2. Le rôle déterminant de la demande

a) L'intérêt d'améliorer la capacité financière des entreprises

La rentabilité économique du capital est un déterminant essentiel de l'investissement. Elle est une fonction croissante du taux de marge qui, depuis le début des années 1990, se situe à un niveau historiquement élevé, ainsi qu'il ressort du graphique suivant :

GRAPHIQUE N° 3

Source : d'après données INSEE

Il est à noter que, pour accompagner l'accélération de l'investissement, le scénario central retient l'hypothèse d'une maîtrise des coûts salariaux ( cf. tableau 8 du rapport de l'OFCE en annexe ) favorable à la bonne tenue des taux de marge, qui progresseraient de près de 2 points sur la période 2008-2012.

Le précédent rappel des déterminants de l'investissement souligne par ailleurs le rôle central des taux d'intérêt, qui interviennent non seulement dans le calcul économique de l'entreprise (les gains attendus de l'investissement doivent permettre de couvrir son coût, qui comprend des intérêts d'emprunt), mais encore dans son calcul financier (le gain actualisé de l'investissement doit être supérieur à celui que procure la rémunération d'un placement à long terme).

Contrairement à une opinion répandue, les taux d'intérêt réels ne peuvent être considérés, aujourd'hui, comme historiquement bas ou « plutôt accommodants », ainsi que le fait apparaître le graphique suivant :

GRAPHIQUE N° 4

TAUX NOMINAL ET RÉEL DEPUIS 1973 32 ( * )

Sources : Bundesbank, BCE et Eurostat

Tout au plus, le principal taux directeur de la banque centrale européenne, aujourd'hui fixé à 4 %, peut-il être considéré comme « neutre ». Un taux d'intérêt réel « neutre » renvoie à l'idée d'un taux en phase avec la croissance potentielle de l'économie ; ainsi, la valeur de 2 % en termes réels est le plus souvent retenue.

Les scénarios présentés sont assis sur une stabilité des taux d'intérêt. Cette hypothèse paraît être une condition majeure de la croissance décrite dans ces scénarios. Sa plausibilité peut être appréciée en fonction d'une série de raisonnements :


A court terme , des tensions sont intervenues sur les taux d'intérêt en conséquence de la crise des subprime. Elles ont incité les banques centrales à réagir, pour l'une, à baisser ses taux d'intervention (Réserve fédérale des Etats-Unis), pour l'autre (la BCE) à se contenter de ne pas les augmenter. Ainsi, les capitaux en provenance des pays émergents cherchant à s'investir étant structurellement très abondants, la crise de liquidité actuelle pourrait bien n'être que passagère.


• Dans la zone euro, à moyen terme , la tendance à la réduction des déficits publics devrait se traduire par une moindre demande d'emprunt public et donc aller dans le sens d'une baisse des taux d'intérêt.

Par ailleurs, le cycle monétaire aux Etats-Unis devrait jouer. Un desserrement des conditions monétaires pourrait intervenir. Dans ces conditions, l'eurogroupe pourrait, à la faveur d'une prise de conscience collective, décider de tenir compte du handicap que constitue le cours de l'euro face au dollar pour la compétitivité de la zone euro. La BCE pourrait être incitée à ce que ses taux d'intérêts ne suivent pas une pente éloignée de ceux de la FED, qui s'est fixé, elle, des objectifs plus résolument orientés vers la croissance ( cf. chapitre IX ) 33 ( * ) .

Ces facteurs de détente doivent toutefois être mis en balance avec les orientations de taux que seraient susceptibles d'engendrer les tensions inflationnistes liées, par exemple, à une hausse du prix des matières premières dans le contexte d'une activité mondiale qui demeurerait soutenue.

Quoi qu'il en soit, la mise en place d'une politique monétaire plus accommodante pourrait favoriser une accélération de l'investissement des entreprises , dans le contexte d'une situation financière des entreprises qui s'est globalement assainie ces dernières années ( cf. graphique n° 5 ci-dessous ) et de l'existence de besoins de rattrapage.

L'actuelle crise de liquidité interbancaire donne à ce propos, de façon probablement passagère, une acuité particulière, même si la réflexion sur un meilleur accès des entreprises au crédit, notamment des PME, mérite d'être poursuivie.

GRAPHIQUE N° 5

b) La nécessité de restaurer la crédibilité de la croissance

Votre Délégation observe qu'à moyen terme, dans un contexte où les taux d'intérêts réels demeureraient fondamentalement proches de la neutralité, la rentabilité économique dépendra aussi de la demande effective . A cet égard, il peut être éclairant de rappeler les résultats d'une enquête relativement ancienne, qu'il convient de mettre en perspective avec le graphique ( supra ) retraçant l'évolution des taux d'intérêt réels :

POIDS DES DIFFÉRENTS FREINS À L'INVESTISSEMENT
SELON LES CHEFS D'ENTREPRISE

% des chefs d'entreprises citant cette cause

1992

1998

Taux d'intérêt

84

12

Demande

75

78

Fonds propres

64

50

Rentabilité

60

58

Endettement

57

23

Source : Enquête de conjoncture INSEE, 4 e trimestre 1999

Ce rapprochement suggère que, depuis la fin des années quatre-vingt dix, le frein principal à l'investissement se situe du côté de la demande anticipée.

Pour que les entreprises prennent la décision d'investir, il faut avant tout conforter leurs perspectives, ce qui plaide pour une politique de croissance.

Si, dans l'économie mondialisée, la propension à investir dans les zones qui offrent des coûts de production réduits est forte, l'importance des perspectives locales de chiffre d'affaires ne doit pas être négligée.

Même si la croissance en zone euro est moins rapide que dans les pays émergents, une bonne orientation de l'activité, même sur un rythme moins élevé, y recèle encore des occasions d'augmenter les chiffres d'affaires qui se comparent avec d'autres zones.

La mondialisation de l'investissement

Avec 65 milliards d'euros en 2006 34 ( * ) (montant identique à 2005), la France se situe à la troisième place 35 ( * ) parmi les pays de l'OCDE (hors Luxembourg) comme pays d' accueil des investissements directs étrangers (IDE) 36 ( * ) .

Mais avec 92 milliards d'euros en 2006 (97 milliards d'euros en 2005), la France est demeurée le deuxième plus grand pays investisseur dans les pays de l'OCDE (derrière les Etats-Unis).

Les comparaisons de rentabilités économiques sur les différents territoires constituent le déterminant majeur de l'investissement des grandes entreprises. On peut ainsi identifier deux raisons principales d'investir à l'étranger : la diminution des coûts de production et l'accès à certains marchés , ce dernier mobile étant le plus susceptible de profiter au territoire français . Les investissements directs étrangers permettent à la fois d'accéder aux secteurs innovants des pays développés et de trouver, sur place, des débouchés à la production. Les perspectives de croissance locales constituent donc un facteur décisif pour attraire l'investissement étranger en France et pour y maintenir l'investissement national . Réciproquement, la recherche de moindres coûts est susceptible d'encourager l'investissement à l'étranger, qu'il s'agisse de délocalisations ou de « non-localisations ». Naturellement, il serait vain d'inciter à une plus grande maîtrise des coûts salariaux pour réduire utilement le très grand écart des rémunérations entre les anciennes démocraties industrialisées et les pays en voie de développement. La question posée aujourd'hui est plutôt celle de l'identification des secteurs à forte valeur ajoutée dans lesquels il s'agit de garder on de conquérir une place de premier rang, et d'y favoriser l'intensité de l'investissement en recherche et développement.

Quoi qu'il en soit, les mouvements d'investissement transnationaux sont marqués par une grande volatilité . Par exemple, après avoir enregistré un recul continu entre 2000 (193 milliards d'euros investis) et 2004 (46 milliards d'euros investis), depuis 2005, l'investissement français a enregistré l'effet de nombreuses opérations d'acquisitions de firmes étrangères.

Pour les grandes entreprises cotées en bourse, la croissance externe constitue, en effet, le moyen d'éviter de devenir, elles-mêmes, victimes d'une offre publique d'acquisition (OPA), en devenant trop onéreuses. S'il s'agit d'investissements souvent lourds et risqués, ils ne créent pas, d'un point de vue macroéconomique, de richesses supplémentaires puisque les entreprises en question existent déjà. On observe ainsi que la capacité d'investissement des « entreprises du CAC 40 » est largement utilisée pour des opérations qui ne débouchent pas sur le développement de nouvelles capacités de production .

D'une façon générale, le bilan de l'investissement mondial pour la France dépend, pour une partie substantielle, de déterminants aussi complexes, difficilement mesurables ou peu généralisables que l'attractivité des territoires, les opportunités d'acquisitions et les mouvements financiers intra-groupes.

A ce propos, on peut être sensible aux considérations exposées par Jean-Paul FITOUSSI, président de l'OFCE, sur les causes de l'accélération considérable de la productivité aux Etats-Unis dans les années 90, quand il estime que celle-ci était « la conséquence d'une gestion de l'activité, qui, à l'échelle du pays réduit le risque d'investissement. (...) Aux Etats-Unis, on a à peu près huit années de croissance par décennie, une année de récession, et une année de croissance molle. En Europe, on a habituellement trois années de croissance par décennie, une ou deux années de récession, et cinq années de croissance molle. Ce qui fait qu' un investisseur sur un marché européen est soumis à un risque d'activité beaucoup plus important que son correspondant sur le marché américain ».

Ainsi, il semble qu'une crédibilité restaurée en termes de perspectives de croissance serait de nature à favoriser une dynamique d'accumulation plus rapide du capital.

Cette considération pose, en premier lieu, la question de la capacité de la zone euro à appliquer une stratégie de croissance autonome. Y répondre suppose que soient clairement et mieux posés, à l'échelle de la zone euro, les termes de la coordination des politiques économiques en son sein, notamment entre la politique monétaire et la politique budgétaire ( cf. chapitre IX ).

En définitive, il paraît souhaitable d'orienter les politiques économiques vers un objectif de forte croissance, non seulement en France mais aussi en Europe : elle seule offre la garantie de débouchés constants à la production, condition première de l'investissement, lui-même condition forte de l'élévation du rythme de la croissance potentielle .

* 32 De 1973 à 1998, le taux nominal est celui fixé par la Bundesbank. Le taux directeur de la BCE est utilisé à partir de 1999. L'inflation de la zone euro est retenue pour le calcul du taux d'intérêt réel.

* 33 Aujourd'hui, les anticipations de réduction du différentiel de taux court avec les Etats-Unis sont responsables de l'appréciation continue de l'euro face au dollar.

* 34 Les IDE entrant en France représentent 15,5 % de la formation brute de capital fixe . Les 18.000 filiales des sociétés étrangères implantées en France créent 17 % de la valeur ajoutée totale du pays et emploient 1,9 millions de personnes (soit un salarié sur 7).

* 35 Elle a accueilli 9 % du total des flux d'IDE dans l'OCDE, derrière les Etats-Unis (20 %) et le Royaume-Uni (15 %).

* 36 D'après le rapport de l'OCDE : « Trends and recent developpments in foreign direct investment » du 21 juin 2007. Trois catégories d'IDE sont identifiés : capital social (quote-part du capital social détenu à partir d'un investissement nouveau, d'un rachat de société...), bénéfices réinvestis (les bénéfices ou pertes des entreprises affiliées sont pour partie incorporés à leur capital social sous la forme de réserves, qui constituent les bénéfices réinvestis) et autres opérations (flux bilatéraux de prêts entre l'investisseur et la société affiliée ou des mouvements financiers entre sociétés affiliées).

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