b) La spécificité du spectacle sportif

Afin d'expliquer le développement du supportérisme, Patrick Mignon 8 ( * ) a mis en avant la particularité du stade, espace unique en son genre , où l'on voit tout en étant vu, et où le public occupe une place essentielle. Le spectacle sportif a, en outre, l'originalité de faire participer activement le public , qui anime les tribunes et tente d'influencer le match . Avec succès semble-t-il : de 1973 à 1983, en dix saisons de championnat de France de première division, 17,4 % seulement des victoires ont été remportées par des équipes opérant sur un terrain adverse 9 ( * ) . Par ailleurs, à l'instar des autres spectacles, l'un des ressorts essentiels de la rencontre sportive est la recherche d'émotions . Le match de football permet à cet égard d'éprouver, dans un court laps de temps, un ensemble d'émotions que l'on peut ressentir le temps d'une vie : la joie, la souffrance, la haine, l'angoisse, l'ennui, le sentiment d'injustice... Le football participe ainsi de la tragédie , d'autant que les spectateurs savent que l'issue des rencontres est imprévisible, avec les défaites in extremis, les exclusions de joueurs et les penalties injustifiés.

c) Le « supportérisme », corollaire du spectacle sportif

Cette rapide analyse renforce le sentiment que le choix partisan démultiplie l'intérêt que l'on peut porter au spectacle sportif. En effet, la « partisanerie » fonde l'intérêt dramatique de la confrontation . Les spectateurs regardant une rencontre sportive pour la beauté du geste et des actions sans se préoccuper du score sont exceptionnels. Christian Bromberger illustre cette idée en remarquant que le pur plaisir contemplatif ne peut alimenter une passion pour le football. Il estime que « prendre parti pour un ou des clubs, c'est à la fois faire fonctionner à plein l'émotion en devenant soi-même acteur (passer du « ils » au « nous »), affirmer une ou plusieurs appartenances (...) à travers un style qui leur est propre, « son » équipe et « ses » joueurs préférés. » Il est en outre d'autant plus aisé d'affirmer une préférence pour une équipe sportive, qu'elle constitue un pôle local d'identification et d'affiliation . Le Football Club de Barcelone est ainsi plus qu'un club, il est pour ses supporters l'expression même de la Catalogne. Notons au demeurant que, dans les rencontres entre deux clubs de villes rivales (les « derbys »), l'ambiance est souvent tendue et/ou agressive, alors que les matchs entre les sélections nationales sont en général plus paisibles.

L'une des principales différences entre le spectateur et le supporter est que le premier regarde un match, et éventuellement le commente, alors que le second s'identifie complètement à un club et prouve, sur le long terme, son attachement à l'équipe. Si le spectateur considère que le plus important est la qualité du spectacle, le supporter désire, quant à lui, avant tout le reste, la victoire de son équipe, et vit très intensément les matchs 10 ( * ) . Les uns voient le match, les autres vivent le match . Le football n'est dès lors plus une distraction mais un engagement. Comme le dit Nicolas Hourcade, « le statut de supporter fait partie de son identité » 11 ( * ) . Il est à noter que le stade focalise plus que tout autre édifice, dans certaines régions, un sentiment de patriotisme local et constitue un lieu d'appropriation. Le stade d'Anfield Road de Liverpool constitue ainsi un lieu sacré où les cendres de l'entraîneur Bill Shankly ont été dispersées. Le stade Geoffroy Guichard à Saint-Etienne, appelé le Chaudron pour l'intensité de l'ambiance qui y règne, est également un lieu mythique pour les stéphanois.

Les supporters ont naturellement souhaité partager cette identification avec d'autres personnes et les clubs de supporters ont ainsi rapidement été créés.

* 8 Auditionné par le groupe de travail le 20 mars 2007.

* 9 C. Bromberger, « Le match de football, ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin », Editions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2001.

* 10 Ces états d'âme du supporter pendant le match et toute la semaine le précédant, sont très bien décrits par l'écrivain Nick Hornby, supporter de l'équipe d'Arsenal dans son roman, Carton jaune , Paris, Plon, 1998.

* 11 Auditionné par le groupe de travail le 20 mars 2007.

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