C. UNE TUTELLE SECTORIELLE CONFLICTUELLE ?

1. Les moyens d'exercice de la tutelle sectorielle

Lorsque votre rapporteur spécial a rencontré la direction des musées de France, lui sont présentés des moyens convaincants d'exercice de la tutelle :

- la nomination des dirigeants et des membres du conseil d'administration de l'établissement public ;

- l'habilitation du projet scientifique et culturel de l'établissement par l'audition de la commission scientifique consultative des musées nationaux ;

- l'établissement du contrat de performances et notamment l'intégration de l'axe relatif à la politique scientifique de l'établissement public au sein du schéma directeur de recherche de la DMF ;

- la participation au conseil d'administration ;

- des échanges d'informations régulières sur des points essentiels, tels que les projets stratégiques de l'établissement public ;

- la mise en place de réunions spécifiques , notamment pour gérer des questions relatives aux personnels (chèques cadeaux, gestion des enveloppes du personnel) ;

- ou encore l'organisation de réunions du réseau (chefs d'établissement, commission des expositions, commission scientifique).

Et pourtant, dans le même temps, votre rapporteur spécial n'a pu que constater, en interrogeant le cabinet du ministère de la culture, et l'établissement public lui-même, que l'autonomie du musée du Louvre frisait l'indépendance lorsque l'on parlait de tutelle sectorielle . La vigueur du musée et le dynamisme dont il fait preuve, qui lui ont permis de multiplier par trois le nombre de ses visiteurs en 15 ans, garantissent son autonomie , qui est vue par le cabinet du ministre, comme « LE » facteur extraordinaire , et apparemment unique dans cette analyse, de développement du musée . Le rôle de la direction sectorielle paraît très mince dans ce contexte.

Il semble que le ministre et son cabinet aient développé un lien particulier avec l'établissement public remarquable et exceptionnel qu'est le musée du Louvre. Des réunions régulières associant le ministre de la culture aux 8 ou 14 présidents de grands établissements publics 12 ( * ) sont régulièrement organisées et permettent au ministre de présenter directement aux établissements ses priorités telles que l'action en faveur de certains publics, comme les plus jeunes, ou les personnes handicapées , ou encore l'organisation d'événements particuliers, tels que la nuit des musées. Dans ce cadre sont également abordées les questions de politique tarifaire .

2. Comment la problématique de la RMN intervient-elle dans ce contexte ?

Votre rapporteur spécial a constaté au cours de ces auditions et de ses déplacements que se dégageait le sentiment d'une réelle carence de tutelle de la part du musée du Louvre. Il s'agissait visiblement de tutelle sectorielle et non de tutelle financière.

La DMF apparaît comme un « défenseur des petits musées nationaux et de la Réunion des musées nationaux », souvent au détriment du musée du Louvre. Celui-ci regrette de ne pas rencontrer plus fréquemment sa tutelle afin d'instaurer un dialogue permettant de mieux traiter les enjeux de politique culturelle que sont la politique scientifique, celle des publics, du développement international, etc.

L'établissement public a le sentiment de ne pas être soutenu, et, ce qui est plus grave de ne pas être écouté qu'il s'agisse de décentralisation des acquisitions , de transfert en matière de compétence des éditions , de création de nouveaux établissements publics ou de rattachement de petits musées à de plus grands établissements publics.

Rappelons que les relations entre les grands musées nationaux, devenus établissements publics et donc juridiquement autonomes, les musées-services à compétence nationale dépendants de la DMF, la DMF elle-même et la RMN ont connu des changements significatifs de périmètre depuis quelques années.

Pendant longtemps, et en contrepartie des recettes de billetterie des musées nationaux, la RMN a été organisée selon un principe de mutualisation de compétences au profit des musées afin de réaliser les acquisitions nécessaires , des expositions, les éditions relatives à celles-ci, d'organiser les visites-conférences, de gérer le fonds photographique, etc. La RMN, grâce a son statut d'EPIC, pouvait mener une politique commerciale , dont les bénéfices devaient, théoriquement, être eux aussi mutualisés entre les musées afin d'augmenter leurs capacités financières et de leur permettre des acquisitions d'oeuvres plus importantes .

Le musée du Louvre versait ainsi 45 % de ses recettes de billetterie . La RMN a bénéficié de fonds importants, qui ont en fait servi à financer ses déficits croissants , de l'ordre de 10 millions d'euros, dus à une politique commerciale défaillante , mais aussi au poids financier beaucoup trop important de ses services centraux . Le système de mutualisation n'était sans doute pas assez responsabilisant pour la RMN. Le résultat a été la nette diminution des budgets consacrés aux acquisitions par la RMN jusqu'en 2003. Le rapport de M. Guillaume Cerruti, au nom de l'inspection générale des finances d'octobre 2001 sur la protection des trésors nationaux et les moyens d'acquisitions d'oeuvres d'art par l'État indique que « la contribution de la RMN constituait entre la moitié et les trois quarts des acquisitions d'oeuvres d'art au début des années 90. Cette part se situe autour de 30 % en 2000 ».

Suite aux préconisations du rapport de l'inspection générale des finances précité, le « décroisement » des compétences entre la RMN et les grands musées nationaux a été opéré à partir de 2003 . Le dispositif en résultant prévoit que les musées bénéficient directement de leurs recettes de billetterie tout en justifiant au premier euro la subvention de l'État. Ces recettes ont permis de redonner un véritable élan à la politique d'acquisitions en sanctuarisant 20 % de la billetterie des collections permanentes à leur profit, soit plus de 6 millions d'euros au budget primitif du Louvre. Cumulés aux acquisitions faites grâce au mécénat , ce sont quelque 35 millions d'euros, en 2005, que le Louvre a consacré aux acquisitions, alors que la RMN de 1991 à 2001 ne consacrait aux acquisitions, pour l'ensemble des musées nationaux, que 7,2 millions d'euros par an.

Dans la même perspective, le ministère de la culture a transféré de la RMN vers le musée les compétences éditoriales . Le transfert de moyens qui a accompagné le transfert de compétences a semblé rentable puisque le nombre de publications payantes du Louvre est passé de 23 ouvrages en 2002 à 56 en 2005.

Que cela soit justifié ou non, ce lourd passif dans les relations entre le Louvre, la RMN et la DMF donne au musée d'impression de devoir suppléer « l'absence de tutelle stratégique » à son égard.

3. Quelques pistes de réforme

Votre rapporteur spécial, sans vouloir entrer dans un rôle d'arbitre malvenu dans cette affaire, constate que la situation semble confuse . Il remarque que l'entrée en vigueur de la LOLF pourrait être l'occasion d'une réforme salutaire des administrations centrales du ministère de la culture, ainsi qu'il la proposait dans son dernier rapport budgétaire relatif à la mission « Culture ».

Il lui semble que la création d'une direction du patrimoine regroupant éventuellement l'actuelle DMF et la direction de l'architecture du patrimoine et de l'archéologie (DAPA) permettrait une meilleure coordination entre les fonctions de tutelle sectorielle des établissements publics et de responsable de programme . Il ressort du contrôle mené par votre rapporteur spécial, que les établissements publics sont en attente de certaines actions de leur tutelle sectorielle . Une direction « des » patrimoines, renforcée pourrait aider les opérateurs du programme, qu'elle dirigerait, en diffusant les bonnes pratiques , en promouvant les méthodologies d'évaluation efficace , en développant prospective et stratégie , en favorisant la contractualisation et le dialogue, etc.

S'agissant de la RMN , votre rapporteur spécial ne souhaite pas proposer des pistes de réforme globale, sans avoir étudié spécifiquement le cas de cet EPIC. Il note toutefois, que du point de vue du Louvre, il serait utile de parachever le décroisement des activités et des financements. Il est anormal que le Louvre et la RMN puissent se retrouver en concurrence sur certaines éditions , comme ce fut le cas pour Ingres. Par ailleurs, il semble que la participation de la RMN à certaines expositions du Louvre soit aujourd'hui contestée par le musée national. Enfin, la gestion de l' agence photographique par la RMN semble poser certaines questions : est-il possible de renforcer les campagnes photographiques scientifiques au détriment des campagnes plus commerciales et donc plus rentables pour la RMN ? Est-il normal que l'utilisation du fonds photographique d'oeuvres de l'État soit facturée à des prix plus importants aux musées pour leurs projets éditoriaux qu'à la RMN ? Faudrait-il filialiser l'agence photographique ?

Votre rapporteur ne présume pas des réponses et ne souhaite en aucun cas aggraver la situation financière de la RMN . Il constate toutefois que ces questionnements existent et qu'ils semblent ne pas trouver de réponse dans le cadre de ce qui devrait être un dialogue normal entre un grand établissement public et la tutelle sectorielle.

* 12 On parle alors de réunions du G 8 ou du G 14.

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