficile à instituer par la loi.

Mme Florence Richard, présidente du conseil d'administration de l'association « Femmes, débat et société », a pour sa part estimé indispensable, pour moderniser la vie politique et permettre un renouvellement de la classe politique répondant à la crise actuelle de la représentation, de limiter le cumul des mandats dans leur nombre et leur durée.

Evoquant la limitation du cumul des mandats comme une solution susceptible de favoriser la représentation politique des femmes, Mme Arlette Zilberg, responsable nationale de la commission féministe des Verts, a indiqué que sa formation serait favorable à une limitation du cumul dans le temps, selon laquelle un élu ne pourrait exercer le même mandat plus de deux fois de suite.

* 67 Cf sur ce point l'étude de législation comparée du Sénat n° LC 43 - octobre 1998

* 68 Cf. article 3 de la proposition de loi.

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