b) La force de la culture d'entreprise, comme capacité à fédérer des cultures externes

Un autre facteur clé de la performance des grands groupes internationaux paraît résider dans la nature spécifique de leur culture d'entreprise, et la solidité de celle-ci. Cette force résulte notamment d'une certaine aptitude à accueillir et intégrer des cultures d'abord extérieures au groupe.

Des cultures d'entreprises ouvertes : quelques témoignages

De nombreux interlocuteurs de La mission commune d'information ont mis en avant leur attachement à des principes d'ouverture et de rassemblement combinés au fondement de la culture de leur entreprise.

M. Xavier Fontanet, président-directeur général d'Essilor (1) , a ainsi présenté la démarche fédératrice de son groupe : « Ayant travaillé dans des pays opprimés, nous savons à quel point un système qui ne favorise pas la liberté des individus est épouvantable, le stress étant le petit prix à payer pour cette liberté. Ce sont ces notions fondamentales que reprend la "charte essilorienne" et c'est à travers leur patrimoine que les individus appréhendent le mieux ces notions. Or, comme je le répète souvent aux employés, notre société Essilor est une entreprise magnifique, une "petite flamme" que nous devons entretenir par le biais de notre travail. Il s'agit en effet de notre plus grande motivation pour résister aux dangereux concurrents, notamment américains, qui nous menacent. Notre succès est justement dû à notre attachement à cette "petite flamme" [...] Essilor [...] est une petite entreprise de culture française, ce que nos employés acceptent. En revanche, il nous incombe de veiller à ce que l'Américain qui travaille chez Essilor puisse être à l'aise avec sa nationalité, ce qui suppose un style de management différent (2) . »

Selon un même schéma, au sein de Sanofi-Aventis, d'après les propos de M. Jean-François Dehecq (3) , « il existe un principe qui est le respect de l'autre. C'est un mode de vie à l'intérieur du système. Celui qui ne respecte pas fondamentalement les gens qui dépendent de lui - le reste a peu d'importance -, il faut le mettre dehors. Le respect de l'autre, c'est aussi le respect des cultures, des pays et la solidarité qui fait que, de temps en temps, quand on a des gens en trop, on attend que le temps passe. Quand cela va mal d'un côté, on essaye de faire en sorte que cela pousse un peu plus de l'autre. »

De façon semblable encore, M. Franck Riboud, président-directeur général de Danone SA (4) , a exposé : « Lorsque nous réalisons des acquisitions, il s'agit, dans 90 % des cas, d'entreprises familiales non cotées. Pour les convaincre, dans un contexte où la compétition entre multinationales est omniprésente, notre force réside dans le fait que nous nous engageons à préserver la culture des entreprises : nous respectons le management qui est en place au moment de notre arrivée, les enfants des créateurs des entreprises concernées sont souvent intégrés dans l'équipe de managers de Danone, etc. Nous en avons fait un véritable positionnement. »

(1) Audition précitée du 21 septembre 2006.

(2) Sur la solidité de la culture d'entreprise comme bouclier contre les prises de contrôle agressives, cf. infra , 2 e partie, II, A, 1.

(3) Audition précitée du 15 mars 2007.

(4) Audition du 31 janvier 2007.

De ce point de vue, la « firme globale » fonctionne un peu comme la légion étrangère : elle recrute, et fédère, au service ordonné d'un même objectif, des compétences d'horizons très divers . M. Gérard Mestrallet, président-directeur général du groupe Suez et président de Paris Europlace 204 ( * ) , juge que « les entreprises qui réussissent le mieux sont celles qui savent prendre le meilleur de chaque pays et culture, ce qui suppose flexibilité et adaptabilité ».

On observe que l'importance accordée à la culture d'entreprise, conçue comme élément dynamique - moteur - du groupe, tend à estomper la nationalité de ce dernier . C'est un constat qu'a bien illustré M. Franck Riboud, lors de son audition du 31 janvier 2007, devant la mission commune d'information, en s'exprimant en ces termes :

« Il me semble que nous sommes passés de l'époque de la nationalité de l'entreprise à celle de la culture d'entreprise. Danone est une entreprise française, dont la marque est espagnole à l'origine. Nous n'avons plus que 12.000 salariés en France, contre plus de 40.000 en Asie Pacifique, dont 25 % se trouvent en Chine. Il convient de prendre garde aux idées reçues. En termes de management, l'encadrement n'est désormais français qu'à hauteur de 40 %, même si le comité exécutif de Danone comprend davantage de Français que d'étrangers.

[...] Dans le cadre de la prise de décisions au quotidien, la nationalité des gens ne compte pas. Ce sont les compétences qui sont essentielles. Il serait d'ailleurs désobligeant, vis-à-vis des salariés, de revendiquer notre nationalité française. Par contre, la culture est très importante, comme je l'ai souligné dans la presse au moment où couraient les rumeurs [d'OPA du groupe PepsiCo sur Danone, à l'été 2005]. J'estime qu'elle représente un avantage compétitif. [...] Lorsqu'un travail a été mené sur les valeurs du groupe, la latinité est clairement ressortie. Néanmoins, cette valeur n'a pu être reconnue en tant que telle car il faut prendre en compte la présence de salariés chinois qui ne comprennent pas cette notion. Il n'est pas envisageable de proposer des signaux qui soient uniquement reconnus par une catégorie de personnes de l'entreprise. Ils doivent s'adresser à l'ensemble du personnel. [...] Il me semble vraiment que la nationalité de l'entreprise est une thématique dépassée au sein de l'entreprise. La culture, qui est le fruit d'une histoire, des origines d'une entreprise, du contexte, etc., prend le relais. »

A tout le moins, dans ce contexte, lorsque des considérations d'appartenance géographique entrent en ligne de compte, elles sont plus souvent régionales, à l'échelle de plusieurs Etats, que strictement nationales .

Par exemple, même si à ses yeux « avoir un centre de décisions en France fait partie de la culture Danone », M. Franck Riboud, plutôt que les racines françaises de son groupe, y fait primer la notion de « latinité » : « La latinité qui caractérise l'approche des problèmes chez Danone donne une lecture différente de celle qui serait faite dans un environnement anglo-saxon. Je considère que cette approche doit être défendue. »

De manière concordante, M. Nicolas Véron, chercheur au centre de réflexion BRUEGEL 205 ( * ) , en s'appuyant sur son étude « Adieu, champions nationaux », a indiqué qu'on pouvait à présent « de moins en moins parler d'entreprises françaises, allemandes ou espagnoles. En revanche, nous pouvons parler autant d'entreprises européennes que d'entreprises américaines. »

Cette identité européenne, donc transnationale, des entreprises « plurinationales » de notre continent , constitue sans doute, en effet, un modèle riche d'avenir. C'est en particulier celui que défend M. Louis Gallois pour EADS : « je considère que nous devrons inévitablement nous diriger vers un modèle d'entreprise plus souple dans son actionnariat, avec davantage de simplicité dans sa gouvernance, et une gouvernance qui tienne moins compte des clivages nationaux. [...] Les entreprises, principalement dans notre domaine, ont une identité. L'identité d'EADS est européenne, et il doit en être ainsi. Elle ne peut pas être l'addition de quatre identités nationales 206 ( * ) . » Le trait est symptomatique des mutations qui affectent aujourd'hui, sous l'angle géographique, l'organisation du pouvoir économique.

* 204 Audition du 19 octobre 2006.

* 205 Audition précitée du 18 octobre 2006.

* 206 Audition précitée du 17 janvier 2007.

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