M. Aymeric de Chalup, responsable du pôle « prestations familiales » à la direction des prestations familiales de la Caisse nationale des allocations familiales

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Nous accueillons M. Aymeric de Chalup, responsable du pôle « prestations familiales » à la direction des prestations familiales de la CNAF.

Jusqu'à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et à son décret d'application du 13 avril dernier, le partage des prestations familiales n'était pas possible en cas de résidence alternée. Depuis lors, seul le partage des allocations familiales est prévu.

Pouvez-vous nous dire quelles sont les pistes de réflexion pour permettre le partage des autres prestations familiales, notamment des aides au logement ?

M. Aymeric de Chalup, responsable du pôle « prestations familiales » à la direction des prestations familiales de la Caisse nationale des allocations familiales.-

Au préalable, je rappelle que l'on recense environ 10.000 décisions de divorce avec résidence alternée par an, ce qui ne veut pas dire que toutes les situations sont problématiques pour les caisses d'allocations familiales (CAF) - loin de là. Dans la plupart des cas, les parents s'entendent bien et le choix de l'allocataire unique se fait dans la bonne entente. Le problème est que, lorsqu'il y a conflit, la réglementation actuelle ne permet pas de sortir de ce blocage.

La réglementation des prestations familiales est fondée sur la notion de charge de fait. On prend en compte la situation de fait. C'est un principe qui a permis de s'adapter aux différentes évolutions familiales - familles recomposées, homoparentales notamment. On n'exige pas un lien de parenté entre parents et enfants. On verse des prestations familiales aux familles recomposées de la même manière qu'aux familles non séparées.

Quel est le problème en matière de résidence alternée ? Actuellement, la réglementation du code de la sécurité sociale n'est pas adaptée à ces situations. Le principe est que les parents doivent désigner un allocataire unique pour un même enfant. Cela résulte de la conjugaison de trois règles.

L'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les prestations sont versées à la personne qui assume la charge effective et permanente de l'enfant.

L'article R. 513-1 prévoit que la qualité d'allocataire n'est reconnue qu'à une seule personne.

Ces deux règles sont antinomiques. D'un côté, la personne qui assume la charge permanente est l'allocataire. Or, il ne peut y avoir qu'un seul allocataire. Lorsque les deux parents assument la charge, à qui verser les prestations ? C'est là le problème.

Actuellement, aucune règle ne permet de déroger à ces deux articles.

Une troisième règle, également prévue à l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale, prévoit les cas de divorce et de séparation. Lorsque les deux parents se séparent et ont chacun la charge effective et permanente, l'allocataire est celui des membres du couple au foyer duquel vit l'enfant. Cela ne résout donc pas le problème, puisque l'enfant vit chez les deux parents en cas de résidence alternée. Il y a donc un vide juridique.

Comment font les CAF pour se sortir de ces situations ? Lorsqu'il y a accord spontané entre les parents, ceux-ci s'entendent pour désigner l'un des deux comme allocataire.

Dans le cas inverse, les CAF recherchent une solution par différents moyens. Le premier est de chercher une référence dans une décision de justice du juge aux affaires familiales. Le juge n'a toutefois pas compétence pour imposer un bénéficiaire des prestations familiales. Il n'est là que pour entériner un accord entre parents.

Cette référence aux prestations familiales est donc très peu présente dans les jugements. Cela simplifierait les choses mais la Cour de cassation dit clairement que ce n'est pas de la compétence du juge aux affaires familiales.

Lorsqu'il n'y a pas de référence à la décision de justice, les CAF proposent une médiation familiale.

Une autre solution consiste à proposer l'alternance du versement des prestations. Le changement de bénéficiaire ne peut toutefois intervenir qu'au bout d'un an, ce qui n'est pas forcément toujours très équitable, les prestations évoluant selon l'âge de l'enfant.

A défaut, un recours contentieux devant le tribunal des affaires de sécurité sociale est nécessaire.

Dans un avis rendu le 26 juin 2006 la Cour de cassation a éclairé quelques points et a permis de réactiver le débat qui a mené à la réforme du partage des allocations familiales. On peut retenir trois éléments de cet avis.

Tout d'abord, en cas de résidence alternée, les deux parents doivent être considérés comme assumant la charge effective et permanente de l'enfant. Chacun peut donc être allocataire.

Ensuite, le juge aux affaires familiales n'est pas compétent pour imposer un bénéficiaire des prestations familiales. Il ne peut qu'entériner un accord entre les parents.

Enfin, la Cour de cassation rappelle la possibilité d'alterner les versements mais seulement par périodes d'au moins un an, alors que certains tribunaux ont proposé l'alternance tous les mois, ce qui est contraire à la réglementation.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Il me semble que, dans son avis, la Cour de cassation n'a pas mentionné de délai.

M. Aymeric de Chalup.-

Cette durée d'un an est effectivement fixée par le code de la sécurité sociale.

Une solution a été trouvée, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, pour le partage des allocations familiales.

Les CAF versent de nombreuses autres prestations. Il serait logique d'aller au-delà du partage des allocations familiales. En pratique, c'est beaucoup plus compliqué à mettre en place et il est très difficile de fixer une règle unique applicable à toutes les prestations, celles-ci étant de nature différente. Les conditions d'attribution varient selon chaque prestation ; certaines évoluent selon le nombre d'enfants, d'autres sont plafonnées, d'autres encore sont soumises à des conditions de ressources. Appliquer une règle unique à toutes les prestations ne permettrait pas d'obtenir les mêmes effets.

Si l'on imagine une solution différente pour chaque prestation, il convient de respecter trois impératifs. Tout d'abord la solution doit assurer la neutralité entre les parents. Ensuite, l'équité entre familles séparées et non séparées doit être respectée. Enfin, il convient de conserver l'esprit initial de la prestation.

En matière de prestations d'accueil du jeune enfant, il existe un complément de libre choix du mode de garde lorsque les parents ont recours à une assistante maternelle ou à une garde d'enfant à domicile. Le montant dépend à la fois des ressources des parents, du temps de garde et du salaire versé. Si on divise le montant en deux, on le déconnecte complètement des motifs pour lesquels il est versé. On s'éloigne donc vraiment de l'esprit initial de la prestation.

Les aides au logement figurent sûrement parmi les prestations pour lesquelles le besoin est le plus fort. Même si l'enfant est à mi-temps chez l'un et chez l'autre, les parents se doivent d'avoir un logement adapté, par exemple une chambre pour lui, même si elle n'est pas occupée à plein temps. La charge est réelle pour les deux parents.

Pour autant, le partage des prestations est assez compliqué à réaliser. Celles-ci dépendent de plusieurs paramètres comme le nombre d'enfants, la zone géographique - grande ville ou petite commune rurale - et le loyer versé.

Une première solution aurait pu consister à prendre le montant versé à l'un des parents et verser la moitié à l'autre. On voit bien qu'une aide au logement est calculée en fonction d'une situation propre ; verser la moitié à l'un n'a plus aucun lien avec la situation du logement de l'autre parent.

On aurait pu aussi s'inspirer de ce qui a été fait en matière d'allocations familiales et proratiser l'aide en fonction du temps de présence des enfants.

Si les enfants sont en résidence alternée, on proratise en fonction d'un coefficient de 0,5, alors que si les enfants sont à temps plein, c'est un coefficient 1 que l'on applique. Le nombre d'enfants étant un paramètre parmi de nombreux autres, partager la part liée à l'enfant ne conduirait pas mécaniquement à partager l'aide à même hauteur.

On peut envisager deux scénarios.

Un premier scénario, qui s'avère très coûteux, consiste à considérer que chaque parent a la charge pleine et entière de tous les enfants. Cela a le mérite de verser une aide qui correspond à la charge de chaque parent mais le montant versé au total serait plus élevé qu'actuellement.

Il convient toutefois de relativiser ce surcoût, même s'il existe, car les cas de résidence alternée conflictuels sont assez limités et l'option de résidence alternée est dans la plupart des cas choisie par des familles relativement aisées alors que les aides au logement sont soumises à conditions de ressources, donc destinées à des revenus plus modestes.

Un second scénario pourrait consister à verser la prestation à l'un des parents, comme c'est le cas actuellement, et à verser une aide à l'autre parent. Celle-ci pourrait prendre deux formes.

La première consiste en un abattement sur ses ressources afin qu'il puisse bénéficier de l'aide au logement s'il est juste au-dessus du seuil. Bien évidemment, s'il en bénéficiait déjà, cela n'aura aucun impact.

La seconde consiste en une majoration de son aide au logement. L'inconvénient est que cette solution ne bénéficierait qu'aux personnes recevant déjà l'aide au logement. Si les personnes n'entrent pas dans ce cadre, elles n'auront pas droit à la majoration. En outre, les parents devront s'entendre pour savoir à qui verser l'aide principale. On retombe là sur le blocage actuel.

Chaque solution à donc ses inconvénients.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Il existe neuf prestations familiales. Que fait-on par exemple de l'allocation de rentrée scolaire s'il y a résidence alternée ?

M. Aymeric de Chalup.-

Actuellement, les parents désignent un allocataire unique. Tous les enfants sont rattachés à l'un des parents, qui perçoit une allocation de rentrée scolaire par enfant. Le problème du partage de l'allocation de rentrée scolaire est qu'elle est soumise à conditions de ressources.

Dès lors se pose la question de savoir quel plafond de ressources on applique. Applique-t-on le plafond à une famille de quatre enfants ou pour deux enfants si l'on estime que chaque parent en a la charge la moitié du temps ?

Si l'on applique le plafond pour quatre enfants, cela peut créer une inéquité par rapport aux parents qui ont deux enfants : on peut imaginer qu'ils ont le même temps de garde. C'est un premier problème.

Le second problème pourrait venir du fait que le montant versé au total peut être désavantageux pour les parents et donc pour les enfants.

Si on répartit les enfants à la fois chez le père et chez la mère, il peut y avoir plusieurs situations : soit les deux parents remplissent les conditions de ressources et le montant versé au total sera le même ; soit l'un des parents remplit la condition de ressources alors que l'autre ne la remplit pas, et une partie de l'allocation de rentrée scolaire ne sera alors pas versée, ce qui est désavantageux pour les enfants. Le principe de base est que les prestations sont versées dans l'intérêt de l'enfant. Or, le montant versé serait ici inférieur à la situation actuelle.

M. André Lardeux.-

Le problème des prestations est un casse-tête chinois. Dans votre hypothèse, pour les aides au logement, vous donnez le maximum à chacun des deux parents. Comment faites-vous pour répondre aux familles non séparées qui peuvent considérer qu'elles seraient désavantagées par rapport aux familles séparées ?

Il arrive en outre que ces familles séparées avec résidence alternée se recomposent. Dans ce cas, certains enfants sont en résidence alternée et d'autres sont là tout le temps.

Une question me vient à la suite de ce qui a été dit ce matin. Quelqu'un a affirmé que le partage des allocations familiales, tel qu'il est fait actuellement, dans certains cas, peut aboutir à une diminution de la prestation. Est-ce exact ?

M. Aymeric de Chalup.-

Ce peut être le cas lorsqu'une famille a deux enfants mais un seul en résidence alternée. La règle est de proratiser en fonction de la résidence alternée ou de la résidence pleine. Dans ce cas, on va verser les allocations familiales pour deux enfants mais diminuer d'un coefficient de 0,5, soit 1,5 du montant initial.

M. André Lardeux.-

Votre réponse est logique. L'enfant, s'il est unique pour le second parent, n'ouvre pas le droit aux allocations familiales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Si l'autre parent a un enfant d'un autre mariage, le fait d'avoir le second en résidence alternée va-t-il produire les mêmes droits que pour la maman qui aura conservé le premier enfant en totalité, plus un demi ?

M. Aymeric de Chalup.-

Le principe est de verser un montant en fonction de la configuration actuelle de la famille. Lorsque la famille est recomposée, on prend en compte les enfants en résidence alternée et les enfants d'un autre foyer.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Si on comptabilise un enfant et demi de chaque côté, les deux parents reçoivent-ils autant ou tout le monde perd-il puisque plus personne n'en a deux ?

M. Aymeric de Chalup.-

Dans le cas où il y a un enfant en résidence alternée plus un enfant d'un autre foyer, on va verser des prestations parce que l'on considère qu'il y a deux enfants ; il y a donc un droit aux allocations mais c'est le montant qui sera diminué. Que le deuxième enfant soit issu d'un autre foyer ou non, le montant sera le même entre les familles recomposées ou non.

Le calcul se fait en deux temps. La proratisation se fait dans la seconde étape. La première étape consiste à prendre en compte le nombre réel d'enfants. Dans ce cas-là, on considère qu'il y a deux enfants. On prend donc comme base de départ le montant des allocations familiales pour deux enfants. La seconde étape consiste à proratiser. C'est ce montant que l'on va réduire d'une demi-part.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Dans le cas que j'indiquais, on augmente la charge des caisses d'allocations familiales si, dans le second foyer, un enfant est déjà présent. L'arrivée de l'enfant en résidence alternée va entraîner, en effet, l'ouverture de nouveaux droits aux allocations familiales.

M. Aymeric de Chalup.-

Dans ce cas, oui.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Avec l'augmentation du nombre des familles recomposées, c'est un fait désormais courant.

M. Aymeric de Chalup.-

C'est le principe de charge de fait dont je parlais en préambule qui explique cette règle. On considère que, dans le nouveau foyer, même s'il n'y a pas de lien de parenté, le conjoint assume la charge de cet enfant comme un autre enfant.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Dans le cas où la demi-part s'ajoute à un foyer comptant déjà deux enfants à charge, il produit des droits considérables puisque les allocations familiales augmentent fortement à compter du troisième enfant. Loin d'un simple partage, il s'agit bien de la création de nouveaux droits.

M. André Lardeux.-

A quelle date constatez-vous la situation de fait ?

M. Aymeric de Chalup.-

On la prend en compte au moment où les parents font la demande ; si un nouvel enfant arrive au foyer, les parents sont censés informer la CAF, qui actualise le dossier.

En cas de séparation, on va calculer le montant après la séparation. On prend toujours la situation actuelle.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Il y a donc manifestement un intérêt économique pour la résidence alternée !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

En tant que président du conseil de surveillance de la Caisse nationale des allocations familiales, je me dois d'attirer l'attention non seulement sur les surcoûts mais aussi sur le surcroît de travail que tout cela engendre.

Mme Gisèle Gautier.-

La question de la fiscalité des ménages recomposés s'impose à notre esprit, sans qu'elle relève de votre compétence - mais la logique doit être la même.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

En matière fiscale, les choses sont à peu près claires depuis la loi de finances rectificative pour 2002.

Mme Gisèle Gautier.-

Il faudrait peut-être creuser un peu.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

On constate tous, en tant qu'élus locaux, que l'on doit multiplier les logements pour prendre en compte les ruptures familiales.

Toutefois, de temps en temps, des parents se prétendent isolés alors qu'ils ne le sont pas vraiment. Quels sont les moyens de contrôle des caisses d'allocations familiales ?

M. Aymeric de Chalup.-

C'est un autre sujet. Il est très à la mode. La CNAF, comme les autres organismes sociaux, a développé des plans de contrôles ciblés en fonction des risques.

Ces risques ont été identifiés ; des actions particulières sont mises en place pour ces situations. Les aides au logement et les aides aux parents isolés sont des cibles prioritaires pour ces contrôles.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Je vous remercie.

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