2. Des voies de « rattrapage » limitées

Comme l'a souligné le recteur M. Jérôme Chapuisat, directeur délégué du CNAM, tant que la formation initiale sera perçue comme un « produit fini » , le concept de formation tout au long de la vie restera vidé de toute réelle portée, au détriment, notamment, de ceux qui sont sortis du système éducatif avec un « bagage » fragile. En effet, en dépit du développement de l'alternance, comme on l'a vu, ou encore de la validation des acquis de l'expérience, la prégnance de la formation initiale fait que la formation professionnelle continue ne joue pas le rôle d'une « école de la deuxième chance ».

a) Des situations initiales figées ?

La formation initiale conditionne très largement l'usage et la réussite de la formation continue : en effet, comme l'a souligné M. Jean-François Veysset, vice-président de la CGPME « mieux une formation initiale est acquise, plus l'on dispose d'un savoir-apprendre, qui permettra ensuite d'actualiser son parcours et si possible de l'améliorer. »

Cette situation ne sert pas l'efficacité globale du système, la formation continue contribuant à redoubler les inégalités et handicaps issus de la formation initiale . C'est ce qu'a estimé M. Paul Santelmann lors de son audition devant la mission : « de toute évidence, un bon système de formation professionnelle continue est un système qui permet à ceux qui ont le moins réussi dans le cadre scolaire et occupent les emplois les moins qualifiés de bénéficier d'une seconde chance. Le système doit permettre à ces personnes d'accéder à une qualification supérieure à celle qui était la leur au départ, ou de se reconvertir. De ce point de vue, le système est peu efficace. »

Plusieurs raisons justifient cet état de fait :

- la faible « appétence » des personnes les moins qualifiées à retourner en formation longue, dans la mesure où elles n'ont pas toujours été, pour reprendre l'expression employée par Mme Annie Thomas, secrétaire nationale de la CFDT, les « enfants heureux de l'école » ;

- le fait que les personnes les moins bien formées, a fortiori celles ayant connu l'échec scolaire, n'ont bien souvent pas les bases nécessaires pour réussir en formation continue, cette dernière n'ayant pas pour mission, ainsi que l'a relevé M. André Gauron, de « suppléer aux lacunes et aux insuffisances de la formation initiale. »

La formation continue ne joue ainsi qu'un rôle marginal en matière de promotion sociale et professionnelle des actifs : comme l'a souligné Mme Martine Möbus, chargée d'études au département formation continue du CEREQ, « notre système de mobilité sociale repose presque exclusivement sur la formation initiale et le diplôme qu'elle permet d'obtenir » . Les constats relevés par M. Paul Santelmann lors de son audition devant la mission corroborent cette analyse : « le niveau de formation moyen de la population active dépend presque exclusivement de la formation initiale. Après trente ans, l'accès à des formations qualifiantes est rare. (...) A partir de cet âge, pas plus de 50 000 personnes accèdent à une qualification professionnelle, qu'ils soient salariés ou demandeurs d'emplois. Les deux tiers de ces personnes suivent des formations qualifiantes de même niveau que leur niveau de départ. Les ouvriers et employés, en France, sont environ 12 millions. Parmi eux, seulement 15 000, après trente ans, accèdent à un niveau de qualification supérieur à celui qui était le leur au départ. (...) Une telle différence entre les générations n'existe dans aucun autre pays d'Europe . »

En effet, il existe en France une forte spécialisation des âges de la vie - la jeunesse étant consacrée aux études et l'âge adulte au travail et à la formation à l'initiative de l'entreprise, dans un objectif principal d'adaptation - : la part des jeunes de dix-huit ans scolarisés est ainsi parmi les plus élevées en France (80 % contre 54 % au Royaume-Uni, et 75 % en moyenne pour l'Europe des Quinze en 2003), alors que la reprise de formations « formelles », c'est-à-dire diplômantes, y est parmi les plus faibles, comme le montre le graphe suivant.

L'accès à la formation « formelle » en Europe

Source : Bref n° 235, CEREQ, novembre 2006, « Vers une ouverture des frontières de la formation continue » ; Enquête « Forces de travail », 2003.

Le fait que la formation continue soit faiblement diplômante - alors que notre pays attache une grande valeur sociale au diplôme comme « signal de reconnaissance » - conduit, selon M. Claude Thélot, à ce qu'elle n'offre pas « une alternative crédible à la formation initiale ». Comme l'a regretté M. Paul Santelmann, « aujourd'hui, personne ne croit que la formation continue permet de modifier une trajectoire professionnelle » , alors qu'il faudrait, afin de « dédramatiser » les choix d'orientation initiale et de limiter l'inflation parfois peu raisonnée des poursuites d'études, pouvoir, comme celui-ci l'a souhaité, « montrer aux plus jeunes qu'il est possible de rattraper une carrière commencée en bas de l'échelle. »

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