IV - UNE GOUVERNANCE LOCALE EUROPÉENNE QUI RECONNAÎT ET LÉGITIME LE RÔLE DES ÉLUS

Le statut de l'élu local dans les 27 pays membres de l'Union européenne fait l'objet de nombreuses modifications au cours des dix dernières années. Alors qu'une très large hétérogénéité existait jusqu'à présent, on assiste aujourd'hui à une évolution dans de nombreux pays qui se traduit par la diffusion de certaines pratiques telles que le recours au suffrage universel direct pour désigner les responsables des exécutifs locaux et la définition d'un véritable statut pour ceux qui exercent leur mission à plein temps.

Cette évolution trouve son origine dans une autre caractéristique qui tient au renforcement des compétences des collectivités territoriales en Europe à travers la montée en puissance des processus de décentralisation ou, le cas échéant, des statuts d'autonomie. Dans l'ensemble des pays concernés par ces évolutions, l'accroissement des pouvoirs des collectivités territoriales pose naturellement la question du renforcement de la légitimité démocratique des élus qui est devenue un objectif prioritaire des réformes concernant la gouvernance locale.

Ce renforcement de la légitimité des élus locaux s'est effectué à tous les niveaux :

• Lors de l'élection, tout d'abord, à travers le recours au scrutin universel direct. Un maire élu sur son nom et non plus par le conseil municipal est souvent considéré en Europe comme plus légitime face à l'opinion publique, face à sa propre administration et à son conseil et, enfin, face à l'Etat.

• Dans l'organisation même des collectivités territoriales qui distingue de plus en plus les fonctions exécutives et les fonctions délibératives. Cette « séparation des pouvoirs » au niveau local répond au souci de mieux identifier le rôle de chacun, le chef de l'exécutif chargé de « gouverner » et le conseil élu chargé de valider les orientations et de « contrôler ».

• Ce nouveau « système politique » légitime également l'adoption d'un statut particulier pour le chef de l'exécutif, qui devient un manager à « plein temps » qui peut parfois choisir lui-même les membres de son équipe dirigeante.

• Dans le cadre de son nouveau rôle, le chef de l'exécutif, au niveau communal, « départemental » ou « régional », se voit donc reconnaître un « statut » qui comprend une rémunération suffisante pour exercer sa mission à « plein temps » et, en contrepartie, des limites strictes au cumul des mandats.

Afin de prendre la mesure de cette évolution, l'Observatoire de la décentralisation a souhaité approfondir sa connaissance de la gouvernance locale européenne en menant plusieurs déplacements. Une délégation conduite par M. Jean Puech, Président de l'Observatoire de la décentralisation, et composée de MM. Philippe Dallier, Eric Doligé, Dominique Mortemousque et Bernard Saugey s'est ainsi rendue au mois de septembre 2007 à Francfort et Wiesbaden en Allemagne, puis à Milan en Italie et, enfin, à Madrid et Saragosse en Espagne (2 ( * )).

Par ailleurs, un bref questionnaire a été envoyé aux sénateurs au printemps dernier afin de les interroger sur l'avenir de la gouvernance locale à l'aune des expériences étrangères. Une annexe présente la synthèse des réponses reçues qui montre l'existence de nettes différences d'approche concernant certains sujets sensibles comme les moyens de renforcer la légitimité des élus locaux.

Compte tenu des éléments précédents, le présent chapitre présente quelques unes des réformes mises en oeuvre dans le reste de l'Europe et examine l'intérêt qu'il pourrait y avoir pour la France à s'inspirer de certaines d'entre elles.

Déplacements de l'Observatoire de la décentralisation

en Allemagne, Italie et Espagne

Une délégation de l'Observatoire s'est rendue mi-septembre dans plusieurs villes européennes pour y étudier la gouvernance locale (modalités de désignation des élus, règles d'exercice et de cumul des mandats) ainsi que les rapports entre les collectivités territoriales et l'État.

La délégation de l'Observatoire a commencé par se rendre à Francfort et Wiesbaden les 12 et 13 septembre. Elle y a rencontré les représentants des Landkreise et des communes du Land de Hesse. Elle a été reçue par le Ministre de l'Intérieur du Land de Hesse M. Volker BOUFFIER et le Dr Rolf-Norbert BARTELT, adjoint au maire de Francfort. Elle a été aussi reçue par une association de Kreise et une association de communes du Land de Hesse.

Elle a poursuivi son déplacement les 13 et 14 septembre à Milan où elle a été reçue longuement par M. Gian Valerio LOMBARDI, préfet de la région de Milan. Elle a été ensuite reçue par Mme Letizia MORATTI, maire de Milan. La délégation a ensuite participé à une séance de travail avec M. Manfredi PALMERI, Président du Conseil municipal de la commune de Milan, M. Claudio SANTARELLI, Vice-Président du Conseil Municipal ainsi que le Secrétaire général des services qui a permis de préciser les modalités de la gouvernance locale, en Italie.

La délégation a été ensuite reçue par M. Giuseppe VALTORA et des représentants de l'Union des Provinces lombardes. Elle a également eu l'occasion de rencontrer M. Luca DEL GOBBO, maire de Magenta.

La délégation de l'Observatoire s'est, enfin, rendue en Espagne les 18 et 19 septembre où elle a rencontré, en particulier, M. Javier ROJO, Président du Sénat espagnol, M. Josep Maria ESQUERDA SEGUES, Président de la commission des entités locales (commission des lois) du Sénat espagnol, M. Javier LAMBAN MONTANES, Président du Conseil général de la province (département) de Saragosse, puis le premier et le second adjoint au Maire de Saragosse.

Ces déplacements qui s'inscrivent dans le cadre de la préparation du rapport du président de l'Observatoire sur la gouvernance locale ont permis de dégager six grandes conclusions qui caractérisent l'évolution de la démocratie locale en Europe :

1. Un débat sur l'organisation locale qui « s'européanise »

Tout d'abord, et contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, les autres pays européens rencontrent également des problèmes d'organisation territoriale et s'interrogent sur la meilleure gouvernance locale. Par ailleurs, les élus locaux et les représentants de l'État suivent attentivement les évolutions qui existent en France et envient parfois notre organisation qui donne, en particulier, à l'État les moyens d'assurer la cohérence des initiatives publiques et la capacité d'exercer pleinement ses missions régaliennes.

2. Le rôle de l'État est reconnu même s'il est limité

En Allemagne, en Italie comme en Espagne, les compétences de l'État ont été dévolues pour beaucoup aux Länder, aux régions et aux communautés autonomes au cours des dernières années.

Pour autant, il existe un « besoin d'État » afin d'exercer une certaine cohérence et un contrôle de légalité. En Allemagne, ce sont les Länder qui sont chargés d'exercer une tutelle sur les autres collectivités ; en Italie, la suppression de la tutelle administrative en 2001 a créé une situation qui suscite des interrogations sur la capacité des collectivités à respecter le droit et à se coordonner les unes avec les autres. En Espagne, ce sont les entités locales (provinces et municipalités) qui souhaitent que l'État puisse servir de contrepoids à la puissance des communautés autonomes.

3. Un besoin de légitimité des élus locaux

Des collectivités locales dotées de compétences renforcées ont besoin d'une légitimité accrue. C'est pour cela que les exécutifs locaux sont élus au suffrage universel direct en Allemagne et en Italie. Cette réforme est intervenue en 1993 en Italie. L'élection au suffrage universel direct du maire est devenue la norme en Allemagne. En Espagne, ce mode d'élection est réservé aux plus petites communes (moins de 100 habitants).

L'élection au suffrage universel direct permet de respecter la volonté des électeurs. Elle est donc considérée comme un progrès démocratique. Par ailleurs, elle a aussi permis de renforcer le chef de l'exécutif en Italie face à un conseil élu à la représentation proportionnelle et donc souvent dépourvu de majorité claire.

4. Une limitation des cumuls de mandats

En Allemagne, les maires ne peuvent plus être élus au niveau du Land pour éviter les conflits d'intérêts car celui-ci légifère sur des sujets qui concernent les communes. Le cumul entre maire et membre du Kreis est permis, mais pas entre maire et président de Kreis. Les conseils municipaux peuvent permettre au maire d'exercer sa fonction à plein temps. A Francfort, le maire n'a, par exemple, aucun autre mandat.

En Italie, les maires et les présidents de province ne peuvent exercer plus de deux mandats successifs. Un maire ne peut se présenter aux élections législatives sauf s'il a démissionné au moins six mois avant. En Espagne, le cumul des mandats n'est, sauf exception, pas dans les usages.

5. Un débat sur la simplification administrative

Le débat sur le « mille feuilles » administratif est également présent en Allemagne où l'on s'interroge sur un regroupement des Kreise et la suppression du « Regierungpräsident » (circonscription locale du Land). En Italie, les partisans de la disparition des provinces semblent également de plus en plus nombreux, au nom, en particulier d'une réduction des coûts du fonctionnement du système politique et de la recherche d'une plus grande efficacité.

6. Vers des statuts particuliers pour les grandes agglomérations

Il apparaît, enfin, que les enjeux auxquels sont confrontés les grandes agglomérations comme Francfort ou Milan nécessitent des aménagements institutionnels qui pourraient passer soit par le développement de structures intercommunales soit par la concentration des pouvoirs de la commune et du département au sein de la « cité métropolitaine ». En Espagne, un statut législatif particulier a été adopté pour Madrid et Barcelone qui donne une capacité d'action plus importante à ces deux villes à dimension européenne.

A. UNE GOUVERNANCE LOCALE EN EUROPE FONDÉE SUR UNE LÉGITIMITÉ RENFORCÉE DES ÉLUS

1. Un renforcement des compétences locales qui modifie les modes de gouvernance locale

L'organisation territoriale de l'Europe est caractérisée par une grande diversité. Il existe des états unitaires, des états fédérés et entre les deux une multitude de système « mixtes » ou « à mi-chemin » qui mettent en place une régionalisation ou le développement d'autonomies. La caractéristique principale de l'Etat unitaire, illustré par exemple par le modèle français, demeure l'absence de reconnaissance de pouvoir législatif aux entités décentralisées alors que la définition de l'Etat fédéral, tel qu'il est appliqué en Allemagne, repose sur la limitation des compétences de l'Etat fédéral. A côté de ces deux modèles types, on peut citer, par exemple, le modèle espagnol qui reconnaît de larges compétences aux collectivités territoriales ainsi que la possibilité de recourir au Tribunal constitutionnel pour voir préserver leurs compétences.

Au-delà de ces définitions, il convient d'observer l'affirmation d'une tendance favorable à la décentralisation dans la plupart des pays européens qui s'illustre, en particulier, par l'adoption de réformes constitutionnelles en Belgique, en France, en Grèce, en Irlande, en Italie et au Royaume-Uni. Comme le remarque M. Michel Piron, député, dans un rapport paru en 2006 : « ces pays, au même titre que la France, affrontent les mêmes problématiques : tension entre efficacité économique et exigences démocratiques, mondialisation et européanisation, nouveaux modes d'administration publique, montée des régions, abstentionnisme et perte d'intérêt pour la politique en général et la politique locale en particulier, demande de représentation provenant de sections particulières, non élues, de la société » (3 ( * )).

Cette légitimation des politiques décentralisatrices s'est accompagnée de transferts de compétences notamment en Italie, en Espagne et en Grèce. En Grande-Bretagne, le processus de « dévolution » a même réduit les services de l'État à la portion congrue en Écosse et au Pays de Galles.

Ce mouvement de fond a eu pour autre conséquence de modifier sensiblement les modalités de gouvernance locale en Europe. Jusqu'à présent, il était habituel (4 ( * )) de distinguer au moins trois grands groupes de pays dont les traditions locales pouvaient être considérées comme convergentes :

o Un premier groupe rassemblait les pays du Sud de l'Europe (France, Italie, Belgique, Espagne, Portugal, Grèce) ayant été influencés par la tradition napoléonienne, les élus locaux y étaient considérés comme puissants au niveau national mais représentant des petites communes disposant de peu d'autonomie, l'accent étant mis sur leur rôle d'intermédiation avec le pouvoir central.

o Un deuxième groupe rassemblait le Royaume-Uni et l'Irlande avec des élus locaux sans grand poids politique au plan national mais très investis dans la conception et le fonctionnement des services publics sur le plan local.

o Enfin, un troisième groupe était constitué des pays d'Europe centrale et d'Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Scandinavie...) pour lequel le gouvernement local pouvait apparaître comme institutionnellement puissant et financièrement autonome dans le cadre d'une tradition favorable à la prise de décision décentralisée.

En dépit de ces traditions différentes, force est de constater que les pays européens ont été confrontés à des défis similaires qui les ont amenés à adopter des réponses convergentes.

2. Des évolutions convergentes motivées par la nécessité de renforcer la légitimité de l'élu

Alors que le territoire local était jusqu'à il y a peu principalement le lieu de la légitimation politique, de la construction du « leadership », il est apparu progressivement comme l'espace naturel d'exercice de nombreuses politiques publiques et, donc, comme un lieu d'exercice de la responsabilité politique.

Pour commencer, l'évolution des modes de gestion publique a considérablement accru la technicité des fonctions locales. Le développement des relations contractuelles avec des gestionnaires privés (privatisations, délégations de service public, partenariats public-privé en particulier), le poids grandissant de la réglementation, notamment en matière de marchés publics, la diversité croissante des statuts des personnels locaux et des réglementations afférentes constituent quelques unes des évolutions notables à l'oeuvre depuis deux décennies.

Pour y répondre, l'élu local doit non seulement être un bon médiateur des attentes de ses administrés mais il a dû également développer des qualités de juriste, de gestionnaire et de communicant. « Homme à tout faire », l'élu local devient un « multi-spécialiste » qui doit rendre des comptes sur le plan politique mais également sur le plan managérial, budgétaire, civil et pénal. Cette évolution s'est traduite par une charge de travail en augmentation constante pour les élus détenteurs d'une fonction exécutive.

Le statut de l'élu local en Suède

Il y a en Suède deux niveaux d'autorités locales. Les communes, dont le nombre a été considérablement réduit, sont au nombre de 284. Il y en avait plus de 2000 au début du 20ème siècle. Les attributions des communes comportent les services d'action sociale et les domaines de l'environnement, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, mais également les questions d'éducation, y compris la prise en charge des enseignants. En revanche, il n'y a pas en Suède de services de police municipale. Les 20 régions exercent des responsabilités essentiellement dans le domaine économique, mais sont également responsables de la gestion de l'essentiel du système de santé, avec la gestion des hôpitaux et de l'ensemble du système de soins. Le poids économique des communes et des régions est considérable puisqu'elles emploient au total plus de 1,1 million de personnes, chiffre incluant l'ensemble des personnels de l'éducation primaire et secondaire, de même que l'essentiel du personnel de santé. La ville de Stockholm emploie plus de 50 000 personnes.

Les membres des conseils municipaux et régionaux sont élus au suffrage universel direct tous les quatre ans, le même jour que les députés au parlement national. Il n'y a pas eu d'évolution notable concernant le « métier d'élu local » en Suède au cours des dernières années. Il y a environ 14.000 élus dans les conseils municipaux et régionaux, dont la grande majorité exerce leur mandat en plus de leur profession habituelle, en percevant une indemnité pour chaque séance du conseil.

Les femmes représentent un peu plus de 45% des élus locaux. Selon les communes, la taille du conseil municipal varie de 15, pour les plus petites communes, à 101 membres (Stockholm). Seuls 2000 d'entre eux exercent leur mandat à temps plein (1200) ou a temps partiel (800). Le nombre de ces élus pris en charge par les collectivités locales dépend de la taille de la commune (les plus petites communes ont un seul élu à temps partiel pris en charge par la commune, la ville de Stockholm une quinzaine) ou de la région. Leur salaire est fixé par les collectivités locales elle-même et vont de 25.000 à 80.000 couronnes suédoises (2.800 à 9.000 euros) par mois, les entités les plus importantes versant les salaires les plus élevés. La loi organise l'emploi de ces membres à temps plein de conseils de manière généreuse, ils bénéficient d'une retraite à taux plein s'ils ont exercé leur mandat pendant 12 ans et leur employeur est dans l'obligation de les reprendre à l'expiration de leur mandat. En fait, dans un système politique marqué par le système proportionnel, les employés à plein temps des conseils locaux sont généralement des hommes politiques en attente d'une confirmation de leur position au sein de leur parti et d'un mandat parlementaire.

La situation généralement favorable de l'élu politique ne fait pas l'objet d'un véritable débat au sein de la classe politique, ni au sein de l'opinion. Des critiques de type populiste sont parfois émises par les petits partis, en particulier d'extrême droite qui ne bénéficient pas eux-mêmes pleinement du système. Ils sont ainsi généralement exclus des postes pris en charge par les communes ou régions en raison de leur faible poids et parce que les partis politiques traditionnels ont une attitude de « cordon sanitaire » à leur égard.

En Suède comme en France, les présidents des conseils municipaux et régionaux ne sont pas élus directement, mais par le conseil lui-même lors de sa première session. Le titre de « maire » n'existe même pas officiellement dans les textes suédois, même si les présidents de conseils municipaux se prévalent généralement de celui-ci. L'idée d'une élection directe des maires et des présidents de conseil régionaux fait partie des pistes de réflexion de la classe politique, notamment de « l'Association des Communes et Régions » qui pense que la fonction de ces responsables se trouverait ainsi valorisée dans l'opinion.

L'idée d'une réorganisation des structures avec une réduction du nombre de régions est envisagée et a fait l'objet de différentes études. L'idée est de constituer des régions d'une taille comparable à celles des autres pays de l'Union européenne et rassembler entre un et deux millions d'habitants. Ces entités nouvelles devraient disposer chacune d'un « parlement régional », doté de pouvoir accrus en matière économique et sociale, d'une université et d'un hôpital universitaire.

Par ailleurs, les compétences des collectivités locales ont été accrues à travers les lois de décentralisation, de « dévolution » en Grande-Bretagne ou de renforcement des autonomies et des régions en Espagne et en Italie dans le cadre d'une application du principe de subsidiarité. En Suède, le nombre des communes a été fortement réduit, ce qui augmente d'autant les responsabilités des gestionnaires locaux et un projet est à l'étude pour réduire le nombre des régions de 20 à 6 ou 9.

Confrontés à une fonction de plus en plus exigeante en termes de temps et placés dans la nécessité de développer de nouvelles compétences pour mener à bien des projets en commun avec l'État, l'Union européenne, les autres collectivités, les entreprises..., les élus locaux détenteurs de fonctions exécutives ont dû, de plus en plus, s'impliquer dans l'exercice de leur mandat à plein temps. Le renoncement à l'exercice d'une autre activité professionnelle a ainsi amené de nombreux élus à professionnaliser leur activité politique et à l'envisager sous la forme d'une « carrière ». Dès lors, la question du statut est devenue plus prégnante notamment en ce qui concerne le salaire, la reconversion à l'issue du mandat, la formation.

Par ailleurs, la question du cumul des mandats a également changé de nature puisque à mesure que l'exercice des mandats locaux est devenu plus « chronophage », le cumul des mandats a pu apparaître comme un facteur de mauvais exercice de ceux-ci. C'est ainsi que si le cumul des mandats était déjà très limité dans le reste de l'Europe, il a quasiment disparu dans la plupart des pays, à l'exception de la Belgique qui reste proche de la France en cette matière.

Face à l'accroissement des responsabilités des élus locaux, une forte demande de légitimation s'est fait entendre qui a donné lieu à des réformes institutionnelles ayant privilégié, notamment, le recours à l'élection au suffrage universel direct.

Le statut de l'élu local en Espagne

Il existe en Espagne trois niveaux hiérarchisés de collectivités infra-étatiques (établis par l'article 137 de la Constitution espagnole). Les plus importantes sont les Communautés autonomes (17). En dessous se situent les Provinces (50) -dont les élus sont les seuls désignés au suffrage indirect-, et les Municipalités (plus de 8.800). A cette division de base se sont ajoutés des niveaux d'intercommunalité tels les « comarcas » et « mancomunidades ».

De manière générale, le travail des élus locaux espagnols est reconnu et apprécié : parce qu'ils se situent à l'échelon le plus proche de la population et sont donc perçus comme plus à même de résoudre les problèmes concrets quotidiens ; parce que leur charge procède plus souvent d'une vocation citoyenne que d'une ambition nationale. Il n'est pas rare d'observer un décalage, voire une inversion, entre scrutins nationaux et scrutins locaux dans une même ville. A noter toutefois que divers scandales de corruption urbanistique ayant récemment éclaté, notamment dans certaines villes du littoral, ont eu un impact négatif (mais difficile à quantifier) sur l'image des élus locaux.

La bonne image des élus locaux espagnols dans l'opinion tient à des raisons institutionnelles (forte décentralisation) ainsi, semble-t-il, qu'à des règles assez précises et rigoureuses limitant le cumul des mandats et fixant le régime des incompatibilités. Ainsi, il n'est pas possible pour un parlementaire au sein d'une Communauté autonome d'être élu au Congrès des Députés. De même, s'il n'existe pas de règle formelle interdisant à un Député national d'être titulaire d'un mandat local, la pratique est quasiment inexistante. Ce n'est en revanche pas le cas au Sénat, où siègent de nombreux maires et conseillers municipaux, mais cette institution dispose de pouvoirs bien moindres que le Sénat français. Un maire peut également être élu à la tête d'une Assemblée de province. Le poids institutionnel des Communautés autonomes a, en outre, pour conséquence que certains acteurs de premier plan de la scène politique nationale n'occupent au cours de leur carrière aucun poste autre que local ou régional.

Les règles de base relatives aux élus locaux au sens large figurent dans le Chapitre V de la loi du 2 avril 1985, intitulé « Statut des Membres des Institutions locales » (Estatuto de los Miembros de las Corporaciones locales). Ces règles se contentent de fixer un cadre général, car des différences qui tendent à s'accroître existent, en effet, d'une Communauté autonome à l'autre.

L'article 73 de ce texte renvoie à la loi électorale pour ce qui a trait à la détermination du nombre de membres des institutions locales, à la procédure électorale et à la durée de leur mandat (4 ans). L'article 74 cherche à articuler le droit à exercer un mandat public représentatif (garanti par l'article 23.2 de la Constitution) et le droit au travail (article 35 du même texte).

Il fixe notamment les règles relatives à la situation des élus membres de la fonction publique : ceux-ci se trouvent en situation de « services spéciaux » (forme de disponibilité) lorsqu'ils sont élus au sein de la collectivité pour laquelle ils sont supposés travailler (ce qui est un motif d'incompatibilité) ou lorsqu'ils sont fonctionnaires au sein d'une autre administration, mais que leur mandat est rémunéré et à temps plein. Par ailleurs, les élus locaux exerçant leur mandat à temps partiel sont assurés de voir l'emplacement de leur lieu de travail (que leur emploi soit public ou privé) inchangé pendant la durée de leur mandat.

L'article 75 distingue les différentes formes de rémunération des élus locaux :

- les rétributions (exclusives de toute autre forme de rétribution publique) sont réservées aux élus exerçant leur mandat à temps plein. Considérés comme des salariés, ils sont affiliés au Régime général de Sécurité Sociale. Les élus exerçant leur charge à temps partiel se verront rétribués à hauteur du temps consacré à l'exercice de leur mandat.

- les indemnités de présence (« asistencias ») sont versées à ceux des élus qui n'exercent leur mandat ni à temps plein, ni à temps partiel, pour chacune des sessions auxquelles ils assistent effectivement.

- enfin, chaque élu peut être indemnisé des dépenses qu'il a été amené à faire dans le cadre de son mandat.

Le montant de chacune de ces rémunérations est fixé par l'assemblée plénière (« Pleno ») de chaque institution, c'est-à-dire le Parlement pour les Communautés Autonomes, l'Assemblée pour les provinces, et l'Assemblée municipale pour les communes. En outre, sont exigées de la part de chaque élu local lors de sa prise de fonctions une déclaration sur toutes les causes d'incompatibilité possibles, ainsi que sur toutes les activités susceptibles de lui assurer une source de revenus, en même temps qu'une déclaration sur le contenu de son patrimoine.

C'est à l'assemblée plénière de chaque institution que revient également le soin de déterminer le nombre de postes et de mandats exigeant un exercice à temps plein : tout dépend bien entendu de la taille de la collectivité. Enfin, l'assemblée plénière évalue, pour chaque élu concerné, si son mandat et son activité professionnelle sont compatibles.

Les élus locaux ont le droit et l'obligation d'assister aux sessions des organes collégiaux, sous peine d'amende en cas d'absence non justifiée.

Depuis le 9 décembre 2006, est entrée en vigueur une loi du 29 novembre de la même année, répondant à une revendication de longue date des élus locaux, et qui étend à ces derniers la protection et la couverture de la Sécurité Sociale en cas de chômage, dont ils étaient auparavant exclus. Cette mesure concerne tout particulièrement les élus exerçant leur mandat à temps plein, susceptibles de se retrouver au chômage en cas de défaite électorale.

Diverses évolutions ont eu lieu depuis 1985, poursuivant des objectifs différents.

a) La Loi 11/1999 du 21 avril, adoptée dans le cadre du « Pacte local », a cherché à renforcer les fonctions exécutoires et de gestion des Présidents des institutions locales. Elle s'accompagnait d'une modification de la Loi organique du Régime électoral général, destinée à améliorer la procédure de la motion de censure, et introduisant au niveau local la « motion de confiance ». Objets d'un large consensus politique, ces textes se fondaient sur les observations effectuées quant au fonctionnement des institutions locales quatorze ans après l'entrée en vigueur de la loi de base.

b) La Loi 57/2003 de mesures pour la Modernisation du Gouvernement local a modifié les règles de fonctionnement des municipes les plus importants.

La loi poursuivait deux objectifs : répondre aux attentes d'une direction claire et transparente pour les électeurs, ce qui nécessite des responsables à même de gérer rapidement et efficacement, mais également répondre à l'exigence d'un débat public ouvert et créatif portant sur les principales politiques de la ville, tout en approfondissant le contrôle d'un exécutif renforcé, par le biais du développement des pouvoirs de délibération et d'enquête de l'assemblée plénière.

Transformée en véritable organe « parlementaire » délibérant, cette dernière se trouve privée de fonctions exécutives et administratives : celles-ci sont en effet attribuées au Conseil de Gouvernement Local (« Junta de Gobierno Local »), qui occupe une position prééminente dans la nouvelle organisation, puisqu'il hérite de la plupart des fonctions exécutives du maire. Certains ont opéré un parallèle entre le système de gouvernement national et le nouveau système local ainsi créé, en assimilant le rôle du maire à celui du chef du Gouvernement (Presidente del Gobierno).

Pour répondre aux exigences croissantes en matière de compétences techniques, le texte offrait au maire la possibilité de désigner, pour faire partie du Conseil de Gouvernement Local, un certain nombre de membres non élus (sans avoir le statut de conseiller), dans la limite d'un tiers du total des membres . Le maire peut ainsi s'entourer d'experts à même de lui apporter un éclairage complet sur des thèmes à la composante technique importante.

c) Depuis 2005, a été lancée l'idée d'une nouvelle réforme du Gouvernement local, dont l'un des aspects les plus importants serait l'extension du système élaboré en 2003 pour les plus grandes communes à l'ensemble des municipes.

La question a fait l'objet d'un livre blanc auquel ont contribué de nombreux experts, et où les exemples de l'Allemagne et de la France étaient notamment évoqués. Une conférence sectorielle (réunissant le Ministre compétent sur le plan national, et les ministres idoines de chaque Communauté Autonome) a été créée, et un avant-projet de Loi de base du Gouvernement et de l'Administration locale (Anteproyecto de Ley Básica del Gobierno y la Administración Local) a vu le jour.

Les principaux points du projet sont une nouvelle régulation des compétences (adaptée à une société dont les caractéristiques ont sensiblement évolué depuis 1985), le développement d'un modèle d'intercommunalité cohérent, la clarification du Statut des élus locaux (donnant à la majorité les moyens de gouverner, et à l'opposition les moyens de contrôler), et la mise en place d'un système où la séparation des pouvoirs serait clairement établie au niveau local. Était également évoquée dans les travaux préparatoires la possibilité d'introduire l'élection directe du maire (revendication qui figure d'ailleurs dans le programme des principales forces politiques), mais cette évolution semble avoir pour l'instant été laissée de côté. Le projet devait théoriquement être étudié au début de l'année 2007, mais le contexte politique actuel, marqué par une forte crispation, laisse planer le doute quant au fait qu'il puisse être adopté avant les élections autonomes et municipales prévues en mai prochain.

* (2) Le compte-rendu de ces déplacements est reproduit en annexe du présent rapport.

* (3) « Gouverner en France : quel équilibre territorial des pouvoirs ? », rapport d'information n° 2881 de M. Michel Piron, Assemblée nationale, février 2006, p. 170.

* (4) Voir sur ce sujet les analyses de Mme Élodie Guérin-Lavignotte et de M. Éric Kerrouche, « Les élus locaux en Europe - Un statut en mutation », Les études de la Documentation française, 2006.

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