III. L'ACTUALITÉ EN DÉBATS

A. QUESTIONS DE DÉFENSE

La surveillance des frontières maritimes de l'Europe

M. Mota Amaral présente son rapport. Le transport des marchandises ne cesse d'augmenter avec la mondialisation, tout comme la demande de ressources énergétiques. Ces évolutions s'accompagnent de problèmes de sécurité nouveaux, notamment au regard de la prévention des catastrophes écologiques, qui doit devenir une préoccupation constante. De plus, l'intensification du trafic maritime va de pair avec un accroissement des pollutions de toutes sortes : des mesures répressives s'imposent donc. La mer est un patrimoine commun de l'humanité. Ce principe implique des responsabilités particulières pour tous les usagers de la mer, en particulier l'application du principe « pollueur-payeur ». Dans ce contexte, la surveillance aérienne et satellitaire doit s'imposer.

Le rapport traite aussi de la répression des trafics illicites, en particulier celui des stupéfiants, qui a considérablement aggravé les problèmes anciens de la contrebande. L'immigration clandestine, par les drames qu'elle engendre, exige aussi des réponses fermes et efficaces. La surveillance des côtes est une responsabilité de chaque État souverain. Mais pour endiguer ce phénomène, il faut coordonner les nombreux services et entités publiques soumis à la tutelle des gouvernements nationaux, et surtout assurer une coopération internationale plus intense. Plusieurs expériences de coopération européenne ont déjà été menées dans le domaine de la prévention, notamment avec l'Agence européenne des frontières, Frontex. Bien sûr, s'il est impératif de lutter contre l'immigration clandestine qui profite à des réseaux criminels, cela doit se faire dans le respect des droits de l'Homme.

Le Président ouvre alors la discussion générale. M. Hancock (Royaume-Uni) est le premier orateur. Il souligne qu'en tant qu'élu d'une ville qui est le siège de la Royal Navy, il a pu constater l'efficacité d'une force maritime. Il faut s'interroger sur les raisons du manque actuel de coordination entre les gardes maritimes des différents pays. Compte tenu de la lenteur des déplacements des navires, une meilleure coopération au niveau européen mais aussi mondial, lui paraît indispensable. La même remarque vaut en ce qui concerne la lutte contre les trafics et les crimes en mer. L'interopérabilité est aussi un point essentiel, comme l'a montré l'expérience de l'OTAN. Si les trafics d'être humains sont atroces, il ne suffit pas de s'en prendre aux trafiquants. Les pays dont proviennent les navires impliqués ne peuvent ignorer ce qui se passe sur leurs côtes. Il faut donc incriminer aussi les États, souvent occidentaux, d'où vient la demande. La même remarque vaut en ce qui concerne les trafics de drogue.

Mme Nurmi (Finlande) apporte des précisions sur la coopération maritime dans la mer Baltique. Les pays scandinaves et les trois États baltes coopèrent sur de nombreuses questions de défense et de sécurité. Ils ont notamment pris des mesures importantes pour prévenir les trafics. En mer baltique, l'enregistrement des mouvements des navires et la communication de leur itinéraire sont obligatoires.

La coopération entre la Finlande et la Suède est particulièrement étroite au sein du programme conjoint de coopération de surveillance maritime, lequel vise à développer l'interopérabilité des forces navales, à améliorer la sécurité maritime et à renforcer la sécurité des frontières maritimes.

Enfin, la possibilité d'élargir les capacités de surveillance maritime à l'échelon européen est étudiée par un groupe de travail de l'Agence européenne de défense. La moitié des États membres participe aux réunions du système de surveillance maritime Marsur , dont l'objectif est de construire les capacités d'avenir.

M. Pavlidis (Grèce) tient à faire part de l'expérience qu'il a acquise au sein du ministère grec de la marine marchande comme au ministère des îles. En Méditerranée, on assiste aujourd'hui à un trafic d'être humains détestable, tandis que la Méditerranée orientale voit passer 20 % du trafic de drogue à destination de l'Europe occidentale. À ceci s'ajoute le trafic des oeuvres antiques. Il ajoute que M. Caramanlis, le Premier ministre grec, vient de rencontrer son homologue espagnol pour essayer de créer un corps de garde-frontières maritimes en Méditerranée.

M. Malins (Royaume-Uni) remercie le rapporteur pour son excellent rapport et s'interroge sur l'efficacité et l'utilité réelles de l'Agence Frontex.

Mme Sliska (Fédération de Russie) précise que la délégation russe souhaiterait soumettre certaines propositions sur la surveillance des frontières maritimes. Étant donné que la Russie est riveraine de la Baltique et de la mer Noire, les problèmes que soulève cette surveillance ne peuvent être résolus sans elle.

M. Mota Amaral reprend la parole pour commenter les interventions. Il insiste sur le cynisme des dirigeants occidentaux qui condamnent l'immigration clandestine tout en sachant qu'elle répond à un besoin économique.

Il souligne qu'une nouvelle forme de piraterie se développe : les navires sous pavillon de complaisance, et fait siennes les propositions en faveur d'une réglementation et d'une approche communes de ce problème.

Il rappelle que l'Agence Frontex est un organisme fondé et financé par l'Union européenne, dont le contrôle de l'utilisation des fonds relève du Parlement européen.

Il conclut en précisant que son rapport n'est qu'une première étape qui devra être suivie de propositions plus détaillées.

M. Walter (Royaume-Uni), président de la commission de la défense, salue le travail de M. Mota Amaral et propose à ses collègues que ce dernier devienne le rapporteur spécialisé de la commission sur toutes ces questions. Le projet de recommandation est alors adopté à l'unanimité.

Ce rapport consensuel a permis de tenir un débat nourri et constructif sur des problématiques de sécurité fondamentales mais trop peu abordées encore. On ne peut que se féliciter à cet égard que la commission de la défense ambitionne d'en effectuer un suivi régulier.

L'Europe et les missions de maintien de la paix au Moyen-Orient

M. Rivolta (Italie) présente son rapport. Il souligne que, depuis la rédaction du rapport, la situation au Moyen-Orient a sensiblement évolué, à la suite de la Conférence d'Annapolis.

Le rapport traite de la situation politico-militaire au Liban, en Israël et en Palestine. Développer une capacité militaire autonome exige des concepts d'intervention harmonisés. Malheureusement, le rapporteur constate qu'il manque toujours un mandat unique pour la défense européenne. Sur ce point, l'expérience libanaise devrait permettre de tirer de précieux enseignements, notamment en matière d'opérabilité sur le terrain.

L'unité de commandement doit être la règle d'or. Le Commandant désigné devrait être en contact permanent avec ceux qui ont à prendre des décisions politiques et diplomatiques, en l'occurrence l'ONU. L'organisation du commandement est aussi un point clé. Le plus tôt possible, les troupes européennes doivent disposer d'un cadre de commandement stable et unifié et d'un dispositif de repli. L'unicité des règles d'engagement est tout aussi essentielle.

M. le Président ouvre alors la discussion générale. M. Hörster (Allemagne) est le premier orateur. Il s'exprime au nom du Groupe fédéré. Il remercie le rapporteur. Il précise qu'au sein même du groupe fédéré, les avis divergent sur le niveau de compétences adéquat en matière de sécurité et de défense. Certains veulent une PESD efficace, d'autres estiment que ce domaine relève de la souveraineté nationale.

M. Hörster constate que les Européens ont fait des progrès pour faire avancer le conflit israélo-arabe : sous la présidence allemande de l'Union européenne, le Quartet a été réactivé et le plan de paix présenté par le roi d'Arabie saoudite a été intégré au champ des négociations. On est donc passé d'une négociation sur le Moyen-Orient à une négociation avec le Moyen-Orient.

Le Président donne alors la parole à Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC), vice-présidente de l'Assemblée :

« Je tiens tout d'abord à vous féliciter, M. le Président, pour votre réélection, et à remercier notre rapporteur pour son excellent travail.

Effectivement, nous reparlerons longtemps de ce conflit, comme de tous les autres. Mais, malgré tout, si on se pose la question de savoir où est la menace majeure : elle est là ! Elle est au Moyen-Orient, dans ce conflit israélo-palestinien, et elle est aussi en Iran en ce qui concerne le nucléaire. Il est évident que ce problème du nucléaire obsède les Américains, le président Bush, et obsède les Israéliens, comme j'ai pu le vérifier en Israël, la semaine dernière. De cette situation, incontestablement, tout peut sortir et les risques majeurs sont là.

En ce qui concerne le Moyen-Orient, j'aborderai le problème davantage sous l'angle politique, voire financier, que sous celui de l'engagement des soldats européens, et ils sont nombreux. Naturellement, nous les saluons, comme nous le faisons quand nous allons sur le terrain.

Certes, la situation évolue quelque peu, la dynamique est engagée. La base, c'est : une terre, deux peuples, deux États. Aujourd'hui, alors que certains tabous sont tombés, on peut parler du statut de Jérusalem, on peut même employer l'expression « statut final » ou « statut global », notamment eu égard à Annapolis. Il n'empêche que les deux problèmes qui dominent sont, d'un côté celui de la sécurité et, de l'autre, celui de l'occupation. En fait, c'est le même.

Or, à propos des deux États, on peut se demander si la possibilité de créer un État palestinien existe toujours. Je ne le crois pas. En tout cas, nous savons que Gaza est passée sous l'autorité du Hamas. La Cisjordanie est totalement sous l'autorité d'Israël. 650 kilomètres de mur et on va en construire autant, quatre-vingts colonies, 450 000 colons : la Cisjordanie n'existe plus comme entité palestinienne. L'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas est aussi très virtuelle. Il n'y a plus de gouvernement, il n'y a plus de conseil législatif palestinien. Je rappellerai que quarante-huit parlementaires sont en prison, mais on n'en parle pas. Quant à Gaza, c'est aussi une prison de 1,4 million de personnes, si bien qu'au sujet d'Annapolis, la semaine dernière, c'était le doute absolu dans tous les esprits : irait-on à Annapolis ?

On s'interrogeait aussi compte tenu de l'état des trois dirigeants qui ont pris cette initiative, le Président Bush, Olmert, qui est au plus bas de sa popularité, et Mahmoud Abbas. Eh bien, ils y sont allés ! On se demande comment ils ont pu franchir le pas.

A partir de là, qu'en est-il d'Annapolis ? La situation est assez curieuse. Il y a eu une photo. Quelle suite en attendre ? Y aura-t-il un accord ? Je ne le pense pas.

Je noterai que le rôle du Quartet et de l'Union européenne est absolument négligeable, y compris le rôle de Tony Blair. Nous pouvons le regretter. Il n'existe aucune perspective de paix sans volonté et sans cohérence.

Aujourd'hui, que faisons-nous ? Nous finançons l'Autorité palestinienne. Les bailleurs de fonds lui ont attribué 500 millions d'euros en 2005, notamment pour soutenir les élections. Qu'avons-nous fait de ces élections et de la démocratie ? Le Hamas a gagné. Nous ne l'aurions pas voulu mais la démocratie présente des risques.

La police était l'un des éléments les plus intéressants. La mission de l'Union européenne Eupol Copps a reçu 4 millions d'euros. Or, aujourd'hui, les Palestiniens maîtrisent Naplouse. Le jour où j'étais en Palestine, en discussion avec le Premier ministre, au moment où il nous disait que Naplouse était stabilisée, on est venu lui annoncer que l'armée israélienne venait d'entrer pour déstabiliser ce qu'il mettait en place.

En Égypte, l'Europe investit 7 millions d'euros par l'intermédiaire de l'EUBAM Rafah pour contrôler la circulation des hommes et des capitaux entre Gaza et l'Égypte. Attention, c'est vraiment le trafic qui domine maintenant.

La semaine prochaine se tiendra ici, à Paris, une conférence des pays donateurs : 5 milliards d'euros seront sur la table ; là-bas, personne ne nous en a parlé.

Soyons lucides, il n'y aura pas de paix si nous poursuivons cette politique incohérente et injuste. Concernant le nucléaire, il ne pourra pas être dit longtemps que notre politique des deux poids et deux mesures est la seule que nous soyons capables de développer. Il est vrai que le dispositif nucléaire est discriminatoire. Cinq pays y ont droit et les autres n'y ont pas droit. Mais dire oui à Israël, à l'Inde et au Pakistan et dire non à l'Iran, c'est ce qu'il faut défendre. Nous serons parvenus à unir le monde musulman qui, malgré tout, est solidaire. Jamais on n'aurait pu penser qu'un Perse chiite rejoigne un Arabe sunnite. C'est fait. L'un des signes les plus forts de la volonté de paix sera d'obtenir la dénucléarisation de la région.

Comme le dit Abraham Burg, ancien Président de la Knesset : « Le jour où la bombe sera démantelée sera le plus important de l'histoire juive car nous serons parvenus, ce jour-là, à conclure un accord si bon que nous n'aurons plus besoin de la bombe. Ce doit être notre ambition » .

Aujourd'hui, la seule ambition, c'est le statu quo. »

M. le Président donne ensuite la parole à M. Henderson (Royaume-Uni). Celui-ci félicite le rapporteur. Il rappelle à ses collègues que la stabilisation et le maintien de la paix exigent des capacités importantes, mais que les réserves européennes ne sont pas illimitées. De plus, au Moyen-Orient, les incertitudes sur la situation politique et sur le nombre des pays prêts à s'impliquer compromettent l'efficacité de l'intervention. Si l'Europe veut intervenir comme force de maintien de la paix sans y mettre les moyens suffisants, elle va au devant de grandes difficultés. Il est donc nécessaire de faire preuve de discernement pour bien mesurer quels engagements militaires peuvent être conduits simultanément.

M. Pavlidis (Grèce) souligne que l'Europe a déjà une certaine expérience dans les efforts politiques de maintien de la paix. Par exemple, des membres de l'Assemblée se sont rendus plusieurs fois dans la région, et y ont rencontré des représentants des deux camps et essayé d'instaurer un climat de compréhension. Tous les deux ans, une réunion politique est organisée. Dans ce contexte, l'Assemblée peut agir politiquement en encourageant au dialogue.

M. Zacchera (Italie) met en exergue les points relatifs à la présence de l'Europe au Moyen-Orient qui lui semblent fondamentaux. D'une part, il faut renforcer la présence potentielle d'un contingent militaire au Moyen-Orient. D'autre part, il faut atteindre un meilleur équilibre dans l'engagement des différents États européens. Il faut aussi se mettre d'accord sur un commandement unique. Enfin, il est indispensable de renforcer les liens avec les structures civiles.

M. Cosido Gutiérrez (Espagne) souligne que la réunion d'Annapolis ouvre de nouvelles perspectives, et que la conférence s'est terminée bien mieux qu'on aurait pu le penser, un certain nombre de dispositions importantes ayant été ratifiées. De plus, il estime que la FINUL ne peut pas continuer à jouer le rôle de tampon entre les deux zones sans qu'une véritable solution soit apportée. Il faut réduire la vulnérabilité des troupes, comme le dit le rapporteur.

M. Jauregui Atondo (Espagne) estime que l'Union européenne, consciente des enjeux du conflit israélo-arabe, a su depuis longtemps se montrer présente et engager des actions pertinentes. Elle a ainsi été à l'origine de la Conférence de Madrid et des Accords d'Oslo. Elle a nommé dès 1996 un Haut Représentant dans la zone et, aujourd'hui encore, le mandat de M. Solana l'invite à agir au Moyen-Orient. L'Union apporte également une aide économique conséquente et assure une présence militaire sur place. Pour autant, il faut donner un rôle encore plus important aux Européens, notamment en renforçant la capacité d'intervention de l'Union.

M. Rivolta remercie les intervenants pour leurs analyses puis présente son amendement, qui vise à tenir compte des avancées obtenues lors de la Conférence d'Annapolis. Cet amendement suggère à l'Union européenne « d'envisager le lancement d'une opération civilo-militaire autonome d'assistance à la sécurité dans les territoires palestiniens pour soutenir et renforcer l'Autorité palestinienne dans le cadre de la mise en oeuvre des décisions prises lors de la Conférence d'Annapolis, en novembre 2007 ».

M. Walter, président de la commission de la défense, déclare que le rapport a été approuvé à l'unanimité par la commission, et que celle-ci approuve l'amendement déposé. Le projet de recommandation amendé est alors adopté.

Le débat sur le rapport de M. Rivolta, bien que consensuel, a laissé transparaître certaines divergences sur la question palestinienne. En revanche, l'unanimité est évidente sur les faiblesses des moyens humains et financiers de l'Europe de la défense, sans que des solutions réalisables à court terme soient réellement envisageables.

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