Commission de régulation de l'énergie (CRE) - 1er février

M. Philippe de Ladoucette, président

M. Bruno Sido , président - Nous recevons maintenant Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE - La sécurité d'approvisionnement en matière électrique repose sur deux facteurs : la production et le transport. Les moyens de production ont constitué un sujet essentiel de préoccupation en France et en Europe au cours du XX ème siècle mais le second élément, à savoir le flux, est souvent resté au second plan. Or, la sécurité d'approvisionnement en électricité dépend tout autant de la quantité d'énergie produite que de la gestion optimale de ces flux dans l'espace et dans le temps. Le fait que l'électricité ne soit pas stockable entraîne l'obligation pour le gestionnaire de réseau de veiller, d'une part, à assurer constamment l'équilibre entre l'offre et la demande en électricité et, d'autre part à ce que le réseau soit toujours prêt à transporter la totalité de l'électricité produite. La sécurité d'approvisionnement revient alors à garantir une double fiabilité, celle de la production et celle du réseau.

La CRE n'est pas l'autorité garante de la sécurité d'approvisionnement. Toutefois, un certain nombre de ses compétences lui donne un rôle majeur dans ce domaine, quand bien même elle n'intervient pas dans le choix des modes de production, ni dans la politique de maîtrise de la demande.

La CRE, autorité indépendante en charge de la régulation dans le domaine du gaz et de l'électricité, tire son existence et ses missions de la loi du 16 février 2000 transposant les dispositions de la directive européenne de 1996 qui fixe le cadre et les modalités d'ouverture du marché de l'électricité, complétées dans le domaine du gaz par la loi du 3 janvier 2003 transposant la directive européenne de 1998.

Les compétences de la CRE ont été, au fur et à mesure, renforcées, notamment par les lois du 13 juillet 2005 et du 7 décembre 2006 transposant les directives européennes du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz et de l'électricité. Ainsi, la CRE dispose aujourd'hui de missions étendues :

- concourir, au bénéfice des consommateurs finals, au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz naturel ;

- garantir un accès transparent et non discriminatoire aux réseaux et aux infrastructures de gaz et d'électricité ;

- surveiller les transactions sur les marchés, organisés ou non ;

- mettre en oeuvre les dispositions relatives au service public en vue de concilier concurrence et maintien des missions de service public, comme c'est le cas pour le tarif social en gaz et en électricité et pour la péréquation des tarifs.

La CRE n'est donc pas l'autorité garante de la sécurité d'approvisionnement. Cette dernière, qui recouvre en particulier la sécurité de l'approvisionnement en énergie primaire, relève du ministre en charge de l'énergie. L'électricité n'est qu'une énergie dérivée dont la production dépend de multiples sources d'énergies primaires. Cette multiplicité est un atout en matière de sécurité d'approvisionnement. Néanmoins, la CRE dispose d'une série de compétences qui sont autant de leviers contribuant à l'action des pouvoirs publics en matière de sécurité d'approvisionnement de l'électricité. Plus précisément, la CRE contribue à assurer la prévention des risques de défaillance du réseau à court et long terme.

La sécurité d'approvisionnement repose à chaque instant sur la nécessité pour le gestionnaire de réseau de trouver les marges de production disponibles sur le territoire national et chez nos voisins afin de pallier la survenue d'un aléa comme un incident de production, un incident de réseau ou des variations de consommation.

C'est l'objet du mécanisme d'ajustement, qui permet d'assurer en permanence l'équilibre des flux d'électricité sur le réseau, ainsi que la sécurité, la sûreté et l'efficacité de son exploitation à un coût raisonnable. La loi a confié à RTE la responsabilité du fonctionnement de ce mécanisme et au régulateur l'approbation préalable de ses règles. Ce mécanisme mis en place au début de 2003 a été progressivement amélioré. L'un des objectifs que la CRE a fait partager au groupe des régulateurs européens est le renforcement de la compatibilité des différents mécanismes appliqués en Europe.

La loi de 2000 soumet le programme d'investissement du gestionnaire de réseau de transport, en l'occurrence RTE, à l'approbation de la CRE. Il s'agit là d'une compétence majeure puisque, concrètement, la CRE a la charge de vérifier que le programme d'investissement de RTE permet d'assurer à la fois le bon entretien et le développement des réseaux au regard des projets de raccordement des producteurs d'électricité et des prévisions d'évolution de la demande.

Elément essentiel de la capacité d'investissement du gestionnaire de réseau, les conditions d'utilisation du réseau et, notamment, les tarifs d'accès aux réseaux, sont proposés par la CRE aux ministres compétents. La CRE s'attache à ce que le niveau de ces tarifs permette au gestionnaire de réseau d'investir dans le développement et le renouvellement du réseau. Tel est bien le cas aujourd'hui avec la rémunération servie au capital investi, avec un taux nominal de 7,25 %, qui permettra à RTE d'investir 740,7 millions d'euros pour l'année 2007.

Cette compétence concerne tout autant le réseau national que les interconnexions aux frontières, qui doivent être suffisantes afin notamment de pouvoir bénéficier des marges de production disponibles chez nos voisins. C'est une préoccupation constante de la CRE lorsqu'elle exerce le pouvoir que la loi lui a confié d'approuver les programmes d'investissement de RTE. Vous avez pu noter que la CRE a regretté la faiblesse des investissements et aurait souhaité que l'affichage corresponde à une forme de volontarisme politique montrant qu'il est nécessaire de prévoir des investissements sur les interconnexions. Cependant, la CRE est parfaitement consciente des difficultés en matière réglementaire et administrative à obtenir les autorisations pour construire une infrastructure. Mais elle est en débat avec RTE, qui estime délicat d'afficher un programme d'investissement dont on sait qu'il sera difficile à réaliser. Mais la CRE souhaiterait que RTE affiche ce programme car cela permettrait d'émettre un signal sur la nécessité de le réaliser et, dès lors, de se mettre en situation de trouver les moyens de résoudre le problème rencontré pour la construction des infrastructures.

L'interconnexion des réseaux électriques européens est une réalité ancienne qui date de l'immédiat après-guerre. Elle a alors permis aux pays européens de partager une ressource rare, la production d'énergie électrique. La période de pénurie révolue, elle a permis d'améliorer la sécurité d'exploitation par un partage des réserves de production. Enfin, elle a permis le développement des échanges commerciaux entre les différents producteurs européens. La France en a bénéficié en écoulant le surplus de production nucléaire dont elle disposait et en devenant ainsi le plus gros exportateur d'électricité du continent européen. En 2006, la France est largement exportatrice avec l'ensemble de ses voisins, à l'exception notable de l'Allemagne qui importe 9,5 térawattheures (TWh) et en exporte 15. Le président d'EDF vous donnerait des chiffres sensiblement différents. En effet, EDF est quasiment à l'équilibre mais ce n'est pas le seul intervenant sur le marché, et ce sont les autres acteurs du marché qui font qu'aujourd'hui la France est plus importatrice qu'exportatrice vis-à-vis de l'Allemagne.

Je souhaite d'emblée rejeter l'idée qu'une réduction de l'interconnexion des réseaux électriques et le choix de l'autonomie nationale des réseaux permettraient de renforcer la sécurité d'approvisionnement. Lorsqu'elle est convenablement gérée, l'interconnexion des réseaux permet au contraire de minimiser les conséquences d'une défaillance sur un point du réseau. Le 4 novembre dernier, la coordination des gestionnaires de réseaux européens n'a pas été aussi approfondie que nécessaire. Elle a néanmoins permis d'éviter un effondrement total du réseau allemand aux conséquences bien plus désastreuses. En outre, elle permettrait de secourir le réseau français, si cela était un jour nécessaire.

Je vais maintenant passer la parole à M. Michel Massoni, directeur de l'accès aux réseaux électriques à la CRE, qui va approfondir les deux points que je viens d'évoquer -la prévention à court et long termes- avant d'arriver aux conclusions que nous tirons de l'enquête menée avec les régulateurs européens sur la panne du 4 novembre 2006.

M. Michel Massoni, directeur de l'accès aux réseaux électriques à la CRE - Je vais essayer de rendre concrets les éléments clés qui justifient les préconisations de la CRE pour un fonctionnement fluide des échanges internationaux d'électricité et leur contribution à la sécurité d'approvisionnement. Avant de commenter les conclusions que les régulateurs européens tirent de l'incident du 4 novembre dernier, je souhaite revenir sur le fonctionnement historique des réseaux électriques européens pour montrer les évolutions qui sont absolument nécessaires, quel que soit le contexte économique dans lequel on se situe.

Un changement d'échelle est nécessaire dans la gestion des réseaux afin de développer la sécurité d'approvisionnement. Pendant de nombreuses années, les électriciens européens avaient une vision essentiellement nationale, à la réserve près qu'un certain nombre de dispositions étaient prises pour du secours ponctuel, mais sur des bases assez marginales car le réseau européen est relativement fiable comparativement aux réseaux d'autres continents. Aussi, pendant très longtemps, les électriciens européens ont utilisé pour leurs échanges le concept de « chemin contractuel », schématisation grossière des échanges consistant à postuler que, par exemple pour aller de France en Autriche, l'électricité passait de France en Allemagne puis d'Allemagne en Autriche. En réalité, la physique des échanges électriques est très différente et induit qu'une partie de l'électricité va suivre ce chemin mais qu'une autre partie va sans doute suivre un chemin traversant la Suisse. Les électriciens s'appuyaient sur ce concept car ils vendaient de l'électricité à des entreprises verticalement intégrées, en n'isolant pas le coût du transport. En conséquence, dans les échanges historiques, le coût de l'électricité était prédominant et le recouvrement précis des coûts de transport n'était pas une priorité. Or, la rémunération du transport nécessite de mettre en évidence le coût induit par les échanges et, pour être équitable, de suivre les lois de la physique du déplacement de l'électricité dans les réseaux. La difficulté réside alors dans le fait que l'électricité ne va pas d'un point à un autre par un chemin défini mais qu'elle se diffuse dans les réseaux. Ce problème est spécifique à l'électricité, ce qui la distingue d'autres fluides comme le gaz ou le pétrole.

Compte tenu du passé, la gestion économique rationnelle des interconnexions fondée sur la physique des échanges n'était pas possible et cet état de fait pouvait même engendrer des situations dangereuses. Ce fut le cas de l'incident emblématique survenu sur le réseau belge le 14 juillet 1999. Ce jour-là, les réseaux de transport d'électricité français et belge ont dû faire face à des flux d'énergie transfrontaliers non prévus, extrêmement importants et mettant en jeu la sécurité du réseau belge. Les mesures d'urgence prises ont consisté à interrompre les transactions prévues, déclarées et organisées entre EDF et Electrabel, car les flux d'énergie dont l'origine était inconnue ne pouvaient pas être gérés. L'analyse a révélé ultérieurement que ces flux d'énergie impromptus venaient du réseau allemand, les gestionnaires allemands ayant oublié de prévenir leurs collègues étrangers des modifications intervenues dans l'exploitation de leurs réseaux pour régler leurs propres problèmes. Il est vrai qu'à l'époque, rien ne les y contraignait.

Cet incident est à l'origine de la réflexion des régulateurs et des gestionnaires de réseaux sur la nécessité d'améliorer la coordination des réseaux nationaux. En effet, la prise en compte de la physique des échanges suppose une forte coordination entre le pilotage du réseau de la zone donnée et celui des réseaux voisins. C'est vrai à l'échelle d'un pays : la Bretagne, région fortement déficitaire en production d'électricité, est correctement alimentée grâce au réseau et à la coordination que le gestionnaire de réseau français assure pour l'alimenter à partir de moyens de production situés dans d'autres régions. La sécurité d'approvisionnement de la Bretagne dépend donc de la coordination que RTE assure, de façon centralisée à Saint-Denis, entre les sept centres régionaux dont la France est dotée. Ce que nous résolvons de manière tout à fait correcte en France va devoir être résolu à l'échelle européenne. Je prends l'exemple de l'Italie, qui a vécu un véritable black-out le 28 septembre 2003 : fortement importatrice, l'Italie dépend de la France, de la Suisse et de l'Allemagne pour une partie de son alimentation en électricité. Or, son gestionnaire du réseau de transport se coordonne moins efficacement avec les gestionnaires de réseaux des pays voisins que RTE est capable de le faire aujourd'hui en coordonnant la production et la consommation entre les différentes régions françaises, notamment la Bretagne. La sécurité d'approvisionnement en électricité peut être améliorée par une mise en commun des moyens de production à une échelle large. Pour la Bretagne, l'échelle est française. Pour l'Italie, l'échelle est européenne, même si aujourd'hui la coordination n'est probablement pas suffisante. Pour que cette mise en commun des moyens puisse correctement fonctionner, cinq conditions, sur lesquelles les régulateurs et les gestionnaires de réseaux sont d'accord, sont nécessaires :

- les différentes zones sont connectées par des infrastructures de capacité suffisante. Par exemple, avec la capacité qui existe aujourd'hui entre la France et l'Espagne, il est illusoire de prétendre secourir le réseau espagnol par le réseau européen, et en particulier par le réseau français ;

- les règles de marché d'échanges internationaux sont homogènes pour assurer une répartition équitable, entre les différentes zones interconnectées, de l'énergie produite, sinon les transactions vont être réalisées là où les règles sont les plus favorables ;

- le niveau d'information entre les différentes zones sur l'état du réseau et celui du système de production à court, moyen et long terme doit être suffisant et homogène. L'ensemble des régulateurs européens a développé un certain nombre de recommandations qui sont aujourd'hui incomplètement appliquées. La Commission européenne envisage de les rendre juridiquement contraignantes à l'occasion du troisième paquet législatif. Sans cette information large et homogène, la visibilité n'est pas suffisante pour les investisseurs, quelle que soit leur nature, sur les besoins de chaque zone et leur évolution dans le temps. Il n'est pas certain que les investisseurs soient incités à investir s'ils ne voient pas de débouchés suffisants pour les moyens de production qu'ils pourraient être amenés à mettre en place. Ce point est fondamental. L'Europe manque d'un système comparable à celui de la France, correctement organisée au niveau national avec le processus de PPI ;

- les règles de mobilisation des réserves de production qui permettent de pallier les aléas doivent être compatibles entre les zones. La CRE dispose, grâce à l'article 15 de la loi du 10 février 2000, d'un pouvoir particulier d'approbation des règles de fonctionnement du mécanisme d'ajustement et de mobilisation des réserves qui donnent au gestionnaire du réseau de transport la capacité d'assurer l'équilibre dans des conditions économiquement favorables ;

- la coopération et la coordination entre les gestionnaires de réseaux responsables du contrôle de chacune des zones interconnectées doivent être efficaces. Cette efficacité repose sur trois piliers : la prévision des flux d'énergie, la gestion de ces flux et la coordination des mesures d'urgence.

Compte tenu des conséquences subies par les cinq millions de consommateurs français privés d'électricité le 4 novembre 2006, la CRE a largement été à l'origine de la décision de l'ERGEG (The European Regulators' Group for Electricity and Gas -Groupe des régulateurs européens de l'électricité et du gaz) d'entreprendre une analyse détaillée de cet incident, qui a touché l'Europe entière et dont la compréhension ne peut être obtenue que par l'examen global de l'ensemble des actions entreprises par les gestionnaires de réseaux pour gérer l'incident. L'ERGEG a aussi examiné les analogies de cette panne avec d'autres incidents récents, en particulier le black-out italien du 28 septembre 2003 qui avait également donné lieu à une analyse de l'ERGEG, menée par les régulateurs italien et français, et à des rapports de l'Union pour la coordination de la transmission de l'électricité (UCTE) rendus publics. Il est frappant de constater qu'en 2003, les préconisations des régulateurs étaient déjà très proches de celles découlant des constats effectués à l'issue de l'incident du 4 novembre 2006, les deux axes mis en évidence en 2003 ayant été confirmés en 2006.

Les mesures de pure coopération consensuelle entre les gestionnaires de réseaux au sein de l'UCTE sont insuffisantes. L'UCTE n'a pas pris en compte les conclusions qu'elle avait elle-même tirées des causes et remèdes au black-out italien du 28 septembre 2003 dans la révision des règles opérationnelles qu'elle a publiée cette année, car elle n'a pas obtenu de consensus sur la mise en application de ces règles. L'analyse technique ne peut pas passer dans les règles consensuelles. Les régulateurs considèrent qu'il est nécessaire de passer à un cadre législatif et réglementaire contraignant, sur des bases techniques solides qui commencent à être définies. Personne n'a contesté sur le plan technique les conclusions du rapport sur le black-out qui a mis toute l'Italie dans le noir, pendant quelques heures dans le Nord du pays et pendant un jour dans le Sud de celui-ci. Cependant, ces conclusions n'ont pas pu être mises en oeuvre parce que les intérêts ou les règles techniques appliquées par chacun des opérateurs de réseaux ne sont pas compatibles. Les instruments juridiques vont devoir être européens parce qu'il semble difficile d'arriver dans un bref délai à une convergence des législations nationales par une simple négociation bilatérale, voire multilatérale à l'intérieur de certaines régions. Sans harmonisation des règles d'exploitation des réseaux européens, l'alternative se situera entre les deux solutions suivantes :

- la première d'entre elles consistera à revenir à la situation passée, où chacun assure son autonomie mais où les échanges sont restreints de façon à ne pas mettre la sécurité globale du réseau en péril. Cette solution risque de se révéler inappropriée car elle va engendrer des surcoûts. En effet, chaque pays devra disposer d'un niveau de réserve destiné à couvrir ses propres besoins, alors que la mise en commun des réserves est depuis longtemps considérée comme moins coûteuse que la constitution de réserves séparées ;

- la seconde solution réside dans l'interconnexion des réseaux européens par des moyens surabondants. Il semble illusoire de s'engager dans cette voie qui, certes, permettrait d'améliorer les marges physiques, mais se heurterait à la difficulté à réaliser de nouvelles infrastructures de transport à très haute tension ainsi qu'au surcoût d'investissement engendré.

Le deuxième axe sur lequel les régulateurs se sont penchés est la définition concrète de ce que devrait recouvrir la coopération approfondie entre les gestionnaires de réseaux. Il existe une assez forte convergence d'analyse entre les régulateurs et l'UCTE dans la définition des sujets sur lesquels les gestionnaires de réseaux devraient développer leur coopération. Ce sont essentiellement les règles de prévision des flux et celles d'information à court terme sur l'évolution réelle des flux. Lorsque E.ON a effectué les opérations de réseau qui ont conduit à l'incident du 4 novembre dernier, il n'a ni appliqué les règles de calcul que l'UCTE avait fixées, ni échangé suffisamment d'informations avec les réseaux voisins, ni refait de calculs précis de la situation du réseau telle qu'elle aurait résulté de la décision d'exploitation prise. De toute évidence, ce type de décision doit être rendu obligatoire pour les gestionnaires de réseaux.

Voila ce que je peux dire à ce jour des conclusions que les régulateurs européens sont en mesure de tirer sur le plan technique de la panne du 4 novembre 2006. J'espère avoir répondu à la demande de M. le président Ladoucette de préciser les éléments sur lesquels ils ont travaillé.

M. Bruno Sido , président -  Je vous remercie d'avoir répondu à un certain nombre de questions que nous nous posons. Personnellement, je tiens à souligner qu'au fil des auditions, il apparaît que la question de la sécurité d'approvisionnement en électricité ne porte pas sur la production et sur les qualités techniques du réseau mais qu'en revanche, les incidents tiennent à une régulation, à des réglementations, à une législation qu'il va falloir harmoniser. Je note également qu'il existe un conflit entre la sécurité renforcée et le prix. Je rappellerai que, lorsque le président Giscard d'Estaing a décidé que la France se lançait dans l'électricité nucléaire, il a fait primer l'indépendance énergétique et électrique du pays. Aussi, ma question est de savoir comment dénouer le dilemme entre la sécurité d'approvisionnement et le coût.

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE - Le rapport des régulateurs européens sur l'incident du 4 novembre va être présenté à Bruxelles les 6 et 7 février prochain pour être approuvé et tirer les conclusions qui vont dans le même sens que celles de l'UCTE. Puisque tous semblent d'accord, je ne vois pas pourquoi ne pas prendre des mesures obligatoires de fonctionnement entre les gestionnaires de réseaux européens. D'ailleurs, dans les incidents récents, deux pays ont été particulièrement mis en cause : l'Allemagne et la Suisse, qui sont deux pays de tradition d'autorégulation. Aucune régulation extérieure ne s'y applique et les accords se font a minima entre les différents opérateurs. Ce minimum n'est pas suffisant et il convient de passer désormais à la phase ultérieure, qui consiste à poser des règles contraignantes obligatoires. J'ai le sentiment que cette orientation est générale aujourd'hui : la Commission européenne y est favorable, les gouvernements n'y sont pas défavorables, les opérateurs sont obligés de reconnaître le problème et les régulateurs sont d'accord. Je vois donc une issue possible.

M. Michel Esneu - Le président de la mission a évoqué un conflit entre la sécurité d'approvisionnement et le prix. Je pense pour ma part que le conflit se situe entre la sécurité d'approvisionnement et l'autonomie des Etats. Suite à une banale erreur humaine, on va transférer à des autorités qualifiées des compétences de l'Etat très importantes. Aussi, j'attire l'attention sur le fait de ne pas dessaisir les Etats d'une question fondamentale concernant tous leurs ressortissants.

M. Philippe de Ladoucette - Il ne s'agit pas de dessaisir les Etats d'une compétence qu'ils auraient ou non, mais il convient de définir des règles de fonctionnement qui aujourd'hui existent notamment en France et qui ont fait leurs preuves, ainsi que d'imposer des règles un peu similaires dans des zones ou des pays où elles n'existent pas. Par ailleurs, il est un peu simple de parler d'erreur humaine chez le gestionnaire de réseau E.ON. La question est de savoir si, le 4 novembre 2006, il existait des règles claires et un protocole d'usage afférent. En matière de sécurité, il existe toujours des règles et l'erreur humaine est toujours à mettre en parallèle avec celles-ci. Or, il s'avère que, dans le cas précis de ce qui s'est passé le 4 novembre dernier en Allemagne, les règles n'étaient pas édictées. C'est le point sur lequel il convient d'insister. La question qui se pose ensuite est celle de la nécessité d'une coordination, d'une part, de l'ensemble des réseaux européens, d'autre part, des régulateurs. Il semble que cette coordination, qui est une des propositions de la Commission européenne du 10 janvier dernier, soit un élément nécessaire pour faire fonctionner de façon satisfaisante le réseau européen. Il ne s'agit donc pas d'un dessaisissement de compétences des Etats mais des responsabilités de plusieurs entreprises intégrées verticalement opérant dans un même pays. Cette forme d'intrusion n'occasionnerait pas de changement pour la France mais introduirait de réelles modifications chez certains de nos voisins. Dans un système dont les règles de fonctionnement des réseaux sont harmonisées, les gouvernements resteront maîtres de la politique énergétique.

M. Jean-Marc Pastor , rapporteur - On retrouve la notion de sécurité et de coût, la notion d'Etat et d'Europe, la notion de responsabilité et de solidarité, la notion de public et de privé. Face à cet amalgame, comment essayer d'en sortir une ligne directrice qui impose des règles à chacun des Etats ? Au fil des auditions, je me rends compte que l'Europe compte deux acteurs forts, la France et Allemagne, avec des pratiques et des techniques qui se font face. J'établissais précédemment un parallèle avec EADS et l'équipement de l'A380. Il apparaît que, sur le plan technique, il existe d'énormes difficultés à trouver des partenariats avec l'Allemagne. J'aimerais connaître votre sentiment sur ce point. Car, certes, il s'agit d'un problème technique mais derrière celui-ci, se pose un choix politique. Croyez-vous vraiment aujourd'hui à une Europe qui fasse que, sur un maillage nécessaire existant depuis des dizaines d'années autour de l'électricité, il soit possible d'aller plus loin ? S'oriente-t-on vers une sorte d'opposition, de conflit, sous couvert technique, sous couvert de propriété où chacun veut rester maître chez lui, et, demain, vers de grosses difficultés pour harmoniser ?

M. Philippe de Ladoucette - M. le Rapporteur, vous soulevez une vaste question à laquelle je n'aurai pas la prétention de pouvoir répondre. Concernant le premier point, l'Allemagne, où de nombreux secteurs économiques sont régulés depuis longtemps, a curieusement été le dernier pays européen à se doter d'un régulateur en matière d'énergie. En fonction depuis un peu plus d'un an seulement, celui-ci est confronté à une lourde tâche. Au fil de ces derniers mois, il a pris des décisions importantes dans le domaine du réseau de transport, notamment sur les tarifs. Mais cela ne supprime pas encore tout à fait un certain dans le vécu entre l'Allemagne et les autres pays européens. D'une façon plus large, l'énergie a été le premier élément constitutif de l'Europe, avec le traité CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) en 1951. Aussi, je crois personnellement que l'Europe peut être une plateforme valable pour le développement de l'énergie. Toutefois, il vrai que nous rencontrons des difficultés mais je pense que celles-ci sont surmontables entre les différents partenaires, à la fois entre les gestionnaires de réseaux, entre les régulateurs et entre les Etats. Chacun sait que l'Europe a connu des crises, y compris à l'époque de la CECA, et j'y fais allusion en tant qu'ancien PDG de Charbonnages de France ! Qui plus est, le temps de l'Europe est un temps long.

M. Michel Billout , rapporteur - Lors de la panne du 4 novembre 2006, la parfaite coordination en France entre RTE et EDF pour mettre en oeuvre les bons réflexes et rétablir rapidement l'électricité sur tout le territoire national a été saluée. On peut penser que cette bonne coordination résulte d'un passé où l'entreprise était encore totalement intégrée. Que pensez-vous, dans ce cadre-là, de la préconisation de la Commission européenne visant à séparer totalement les gestionnaires de réseaux et les entreprises chargées de la production ? En essayant d'imposer un modèle d'organisation, n'y a-t-il pas un risque d'aggraver les problèmes de règles de coordination pas toujours correctement mises en oeuvre dans certaines parties de l'Europe ? Est-ce le bon moyen d'assurer le financement des investissements nécessaires dans les réseaux et ne craignez-vous pas d'avoir des conflits d'intérêts entre les entreprises chargées de la production et celles chargées du transport ?

M. Philippe de Ladoucette - Votre question est au coeur du débat qui aura lieu dans les mois à venir sur les propositions de la Commission européenne. Les pouvoirs publics français se sont déjà déclarés peu favorables à cette initiative. Le régulateur français n'a pas été demandeur de cette séparation et a plaidé pour que cette proposition ne soit retenue qu'en tant qu'ultime recours, une fois qu'aurait été entièrement mise en oeuvre l'application des directives européennes. Même s'il demeure encore des lacunes, on peut considérer que, dans le système français, RTE ne fait pas l'objet de critiques en termes de discrimination de la part des acteurs de marché et fait preuve d'une réelle indépendance par rapport à son actionnaire. En conséquence, sans y être défavorable sur le principe, la CRE n'a pas été demandeur de cette séparation, dans la mesure où des éléments particuliers à la France permettent un bon fonctionnement. Un de ces éléments est que la CRE est le seul régulateur européen, avec son homologue britannique, à avoir la responsabilité de l'approbation des programmes d'investissements. C'est un moyen de sécurisation contre d'éventuelles distorsions de concurrence de la part de la maison mère pour refuser ou favoriser tel ou tel investissement. La CRE est un garde-fou. Le système d'indépendance, tel qu'il a été institué en France et qui résulte en fait de l'application assez proche des directives européennes, peut fonctionner. Le modèle français est un exemple en matière d'indépendance. A contrario, le modèle allemand qui a un système intégré avec quatre entreprises et quatre gestionnaires de réseaux, n'est pas à l'abri d'interférences de la part des actionnaires. Autrement dit, l'indépendance des gestionnaires de réseaux n'est pas aussi assurée que dans le cas français. Ces deux exemples, avec deux fonctionnements différents, ne donnent pas les mêmes résultats. C'est pour cela que, face aux distorsions de concurrence, la Commission européenne souhaite s'orienter vers la séparation patrimoniale ou vers une solution dégradée dénommée ISO. Je dis « dégradée » parce que, selon l'avis de différents experts, cette dernière solution n'apparaît pas comme optimale.

M. Bruno Sido , président - Je vous remercie pour la clarté de vos propos.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page