B. DES SERVICES INSUFFISAMMENT RECONNUS PAR L'ÉCONOMIE
Un constat s'impose : l'étude des externalités positives fournies par les écosystèmes reste un domaine qui n'a pas été complètement exploré par la recherche économique.
C'est lié au fait que les services rendus par les écosystèmes étaient abondants et disponibles. Il s'agissait de facteurs de production indispensables - mais indirects et gratuits - qui n'étaient pas pris en compte dans le calcul économique .
Or, l'affaiblissement progressif des écosystèmes entraîne l'érosion de la disponibilité des services qu'ils rendent, et la montée des conflits d'appropriation consécutifs à cette raréfaction 57 ( * ) .
Il est donc nécessaire de réinsérer les services écologiques dans le calcul économique et de tirer les conséquences de cette réinsertion en modifiant les politiques publiques qui les concernent directement.
1. La réinsertion des services écologiques dans le calcul économique
a) Des économies externes très importantes
Quelle est la mesure financière des services que les écosystèmes fournissent presque gratuitement à l'économie mondiale ?
Le principal chiffrage a été effectué par l'économiste Costanza 58 ( * ) qui a calibré l'ensemble des biens et des services fournis par la biodiversité à 33 000 milliards en 1995 et non comptabilisés (donnée à comparer avec le PIB mondial actuel qui est de l'ordre de 35 000 milliards de dollars)
Cette évaluation est assez rudimentaire mais elle met en perspective l'importance des services rendus par les écosystèmes, puisque ce n'est qu'au terme de deux siècles de développement industriel accéléré que l'humanité arrive à produire une valeur de PIB de même ordre.
En d'autres termes, les services rendus par les écosystèmes nous fournissent gratuitement l'équivalent d'un produit intérieur brut mondial .
Cette mise en parallèle constitue un avertissement salutaire et une incitation économique à user plus durablement de ces ressources.
b) Des caractéristiques qui ne correspondent pas au fonctionnement du marché
Les services fournis par la biodiversité des écosystèmes sont utilisés par le marché mais ne correspondent pas à sa logique de fonctionnement :
- ils reposent sur des temps longs de constitution ou de reconstitution après usage,
- ils fournissent des utilités collectives qui ne sont pas clairement appropriables par des acteurs individuels,
- à l'opposé, les conditions de leur maintien s'opposent régulièrement à des appropriations privatives,
- enfin, lorsque ces services se dégradent, cette altération n'apparaît pas clairement en termes de niveau de vie car elle n'est pas intégrée au PIB. Au contraire, l'accroissement du fait de la dépollution pour l'eau semble accroître le PIB.
Pourtant des instruments qui permettent de quantifier financièrement, et donc de les réintégrer dans les équations de prix, existent :
- Les coûts comparatifs de maintien.
A titre d'illustration, on peut référer le coût de l'érection de barrages réservoirs de rétention de l'eau et le coût de maintien d'une surface de zones humides rendant les mêmes services.
C'est également une des méthodes choisie par les Costaricains qui alignent le rapport économique d'une forêt sur le rapport d'une surface cultivée ou mise en pâture fixée par la Banque mondiale (environ 50 dollars/hectare) et en déduisent une part (de l'ordre de 10 dollars/hectare) pour rembourser les services écologiques rendus par la forêt.
- Les coûts comparatifs de remplacement.
Ce type de calcul qui s'apparente au précédent consiste à mettre en parallèle le coût de maintien d'un écosystème et les coûts indirects de remplacement fournis par sa disparition ou son altération.
Cette méthode peut être appliquée, par exemple, au rôle des haies dans la contention et dans le maintien de la pollinisation des ravageurs, le coût de comparer leur maintien et celui de leur disparition.
- L'organisation de la rareté
Si leur affaiblissement se poursuit, les services écologiques deviendront rares. D'où l'idée qu'il peut être possible d'organiser par anticipation une rareté permettant de réintégrer ces services dans le calcul économique.
On a vu, en seconde partie de ce rapport, qu'il serait envisageable de recourir à cette solution pour limiter les pressions sur certains éléments des biotopes mondiaux, comme les ressources halieutiques ou les bois tropicaux.
Mais, on voit bien que l'utilisation de l'ensemble de ces instruments économiques qui permettraient de donner une valeur marchande aux services fournis par la biodiversité, peut être limitée par la nature collective des biens qu'ils permettent de délivrer - comme l'eau - et par le fait que le maintien des écosystèmes relève de durées longues peu adaptées à l'instabilité des transactions marchandes.
Il est donc clairement du ressort de la puissance publique d'organiser par anticipation la prise en compte de ces services par l'économie, avant que la raréfaction n'en renchérisse excessivement les coûts. Cela suppose une réorientation des politiques publiques.
* 57 Une étude qui serait menée sur l'évolution du prix de l'eau potable en France sur les quarante dernières années montrerait le coût de la dégradation des services écologiques hydrologiques.
* 58 Cf. l'article précité