b) Vers la transférabilité du DIF

Les auditions de la mission ont permis de faire le point sur le débat relatif à la transférabilité du DIF. Celle-ci a été repoussée par la partie patronale lors de la négociation de l'ANI de décembre 2003, souhaitée par l'ensemble des syndicats de salariés, prévue par l'article L. 933-6 de la loi de mai 2004 en cas de licenciement 88 ( * ) , instituée conventionnellement dans certains groupes d'entreprises et dans certaines branches professionnelles afin de fidéliser l'emploi, ce qui démontre qu'il est techniquement possible et qu'il peut fonctionner.

Les arguments hostiles à la transférabilité ont été résumés par M. Francis Da Costa, président de la commission formation du Mouvement des entreprises de France (Medef). Il est prématuré, a-t-il indiqué à la mission, de modifier le DIF, dont la transférabilité, prévue selon des modalités variées dans un tiers des accords de branches et par différents accords d'entreprises, avait été écartée par la partie patronale lors de la négociation de l'ANI de 2003 afin de ne pas financiariser ce droit et dans la mesure où une transférabilité généralisée nécessiterait un provisionnement, grevant ainsi les comptes des entreprises. La budgétisation par les entreprises d'un DIF transférable, a-t-il ajouté, poserait problème. La transférabilité créerait en outre une distorsion de concurrence entre un salarié se présentant à l'embauche avec un compte DIF à solder et un salarié ne disposant pas de droits accumulés dans un précédent emploi. Les branches qui ont négocié la transférabilité, a-t-il conclu sur ce point, ont un intérêt à la réaliser, à l'exemple du bâtiment, doté de caisses habituées aux opérations de mutualisation.

La mission d'information juge de son côté la transférabilité du DIF inéluctablement inscrite dans la logique du recentrage de la formation permanente sur la personne, au-delà des cases statutaires sur lesquelles est actuellement bâti le système . On ne peut en effet comprendre que le droit individualisé du salarié à la formation dépende du contrat de travail et cesse en même temps que lui pour renaître ex nihilo à la conclusion d'un autre contrat de travail. Si l'objectif du DIF est de favoriser l'accès à la formation des salariés qui en restent écartés, de rendre ceux-ci coauteurs de leur formation en fonction de la nécessité d'envisager dans la durée la construction de leur sécurité professionnelle, de constituer un segment du parcours de formation à construire tout au long de la vie active, la transférabilité apparaît incontournable.

Ajoutons que le DIF, détaché du contrat de travail pour être attaché véritablement à la personne du salarié, devenant en quelque sorte un bien personnel du salarié (ou plus exactement sa clé personnelle d'entrée en formation), devrait être une puissante incitation à l'entrée en formation, spécialement dans les petites et moyennes entreprises, actuellement bien mal loties de ce côté (rappelons que le taux de départ en formation dans les TPE est de 12 %, contre 22 % dans les PME de dix à cinquante salariés, et de plus de 40 % pour l'ensemble des entreprises).

Notons aussi, du point de vue de l'entreprise, que la transférabilité, et la nécessité corrélative de solder en monnaie le compte DIF non utilisé au moment du départ de l'entreprise, inciteront très fortement celle-ci à former : c'est ainsi que le DIF apparaîtra comme une obligation de former , alors que les entreprises sont actuellement soumises à une obligation de payer dans le cadre de l'obligation légale.

L'environnement financier de la transférabilité peut être maîtrisé .

Tout d'abord, le « nouveau DIF transférable » impliquera la suppression de l'obligation légale de 0,9 % « plan de formation », actuellement peu efficace, dès lors inutile . L'incitation nécessaire à suivre régulièrement les formations courtes indispensables à l'entretien de l'employabilité sera alors assurée dans les conditions plus efficaces créées par la transférabilité du DIF, comme il est indiqué ci-dessus.

Ceci dit, l'essor du DIF pourrait, en première approche, représenter pour les entreprises une charge nettement plus élevée que le versement de 0,9 % de la masse salariale. En effet, la durée moyenne des formations actuellement financées par l'entreprise s'établit autour de 12 heures par an et par salarié, alors que la durée du DIF s'élève par hypothèse à 20 heures annuelles. Un DIF mieux popularisé et largement utilisé par ses bénéficiaires peut ainsi provoquer mécaniquement une augmentation importante des temps de formation, et par conséquent des charges des entreprises. C'est d'ailleurs cette perspective que, dans le cadre juridique existant, certaines personnes auditionnées par la mission d'information ont qualifiée de « bombe à retardement ».

Il y a des raisons de penser que la transférabilité du DIF peut être réalisée dans des conditions permettant de désamorcer la « bombe à retardement ».

Un ensemble d'éléments incite en effet à croire que la charge incombant aux entreprises du fait du DIF transférable ne devrait pas augmenter de façon significative :

- d'une part, les entreprises, « libérées » des fortes contraintes que le contrôle administratif de l'imputation des 0,9 % fait actuellement peser sur leurs choix de formation, pourront, en accord avec le salarié demandant la mobilisation de son DIF, sortir de la coûteuse logique des stages, actuellement privilégiée par les contrôleurs de l'administration dans la mesure où les stages extérieurs sont faciles à identifier et à vérifier. Les entreprises pourront ainsi recourir plus librement et plus largement à des solutions non seulement moins coûteuses que les stages, mais aussi plus appropriées aux besoins des PME et TPE car davantage liées à la situation de travail : le tutorat accompagné, la rotation de postes, l'abonnement à des revues professionnelles ou la participation à des conférences, pour les entreprises les plus « intellectuelles » ;

- d'autre part, quel que soit le succès du DIF transférable, il est peu probable que la totalité des salariés le prennent. En fait, une partie de l'obligation DIF ne sera probablement pas mobilisée et devra donc être monétarisée à la sortie de l'entreprise, aux fins du transfert 89 ( * ) . Une partie significative de la dépense globale dépendra ainsi des critères de la monétarisation, dont il convient de laisser la responsabilité aux partenaires sociaux . Notons, à cet égard, que la monétarisation ne tiendra sans doute pas compte de cet élément important du coût actuel des formations financées par le 0,9 % que constitue la rémunération de salariés en formation.

La « faisabilité » du DIF transférable étant ainsi établie, la description des détails « techniques » de sa mise en oeuvre ne sont pas du ressort de la mission d'information. Néanmoins, dans la mesure où la mission a conçu la transférabilité du DIF comme un pivot de la mise en place d'un compte d'épargne formation destiné à accompagner la personne tout au long de la vie, certains éléments « techniques » communs à l'ensemble des segments du futur compte d'épargne, indispensables à son fonctionnement, intéressent le DIF transférable et sont mentionnés dans le tableau, présenté ci-dessous, sur les usages du compte d'épargne formation.

Un dernier point mérite d'être évoqué : pour manifester visiblement le caractère profond du DIF transférable, il serait approprié de modifier la signification du sigle, actuellement trop évocateur d'une démarche unilatérale non conforme à l'économie du DIF et moins encore à celle du compte d'épargne formation dont la mission préconise la création. Afin de manifester plus clairement sa dimension négociée et sa place centrale dans le dispositif de formation tout au long de la vie, le DIF pourrait alors devenir un « droit indispensable à la formation » .

* 88 « Le droit individuel à la formation est transférable en cas de licenciement du salarié, sauf pour faute grave ou faute lourde. Dans ce cas, le montant de l'allocation de formation correspondant aux heures acquises au titre du droit individuel à la formation et n'ayant pas été utilisées est calculé sur la base du salaire net perçu par le salarié avant son départ de l'entreprise. Les sommes correspondant à ce montant doivent permettre de financer tout ou partie d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation, lorsqu'elle a été demandée par le salarié avant la fin du délai-congé. A défaut d'une telle demande, le montant correspondant au droit individuel à la formation n'est pas dû par l'employeur. Dans le document mentionné à l'article L. 122-14-1, l'employeur est tenu, le cas échéant, d'informer le salarié qu'il licencie de ses droits en matière de droit individuel à la formation, notamment de la possibilité de demander pendant le délai-congé à bénéficier d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation. En cas de démission, le salarié peut demander à bénéficier de son droit individuel à la formation sous réserve que l'action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation soit engagée avant la fin du délai-congé. En cas de départ à la retraite, le droit individuel à la formation n'est pas transférable ».

* 89 Le transfert devrait être opéré par le truchement du compte d'épargne formation proposé par la mission, dans les conditions détaillées ci-après.

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