(2) Ce que le compte d'épargne formation pourrait être

Il est tentant de présenter le compte d'épargne formation à partir de deux observations du président Jacques Delors, au cours de la table ronde organisée par la mission le 29 mai dernier, en appliquant l'une et en s'attachant à démentir l'autre. « Il faut être inventeur de simplicité », a préconisé Jacques Delors, citant Jean Monnet, premier commissaire général au plan : tel est en effet l'objectif du compte d'épargne formation, qui trouvera tout son sens s'il parvient à instiller le germe de la simplicité dans les mécanismes abscons de la formation professionnelle. « Il ne faut plus parler d'éducation tout au long de la vie, car tous les hommes politiques que j'ai rencontrés en Europe [...] pensent que ce principe consiste à additionner l'éducation première et la formation continue, alors que c'est une imbrication entre les deux, qui favorisera l'optimisation des moyens et nous permettra de gagner beaucoup d'argent en réalisant certaines économies et en apprenant mieux le contenu de la pédagogie », a ensuite déploré M. Delors, dégageant ainsi en creux l'économie d'un compte d'épargne formation efficace et utile : il ne peut s'agir que d'un outil transversal, bousculant les cases statutaires et les tuyaux d'orgue, réunifiant l'homme éclaté afin de l'accompagner effectivement dans son parcours de formation tout au long de sa vie, non seulement la vie active mais aussi au-delà, car l'utilité sociale de la formation ne disparaît pas au seuil de la retraite.

En fonction de ces exigences, la mission a formulé la proposition dont le tableau ci-après décrit l'architecture globale.

Usages du compte d'épargne formation

Salariés Dif

Reconversion

Salariés Cif

Primo entrants

Retraités

- Compte ouvert au titre de l'activité salariée ;
- activé au cours de l'activité salariée ;
- transférable

Compte activé au moment où apparaît la nécessité d'une reconversion du salarié menacé ou licencié

Compte activé au cours de l'activité salariée

Compte ouvert de façon volontaire lors du premier contact avec un organisme d'accueil

Compte activé au cours de la retraite

Le compte d'épargne formation est tenu par un organisme national (type Urssaf)

- Droit mis en oeuvre par les entreprises (dans le contexte de la suppression du versement de 0,9 % plan de formation) ;
- monétarisé et inscrit au compte d'épargne formation si l'entreprise ne l'a pas mis en oeuvre

- Compte abondé par les montants éventuellement capitalisés au titre du Dif et au titre du droit de tirage primo entrants ;

- abondé éventuellement par un fonds régional ad hoc en vue de financer une formation prescrite, conforme aux priorités régionales

Compte abondé par le 0,2 % Cif mutualisé au sein d'un fonds régional ad hoc , en vue de financer une formation conforme aux priorités régionales

- Compte abondé par l'État au moment de son ouverture

- Compte abondé par les montants éventuellement capitalisés au titre du Dif et au titre du droit de tirage primo entrants ;
- abondé éventuellement, au titre de la politique des seniors, par un fonds régional ad hoc en vue de financer une formation conforme aux priorités régionales

Montant monétaire calculé par l'employeur au moment de la sortie de l'entreprise en fonction de bases de calcul fixées par la négociation sociale

Montant exprimé sous forme monétaire

Montant exprimé sous forme monétaire

Montant exprimé sous forme d'un droit de tirage monétaire fixé de façon inversement proportionnelle au niveau de qualification acquis en scolarité initiale

Montant exprimé sous forme monétaire

Orienté vers une formation liée à l'emploi occupé

Orienté vers l'acquisition d'une qualification

Orienté vers l'acquisition d'une qualification

Orienté vers l'acquisition d'une qualification

Orienté vers une formation tournée vers le bénévolat

Formation décidée par consensus entre le salarié et l'employeur

- Formation prescrite par les organismes d'accueil et d'orientation compétents ;

- validée par le fonds régional ad hoc en fonction des priorités définies par une instance décisionnelle régionale

- Formation présentée par le salarié ;

- validée par le fonds régional ad hoc en fonction des priorités définies par une instance décisionnelle régionale

- Formation prescrite par les organismes d'accueil et d'orientation compétents ;

- validée par le fonds régional ad hoc en fonction des priorités définies par une instance décisionnelle régionale

- Formation présentée par le retraité ;

- validée par le fonds régional ad hoc en fonction des priorités définies par une instance décisionnelle régionale

Quel est l'objet de cette construction ? Il s'agit de saisir l'homme et la femme à la recherche d'un financement pour leur formation au-delà de statuts professionnels aux frontières poreuses, de moins en moins conformes à la vie vécue : où situer, par exemple, les droits à formation des actifs, jeunes ou non, qui égrènent les CDD et le chômage pendant plusieurs années : sont-ils salariés ou chômeurs ? Le compte d'épargne formation doit être conçu pour donner à ces personnes un accès simple et visible aux actions qui leur permettront de conforter leur employabilité en acquérant les qualifications indispensables. L'idée de compte est ainsi intimement liée à celle de sécurité professionnelle : dans le monde d'aujourd'hui celle-ci passe par la formation continue au sens propre du terme, certaines personnes, certains groupes tombant, comme on l'a vu, dans les zones d'ombre du système, il s'agit d'infléchir celui-ci de façon à leur offrir des conditions d'accès satisfaisantes sans créer de nouveaux tuyaux , et donc en partant de l'existant, dans la mesure où - une nouvelle fois - le propos n'est pas de lancer l'illusoire « grand soir » d'une formation professionnelle qui fait l'objet d'un rare consensus social dans son principe et dans les grandes lignes de son architecture, mais d'instiller dans le système tel qu'il fonctionne le « germe mutagène de la simplicité ».

De ce point de vue, il est opportun de construire le compte d'épargne formation à partir du DIF transférable proposé ci-dessus .

Comme l'indique le tableau précédent ( cf. deux premières colonnes) et comme le tableau ci-dessous l'illustre, le compte, alimenté d'une part par la monétarisation des DIF non utilisés et par toute autre épargne constituée à cette fin par le titulaire, abondé d'autre part par un fonds régional ad hoc rassemblant les contributions des différents partenaires institutionnels de la politique de formation continue, servira à l'occasion des transitions professionnelles - entrecoupées ou non par des périodes de chômage - justifiant l'acquisition par le salarié d'une formation qualifiante plus ambitieuse que celles financées par la seule entreprise dans le cadre des actions d'adaptation au poste de travail.

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Par ailleurs, si le compte d'épargne formation correspond très largement à la nécessité de conduire l'individu vers des formations qualifiantes lourdes à l'occasion des ruptures intervenant dans son parcours professionnel, il n'en est pas moins opportun de construire un continuum embrassant la totalité de la vie active et au-delà.

Le compte doit ainsi permettre aux primo entrants de combler leur éventuel déficit de formation ou d'organiser de façon rationnelle les allers-retours qui ponctuent de plus en plus fréquemment la période précédant la stabilisation des jeunes dans l'emploi.

La création par l'État d'un droit différencié inversement proportionnel au niveau de qualification acquis à la sortie du système scolaire et abondant le compte d'épargne formation serait souhaitable à cet égard.

Par ailleurs, il serait justifié d'inclure le CIF, avec ses spécificités intactes, dans le compte d'épargne formation : il s'agit bien d'un aspect important du parcours de formation de l'individu.

Le compte d'épargne formation doit aussi permettre d'utiliser au cours de la retraite les montants éventuellement accumulés pendant la vie professionnelle soit au titre du DIF, soit au titre du droit différentié des primo entrants. Les sommes éventuellement capitalisées et non dépensées au cours de la vie active doivent ainsi être maintenues sur le compte d'épargne au moment de la retraite. Elles serviront à financer des formations d'intérêt social liées au bénévolat : formation à l'accompagnement des jeunes en établissement scolaire, formations visant l'exercice d'une activité dans les structures associatives et caritatives, formation à l'exercice du tutorat en entreprise...

Notons aussi que le compte d'épargne formation pourrait, en outre, être étendu aux actifs non salariés relevant actuellement de collectes et d'institutions spécifiques, selon des modalités que la mission n'a pas étudiées.

Un aspect particulier du dispositif, largement évoqué par les personnes auditionnées, est crucial. Il s'agit de la responsabilisation à la fois des entreprises et des personnes formées .

Le projet de formation doit être construit en fonction des besoins effectifs de la personne formée et, à cet égard, le fait que les financements « appartiennent » à la personne concernée et le fait qu'une partie de ces financements peuvent être mobilisés tout au long de la vie devraient concourir à la responsabilisation.

Du côté des entreprises, la suppression du prélèvement obligatoire de 0,9 % devrait, comme on l'a vu ci-dessus, libérer une capacité d'initiative actuellement très encadrée par le fonctionnement des mécanismes administratifs de contrôle de l'imputation sur l'obligation légale des actions de formation financées par l'entreprise.

En ce qui concerne les mécanismes de fonctionnement du compte d'épargne , les actions de formation, dûment prescrites par l'organisme prescripteur compétent (à l'exception de celles entreprises dans le cadre du DIF, prescrites par l'accord du salarié et de son employeur), devraient être financées grâce à l'abondement du compte d'épargne formation de l'intéressé par un fonds régional ad hoc , qui peut être un OPCA interprofessionnel. Le fonds régional ad hoc sera à la fois le « pot commun » où les principaux financeurs de la formation professionnelle continue (région, UNEDIC, État, OPCA...) mutualiseront les budgets dégagés par eux en faveur de cette politique et l'ordonnateur des financements accordés à un titulaire de compte d'épargne formation pour suivre une formation éligible.

La formation devra être « éligible » : en effet, la mobilisation du compte pour une formation cofinancée par les contributeurs du fonds régional ad hoc devra être conditionnée par le respect des priorités définies par une instance décisionnelle régionale chargée du pilotage « politique » du système. Il peut s'agir de priorités sectorielles ou territoriales, ou bien encore d'un ciblage sur une entreprise en danger, l'objectif étant de favoriser une adéquation raisonnable entre les formations financées par le compte d'épargne et les besoins en emplois constatés au plan territorial. L'instance décisionnelle régionale devra réunir l'ensemble des partenaires intéressés. Cette instance pourrait être, par exemple, le comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP) .

Le caractère essentiel du dispositif ainsi profilé est la simplicité : un seul outil répondra à une grande variété de situations, les titulaires de comptes d'épargne formation n'ayant pas plus de deux interlocuteurs :

- l'employeur, dans le cadre de la mise en oeuvre du DIF, pour des formations légères liées au poste de travail occupé ;

- le fonds régional ad hoc dans certaines situations sensibles nécessitant la mise en oeuvre de formations lourdes requalifiantes (passé, comme on l'a vu, le cap de l'accueil et de la prescription, qui fait l'objet des développements ci-dessous).

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