B. DES EFFETS ENCORE PEU PERCEPTIBLES POUR L'EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPÉES

1. L'impact de la réforme de l'obligation d'emploi pour les entreprises a été sous-estimé

a) Des règles de calcul du taux d'emploi qui retracent imparfaitement les efforts d'emploi des entreprises

Pour que le taux d'emploi affiché par les employeurs corresponde enfin à la réalité de la présence des personnes handicapées dans l'entreprise, la loi du 11 février 2005 a abandonné le mécanisme de l'« unité bénéficiaire » 6 ( * ) et l'exclusion des effectifs de l'entreprise des « emplois exigeant des conditions particulières d'aptitude » qui conduisaient à en majorer fictivement la valeur.

La volonté du législateur n'était pas pour autant de pénaliser les entreprises qui comptent dans leur effectif un grand nombre d'emplois de cette nature, ni de décourager celles qui font un effort particulier pour recruter des personnes lourdement handicapées. Mais, pour tenir compte de ces particularités ou de ces efforts, la loi prévoit désormais non plus une modulation du taux d'emploi mais une modulation du montant de la contribution due par bénéficiaire manquant.

• Une interprétation très défavorable des règles de décompte des bénéficiaires de l'obligation d'emploi

Il ressort des débats parlementaires que le souhait du législateur était d'effectuer le calcul du taux d'emploi sur la base du nombre de personnes handicapées réellement présentes dans l'entreprise. Sa volonté était en effet que :

- chaque personne handicapée employée à temps complet soit comptabilisée pour 1 dans l'effectif des travailleurs handicapés présents dans l'entreprise et chaque personne handicapée employée à temps partiel le soit au prorata de sa quotité de travail ;

- chaque personne handicapée employée soit prise en compte, pour une année donnée, en fonction de la durée de sa présence effective au sein de l'entreprise : cela signifiait notamment que les personnes en contrat à durée déterminée ou en intérim devaient être comptabilisées au prorata de la durée de leur contrat.

Toutefois, afin d'encourager une insertion professionnelle durable des personnes handicapées, le législateur souhaitait introduire un « bonus » pour les entreprises faisant l'effort de proposer des contrats de longue durée aux personnes handicapées : il avait donc prévu, en dérogation à la règle de la présence effective dans l'entreprise, que les personnes recrutées en CDD de plus de six mois soient comptabilisées pour 1, c'est-à-dire comme si elles avaient été présentes toute l'année.

Mais la rédaction adoptée pour l'article L. 323-4 du code du travail qui prévoit ces dispositions est suffisamment ambiguë pour ouvrir la porte à une interprétation différente et qui semble finalement prévaloir au sein de la DGTEFP. Selon cette interprétation, seules sont prises en compte les personnes handicapées présentes depuis plus de six mois dans l'entreprise, et ce quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sauf si elles sont recrutées en intérim, auquel cas elles sont comptabilisées au prorata de la durée de leur mission.

Cette interprétation soulève deux problèmes :

- elle introduit une règle du tout ou rien qui pénalise finalement le recrutement des travailleurs handicapés : ainsi, les personnes bénéficiant d'un CDD de moins de six mois ne sont plus du tout comptabilisées ;

- elle crée une distorsion entre les personnes recrutées en intérim et celles recrutées en CDD : les premières sont comptabilisées quelle que soit leur durée de présence dans l'entreprise, alors que les secondes ne le sont que pour autant qu'elles aient été recrutées depuis plus de six mois.

Votre commission déplore cette interprétation, contraire à la volonté du législateur telle qu'elle ressort des travaux parlementaires. Afin d'éviter toute contestation qui serait due à l'ambiguïté de la lettre de la loi, il lui paraît préférable de passer par la voie législative pour mettre en conformité le texte avec ses intentions initiales.

• Une procédure excessivement complexe pour la reconnaissance de la lourdeur du handicap

Afin d'encourager les entreprises à orienter leur recrutement vers les personnes les plus lourdement handicapées et qui connaissent, de ce fait, les difficultés les plus grandes dans l'accès à l'emploi, la loi du 11 février 2005 a prévu deux dispositifs alternatifs. Ainsi, l'entreprise peut :

- soit appliquer un coefficient de minoration au montant de sa contribution à l'Agefiph ;

- soit bénéficier d'une aide à l'emploi, versée par l'Agefiph, permettant de prendre en charge une partie du salaire du travailleur handicapé concerné.

Autre innovation, alors que, dans le dispositif des « unités bénéficiaires », l'appréciation de la lourdeur du handicap était effectuée a priori et de façon abstraite par la Cotorep, celle-ci est désormais confiée au directeur départemental de l'emploi, qui se détermine au regard du poste effectivement occupé par la personne handicapée et après aménagement optimal de ce dernier.

Les premiers mois d'application de ce nouveau dispositif font apparaître trois séries de difficultés :

Des difficultés liées au manque de clarté sur les critères de lourdeur du handicap pris en compte : la reconnaissance de la lourdeur du handicap est normalement accordée lorsque les surcoûts liés à l'emploi de la personne handicapée vont au-delà de ce que l'entreprise doit normalement prendre en charge au titre des « aménagements raisonnables ».


L'évaluation des surcoûts liés à l'emploi d'une personne
handicapée pour l'entreprise

Relève a priori de l'entreprise, au titre des « aménagements raisonnables », le coût de l'aménagement du poste de travail en matière d'ergonomie du poste lui-même, d'organisation de l'activité ou d'aménagement des horaires.

Sont en revanche considérés comme allant au-delà des « aménagements raisonnables » exigibles de l'entreprise les travaux importants d'accessibilité, les dépenses d'accompagnement, le manque à gagner pour l'employeur du fait d'une moindre productivité malgré les aménagements effectués ou encore les absences pour soins sur le temps de travail non imputées sur le salaire ou les congés.

L'entreprise doit fournir des justificatifs de ces surcoûts, mais la DDTEFP a le pouvoir de n'en retenir qu'une partie ou d'en évaluer différemment le montant.

Or, les DDTEFP mal outillés pour apprécier ce qui relève effectivement de l'aménagement raisonnable et doit donc rester à la charge de l'entreprise et du surcoût anormal qui relève d'une logique de compensation du handicap et qui justifie une aide de l'Etat. En effet, le seul élément dont ils disposent est l'avis, éventuellement assorti de préconisations d'aménagement, du médecin du travail.

Au total, l'appréciation de ce partage s'effectue aujourd'hui de façon très différente suivant les départements : certains DDTEFP attribuent la reconnaissance de la lourdeur du handicap dès lors que l'entreprise a effectué des aménagements qui dépassent les préconisations du médecin du travail ; d'autres, plus « sévères », font effectuer systématiquement sur place une visite de l'inspection du travail, pour vérifier la réalité des aménagements mis en avant par l'entreprise. On observera d'ailleurs que la crainte d'une intervention de l'inspection du travail est très largement répandue et freine considérablement les demandes des entreprises.

Votre commission estime que les divergences d'appréciation concernant la reconnaissance de la lourdeur du handicap nécessitent a minima la diffusion d'un guide d'évaluation détaillé auprès des DDTEFP pour les aider à apprécier la nécessité des aménagements et les surcoûts allégués.

Plus fondamentalement, votre commission s'interroge sur la pertinence de l'autorité choisie pour décider cette reconnaissance. Conformément à la position qu'elle avait d'ailleurs adoptée lors des débats sur la loi du 11 février 2005, elle continue de considérer que cette mission devrait incomber aux équipes pluridisciplinaires mises en place au sein des maisons départementales : dans ce cadre, les compétences des DDTEFP pourraient en effet être mises en commun avec celles d'autres professionnels du handicap, afin d'aboutir à des décisions plus équilibrées.


Des difficultés liées à l'appréciation des surcoûts en situation de travail : dans la mesure où la reconnaissance de la lourdeur du handicap est attribuée à raison des surcoûts engendrés, pour l'entreprise, par l'emploi d'une personne handicapée sur un poste donné, il est nécessaire de faire une nouvelle demande à chaque fois que la personne change de poste dans l'entreprise. Bien que cette obligation soit parfaitement conforme à la logique d'une compensation individualisée, elle est, en pratique, lourde à mettre en oeuvre pour l'entreprise et pénalisante pour la personne handicapée, qui se trouve fragilisée dans sa mobilité professionnelle.

Dans un souci d'allègement des procédures pour les entreprises, votre commission suggère que pour certaines catégories de personnes, pour lesquelles il ne fait aucun doute que, quel que soit le poste occupé, l'entreprise aura des surcoût importants à prendre en charge, l'aide à l'emploi puisse être attribuée d'office par l'Agefiph sur la base d'une présomption de lourdeur du handicap, la DDTEFP intervenant pour les cas litigieux. Une telle présomption pourrait, par exemple, être retenue pour les personnes orientées en établissement et service d'aide par le travail (Esat) par la CDAPH.


Des difficultés, enfin, liées à la gestion du stock des bénéficiaires de l'ancienne garantie, de ressource des travailleurs handicapés (GRTH) en milieu ordinaire , à la quelle succède le dispositif d'aide à l'emploi : afin d'éviter des ruptures brutales dans le versement de cette aide aux entreprises et donc d'éviter des licenciements, la loi a prévu de maintenir à titre transitoire le bénéfice de la GRTH à certaines catégories de bénéficiaires.

Ainsi, la GRTH continuera d'être versée jusqu'au 1 er janvier 2008 pour les travailleurs handicapés antérieurement classés en catégorie C par les Cotorep. Elle a également été versée jusqu'au 1 er janvier 2007 pour les personnes classées en catégorie B et pour les anciens bénéficiaires d'un emploi protégé en milieu ordinaire (EPMO).

L'Agefiph évalue à 3 000 le nombre de personnes handicapées concernées par la prolongation jusqu'en 2008 de l'ancien dispositif. 8 000 autres bénéficiaires de l'ancienne GRTH ont vu le bénéfice de cette aide prolongée jusque fin décembre 2006. Depuis cette date, seuls 2 000 dossiers ont pu être traités par les DDTEFP, de telle sorte que le versement des aides est interrompu pour 6 000 personnes. Afin d'éviter des licenciements, l'Agefiph a du mettre en place, à titre exceptionnel, une aide ad hoc , dans l'attente d'une solution plus pérenne.

* 6 Le dispositif des « unités bénéficiaires » consistait à affecter une pondération différente à chaque travailleur handicapé, notamment en fonction de la gravité de son handicap. Une seule personne handicapée pouvait donc représenter jusqu'à 5,5 unités bénéficiaires.

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