II. UNE ANALYSE DES ÉCARTS DE NIVEAU DE VIE ENTRE PAYS DÉVELOPPÉS ET DE LEUR ÉVOLUTION

LE PIB PAR HABITANT, MÉDIOCRE INDICATEUR DU NIVEAU DE VIE
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Le PIB par habitant est l'indicateur utilisé pour les comparaisons internationales de niveau de vie.

Il s'agit pourtant d'un indicateur médiocre qui souffre de deux faiblesses :

- il ignore les composantes non monétaires du niveau de vie qui concourent pourtant au bien-être ;

- il souffre de nombreux éléments de fragilité statistique.

Les composantes du niveau de vie

Deux individus de deux pays différents disposant d'un PIB par habitant identique (en parité du pouvoir d'achat) peuvent avoir des « niveaux de vie » très dissemblables si l'un travaille moins que l'autre, si son espérance de vie est supérieure ou s'il vit dans un environnement moins dégradé.

Des efforts ont été faits depuis plusieurs années pour la prise en compte de ces autres dimensions de conditions de vie, notamment par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) avec son indicateur de développement humain (IDH). La méthode du PNUD a cependant été critiquée, notamment du fait de la pondération arbitraire des différentes composantes de l'indice.

Des chercheurs ont proposé une méthodologie plus convaincante qui propose de traduire en « revenu équivalent » divers éléments du niveau de vie et de corriger en conséquence le PIB par tête 28 ( * ) . Ces éléments sont le temps de travail, l'espérance de vie en bonne santé, les inégalités, la composition des ménages 29 ( * ) (en partant de l'hypothèse qu'un ménage plus nombreux peut utiliser son revenu de façon plus efficace, car un même équipement collectif bénéficie à chacun de ses membres) ou encore la destruction des ressources naturelles (soutenabilité de la croissance).

Les corrections ainsi apportées au PIB par tête en intégrant ces aspects de bien-être individuel et social conduisent à modifier les classements : le Japon et la France, par exemple, gagnent des places, tandis que les États-Unis reculent.

La fragilité statistique des comparaisons par habitant

La note de l'INSEE annexée à ce rapport d'information décrit les problèmes méthodologiques liés à la mesure des PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat (PPA) et à la fragilité des comparaisons des PIB par habitant qui en résulte (cf. Annexe, page 135).

Certains problèmes statistiques, sources d'écarts entre les pays ont été atténués avec le récent changement de base comptable (passage en « base 2000 »), tel le traitement des dépenses de logiciels : une source de sous-estimation du PIB français et de divergence avec les États-Unis était le fait que ces dépenses y étaient traitées en consommations intermédiaires (venant en déduction de la valeur ajoutée) plutôt qu'en investissement.

Néanmoins, deux difficultés principales subsistent :

- la conversion du PIB en unité monétaire pour permettre les comparaisons internationales (« Parités de pouvoir d'achat ») repose sur de multiples conventions qui peuvent influencer les classements en fonction du PIB par habitant.

Il faut rappeler à ce titre que les comparaisons de PIB par la méthode des Parités de Pouvoir d'Achat, publiées par EUROSTAT en 2002, s'appuyaient sur des mesures de PPA qui intégraient des hausses peu vraisemblables des prix de la construction en France, correspondant à une rupture des séries statistiques, diminuant d'autant la hausse du PIB en volume et conduisant ainsi à un fort recul du rang relatif de la France ;

- par ailleurs, des divergences importantes entre les conventions comptables européennes et américaines conduisent à augmenter le niveau relatif et même de la croissance du PIB des États-Unis. On peut à ce titre citer l'exemple des dépenses en équipement militaire dont certaines sont comptabilisées comme des investissements aux États-Unis, augmentant d'autant le PIB, alors qu'elles sont considérées comme des consommations intermédiaires des administrations publiques en Europe, minorant d'autant le PIB.

Ainsi «  des écarts de niveau inférieurs à 5 % en valeur absolue apparaissent (...) trop fragiles pour permettre un interclassement fiable des pays » (cf. Annexe, page 135).

A. LES ÉCARTS DE PIB PAR HABITANT EN 2004


• Le graphique n° 4 ci-dessous décrit les écarts de PIB par habitant par rapport aux États-Unis en 2004 :

- le PIB/habitant français est inférieur de 22,7 % au PIB/habitant des États-Unis ;

- celui de l'Union européenne à 15 (UE-15) est inférieur de 26,2 % et celui du Japon de 25,1 % ;

- le PIB/habitant de la France est supérieur à celui de l'Allemagne ou de l'Italie, inférieur à celui du Royaume-Uni, dans des proportions toutefois trop faibles pour être significatives, compte tenu des incertitudes statistiques ;

- le PIB/habitant de l'Irlande se rapproche de celui des États-Unis, l'écart négatif étant de 6,8 % en 2004. Ce résultat doit toutefois beaucoup au poids de l'investissement étranger : en raisonnant en revenu national brut, qui ne prend en compte que la production des entreprises nationales, le RNB/habitant irlandais serait proche de la moyenne européenne ;

- le PIB/habitant de la Chine, malgré la dynamique de rattrapage engagée reste très inférieur à celui des pays développés : de l'ordre de 1/7 e de celui des États-Unis et de 1/5 e de celui de la France.

Graphique n° 4

PIB PAR HABITANT - ANNÉE 2004
ÉCART RELATIF EN NIVEAU PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS


• Le tableau n° 5 ci-dessous décrit les contributions comptables des quatre facteurs explicatifs mis en évidence ci-dessus (le ratio de la population en âge de travailler sur la population totale, le taux d'emploi, la durée du travail et la productivité horaire) aux écarts de niveau de vie .

Tableau n° 5

LES DÉTERMINANTS COMPTABLES
ÉCARTS RELATIFS DE PIB/HABITANT EN NIVEAU PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS EN 2004 (EN %)

Écarts en niveau

PIB/tête

15-64 ans / population totale

Taux d'emploi

Durée du travail

Productivité horaire

France

-22,7

-2,8

-10,7

-20,9

+12,5

Allemagne

-27,5

-0,8

-7,4

-20,7

-0,5

Irlande

-6,8

+1,6

-4,4

-9,4

+5,9

Italie

-29,7

2,6 (2000)

-19,5 (2000)

-11,9

-10,3

Espagne

-31,2

+2,5

-8,7

-1,2

-25,6

Royaume-Uni

-20,6

-1,4 (2000)

-3,9 (2000)

-10,9

-10,2

UE-15

-26,2

+0,9 (2000)

-12,0 (2000)

-14,0

-7,9

Japon

-25,1

-0,5

+5,4

-3,9

-25,7

- la contribution du facteur démographique (ratio de la population en âge de travailler à la population totale) aux écarts de niveau de vie est faible tant pour l'Union européenne que pour la France.

Le rôle des trois autres facteurs comptables est nettement plus marqué :

- le taux d'emploi « explique » près de la moitié de l'écart négatif de niveau de vie des pays européens par rapport aux États-Unis : le niveau du taux d'emploi dans l'Union européenne à 15 est inférieur de 12 %, pour un écart total de PIB/habitant de 26,2 % ; et de 10,7 % pour la France pour un écart de PIB/habitant de 22,7 %. Au Royaume-Uni et en Irlande toutefois, l'impact négatif de ce facteur est faible.

Au Japon enfin, le taux d'emploi est supérieur à celui des États-Unis.

Les niveaux de taux d'emploi relativement aux États-Unis sont décrits dans le graphique n° 5 ci-dessous.

Graphique n° 5

TAUX D'EMPLOI - ANNÉE 2004
ÉCART RELATIF EN NIVEAU PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS


• L'impact négatif de la durée du travail sur le niveau de vie comparée entre l'Union européenne à 15 et les États-Unis est net :

- la durée du travail dans l'UE-15 est inférieure de 14 % à celle des États-Unis (pour un écart de PIB/habitant de 26,2 %) ;

- la France et l'Allemagne se situent dans une position extrême au sein de l'UE-15 avec une durée du travail inférieure respectivement de 20,9 % et 20,7 % à celle des États-Unis, presque équivalente à l'écart de PIB/habitant.

- pour l'Espagne au contraire, et le Royaume-Uni dans une moindre mesure, la durée du travail est plus proche de celle des États-Unis (respectivement -1,2 % et -10,9 %).

Les niveaux de durée du travail dans les principaux pays développés relativement aux États-Unis, sont décrits dans le graphique ci-après.

Graphique n° 6

DURÉE DE TRAVAIL - ANNÉE 2004
ÉCART RELATIF EN NIVEAU PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS


• Le dernier déterminant comptable du niveau de vie est le résidu laissé inexpliqué par les trois facteurs précédents : il s'agit de la productivité horaire apparente du travail .

Le graphique n° 7 ci-après décrit les niveaux de productivité de quelques pays développés relativement aux États-Unis.

Le constat est le suivant :

- le niveau moyen de la productivité horaire dans l'UE-15 était en 2004 inférieur de 7,9 % à celui des États-Unis.

- ce résultat global masque cependant des situations très contrastées : le niveau de la productivité horaire en France et en Irlande est supérieur à celui des États-Unis (respectivement +12,5 % et +5,9 %).

- le Royaume-Uni, l'Italie et surtout l'Espagne, ont une productivité horaire plus faible que celle des États-Unis (respectivement -10,2 %, -10,3 % et -25,6 %).

- La productivité horaire au Japon est également très inférieure à celle des États-Unis (-25,7 %).

Graphique n° 7

PRODUCTIVITÉ HORAIRE APPARENTE DU TRAVAIL - ANNÉE 2004
ÉCART RELATIF EN NIVEAU PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS

* 28 « Les champions du PIB par tête et ceux du niveau de vie », Marc FLEURBAEY et Guillaume GAULIER, Lettre du CEPII, octobre 2006.

* 29 Les niveaux de vie moyens qui rapportent le revenu à la population, comme si chacun vivait seul, doivent être réévalués pour tenir compte de la taille moyenne des ménages dans les différents pays.

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