II. L'INFORMATION « PERFECTIBLE » DU GOUVERNEMENT SUR L'ÉVOLUTION DE L'ACTIONNARIAT D'EADS

A. LA « SPÉCIFICITÉ » DU MODE DE GESTION PAR L'ÉTAT DE SA PARTICIPATION DANS EADS : UN RÔLE DE FIGURANT

1. Des pactes d'actionnaires complexes et très contraignants pour l'État français

Les pactes d'actionnaires successivement conclus le 14 mai 1999 puis le 8 juillet 2000 (version en vigueur) établissent un cadre juridique contraignant, témoignant d'une volonté politique d'équilibre franco-allemand (cf. infra ), qui ne permet pas à l'État de disposer librement de la gestion de son capital ni de participer directement aux instances de direction d'EADS et différencie donc EADS des autres participations de l'État. On peut ainsi relever les points suivants.

a) Des holdings intermédiaires qui limitent le contrôle actionnarial de l'État

L'interposition des holdings SOGEPA et SOGEADE, ainsi que l'illustre le schéma ci-après, structure un actionnariat français à la fois public et privé mais constitue un double écran et empêche un contrôle actionnarial direct sur EADS . De fait, le Participation Agreement stipule que l'État français s'engage à ce que ni lui ni aucune entreprise publique ne détienne directement aucune action EADS (sous la réserve de qualification précédemment exposée et à l'exception de la fraction résiduelle de 0,06 % directement détenue par l'État, cf. schéma infra ).

La composition du conseil d'administration de la SOGEADE doit à tout moment refléter les participations indirectes des actionnaires de la SOGEADE dans EADS, et est donc composé de 8 administrateurs désignés à parité par l'État et par le groupe Lagardère. Le conseil d'administration prend ses décisions à la majorité simple, excepté dans quatre cas limitatifs 30 ( * ) requérant une majorité qualifiée des trois-quarts, soit 6 administrateurs. Des instructions de vote peuvent alors être données aux représentants de la SOGEADE au conseil d'administration d'EADS Participations B.V., et l'État dispose de facto d'un droit de veto sur ces questions au sein d'EADS 31 ( * ) .

b) L'État n'est pas représenté au conseil d'administration d'EADS mais dispose d'un droit de veto de fait

L'État n'a pas de représentant direct au conseil d'administration d'EADS , qui comprend un nombre égal d'administrateurs (4) désignés par DaimlerChrysler et la SOGEADE (sur proposition du groupe Lagardère 32 ( * ) ), ainsi qu'un administrateur désigné par l'actionnaire espagnol SEPI, soit un total de 9.

La question du droit de veto de l'État sur la désignation des administrateurs proposés par le groupe Lagardère, plusieurs fois évoquée durant les auditions, demeure ambiguë et semble reposer davantage sur des considérations de fait que sur un fondement juridique précis . Si Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, a contesté à plusieurs reprises l'existence d'un droit de veto, MM. Thierry Breton, Arnaud Lagardère 33 ( * ) , Philippe Pontet 34 ( * ) et Bertrand Schneiter 35 ( * ) ont en revanche affirmé (moins clairement s'agissant de M. Thierry Breton 36 ( * ) ) l'existence d'un tel pouvoir d'opposition de l'État.

Le pacte d'actionnaires de la SOGEADE ne mentionne cependant pas expressément un tel droit de veto , la désignation des représentants de la SOGEADE au conseil d'administration d'EADS relevant du point 1 de son article 5 intitulé « Décisions soumises à majorité particulière au sein du conseil d'administration de TOPCO (soit la SOGEADE) Gérance », sans pour autant que soit précisé un quelconque seuil de majorité qualifiée. Il reste que dans les faits, la désignation des administrateurs d'EADS n'a jamais fait l'objet de désaccords entre l'État et le groupe Lagardère.

c) Des droits limités en cas de changement de la structure actionnariale

L'État français, de même que les autres actionnaires, ne bénéficie pas d'une clause d'agrément sur la décision de cession d'une partie de la participation du groupe Lagardère. Outre les cas de veto précédemment mentionnés, ses facultés sont donc limitées aux droits de sortie conjointe et de préemption, dans la limite du plafond de 15 % 37 ( * ) , « saturé » depuis l'origine du pacte et qui confère donc au droit de préemption un caractère seulement théorique.

Des dispositions spécifiques et un droit de regard sont cependant prévus en cas de menace de changement de contrôle d'EADS ou de ses actionnaires industriels. En tant que partie au Participation Agreement , l'État doit ainsi faire usage de tous ses moyens de contrôle et d'influence dans EADS pour éviter qu'un « tiers hostile », le cas échéant, n'accroisse ses droits ou pouvoirs dans EADS au-delà du seuil de 12,5 % du capital, considéré comme constitutif d'une « participation qualifiée » 38 ( * ) .

Répartition du capital d'EADS au 31 décembre 2006
(entre parenthèses figurent les droits de vote)

Notes (telles que figurant dans le document public d'EADS) :

* : EADS Participations B.V. s'est vue consentir un nantissement sur ses actions EADS par SOGEADE, DaimlerChrysler et SPI (qui conservent la propriété de ces actions), et exerce les droits de vote relatifs à ces actions.

** : L'État exerce les droits de vote attachés à ces actions EADS (l'État ayant placé ses actions auprès de la CDC) dans le même sens qu'EADS Participations B.V. exerce les droits de vote regroupés au sein du Contractual Partnership.

*** : Actions détenues par l'État après des distributions gratuites effectuées à certains anciens actionnaires d'Aerospatiale Matra à la suite de la privatisation de cette dernière en juin 1999. Toutes les actions actuellement détenues par l'État devront être cédées sur le marché (échéance non précisée) .

**** : Au 31 décembre 2006, la société détient, directement ou indirectement 8.504.144 actions propres. Les actions autodétenues par la société ne sont pas assorties de droits de vote.

Source : document de référence d'EADS (site Internet du groupe)

Cette architecture élaborée illustre une volonté de neutraliser toute interférence politique française dans la gestion et la stratégie d'EADS, et s'explique notamment par le fait que l'Allemagne, qui détient le contrôle conjoint d'EADS avec la France, n'est pas représentée au sein du groupe par l'État mais par un actionnaire privé , DaimlerChrysler. L'État s'est donc confiné à un rôle de figurant , et ses représentants ont de fait été de parfaits figurants !

On peut toutefois penser que la dualité SOGEPA/SOGEADE ajoute un élément de complexité inutile . Il eût sans doute été possible d'établir un lien direct entre l'État et la SOGEADE sans compromettre le double équilibre entre actionnaires français et entre pays 39 ( * ) . Les justifications avancées en 2006 par l'APE, mentionnées dans le rapport d'enquête de M. Bertrand Schneiter 40 ( * ) , ne paraissent pas convaincantes. Il eût en effet été possible d'instruire au sein de l'APE les ordres du jour des conseils d'administration de la SOGEADE, hors la présence de représentants du groupe Lagardère et sans recourir à une structure supplémentaire, ce qui aurait également eu le mérite de renforcer l'appropriation par l'APE des enjeux et difficultés d'EADS.

2. Le rôle restrictif de l'APE dans la gestion de la participation de l'État dans EADS

Une des conséquences des spécificités des pactes d'actionnaires relatifs à EADS auxquels l'État est (indirectement) partie est que le rôle de l'APE s'agissant de cette participation est distinct de son rôle habituel , qui se veut vigilant et approfondi ainsi qu'en témoignent les termes employés dans le rapport sur « l'État actionnaire » pour 2007.

Service à compétence nationale régi par le décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 et jouissant d'une réelle autonomie, l'APE est censée maximiser les intérêts patrimoniaux de l'État et assurer le « droit de regard » de l'État sur la stratégie, les investissements et la situation financière des entreprises intégrées dans son périmètre de consolidation comptable 41 ( * ) . La création de l'APE s'est par ailleurs inscrite dans la continuité des préconisations formulées par votre commission des finances, en particulier dans un rapport d'information sur les conditions d'exercice par l'État de ses responsabilités d'actionnaires 42 ( * ) .

Comme le souligne le rapport d'enquête remis par M. Bertrand Schneiter à la demande de Mme Christine Lagarde, « contrairement à la plupart des participations suivies par l'APE, les 15 % détenus indirectement par l'État dans EADS ne donnent pas directement lieu à une participation de l'APE aux instances gouvernantes de cette société ». Ainsi, bien que la participation de l'État dans EADS fasse partie, en principe, du périmètre des participations relevant de la compétence de l'APE, celle-ci n'opère aucun contrôle direct sur cet actionnariat . On peut remarquer par exemple, comme l'a affirmé M. Bruno Bézard lors de son audition devant votre commission des finances, le 5 octobre 2007, que l'APE a « siégé l'année dernière dans 500 séances de conseils d'administration et de comités d'audit mais dans aucune pour EADS ».

3. Les justifications fournies à ce mode de gestion « spécifique »

Cette spécificité du rôle de l'APE dans la gestion par l'État de sa participation dans EADS résulte directement des conditions de la négociation du pacte d'actionnaire d'EADS signé en 2000 . Comme l'a affirmé M. Bruno Bézard, lors de son audition devant votre commission des finances, le 5 octobre 2007, ce pacte « avait pour objectif de tenir l'État à distance de la gestion et du contrôle de l'entreprise, ce qui est exactement l'inverse de ce pour quoi l'APE a été faite ».

Si cette situation peut aujourd'hui être considérée comme peu satisfaisante, notamment au regard des événements récents, il convient toutefois de rappeler qu'elle était une condition nécessaire à la création du groupe EADS en 2000, sans laquelle les partenaires allemands n'auraient probablement pas donné leur accord à la création du groupe d'aéronautique et de défense. Les conditions de création du groupe EADS expliquent notamment que la participation de l'État soit plafonnée et qu'aucun fonctionnaire français ne puisse faire partie du conseil d'administration.

Le constat du caractère nécessaire de ces conditions très strictes n'exclut pas d'amorcer une réflexion pour déterminer si de nouvelles règles de participation pourraient, aujourd'hui, au regard de l'évolution globale de l'actionnariat d'EADS, être plus satisfaisantes . A ce propos, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie lors de la négociation du pacte d'actionnaires d'EADS, a ainsi affirmé, lors de son audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 26 octobre 2007, que « même s'il était compréhensible que, pendant un temps, une certaine stabilité devait régner, voilà maintenant plusieurs années qu'il est possible aux deux partenaires de renégocier dans un sens ou dans un autre » le pacte d'actionnaires.

* 30 Ces quatre cas sont :

- les acquisitions ou cessions de participations ou d'actifs dont le montant individuel serait supérieur à 500 millions d'euros ;

- les accords stratégiques d'alliance ou de coopération industrielle ou financière ;

- une augmentation de capital d'EADS portant sur un montant supérieur à 500 millions d'euros sans droit préférentiel de souscription ;

- toute décision de cession ou d'affectation à titre de garantie des actifs relatifs à la capacité de maîtrise d'oeuvre, de conception et d'intégration des missiles balistiques ou aux participations majoritaires dans certaines sociétés stratégiques pour la défense nationale.

* 31 En effet, si la majorité qualifiée n'est pas réunie au sein du conseil de la SOGEADE en raison du vote négatif de tout ou partie des administrateurs de l'Etat, les administrateurs désignés par cette dernière au conseil d'administration d'EADS N.V. sont tenus de voter contre la proposition qui a fait l'objet du vote (parmi les quatre cas décrits supra ).

* 32 Ces administrateurs doivent être des personnes physiques disposant d'une expérience significative dans le domaine des affaires et ne pas être fonctionnaires en activité.

* 33 Lors de son audition à l'Assemblée nationale le 25 octobre 2007, M. Arnaud Lagardère a ainsi indiqué : « Il y a un droit de veto à la SOGEADE. Il est clair que l'on n'aurait jamais imposé des administrateurs sans l'avis de l'État ».

* 34 Lors de son audition du 10 octobre 2007 devant votre commission des finances, M. Philippe Pontet a indiqué : « l'Etat peut toujours s'opposer à des propositions de Lagardère quant à la composition du conseil d'administration d'EADS. Il faut noter, cependant, que toutes les propositions présentées en la matière, à ce jour, par Lagardère, ont fait l'objet d'une concertation avec l'Etat ».

* 35 Dans son rapport d'enquête précité, M. Bertrand Schneiter relève que « [l'Etat] dispose simplement de fait d'un droit de veto sur ces désignations qui doivent être approuvées par le conseil de la SOGEADE ».

* 36 Lors de son audition à l'Assemblée nationale le 5 décembre 2007, M. Thierry Breton a ainsi rappelé que « l'Etat n'a pas directement la faculté de nommer un représentant au sein du conseil d'administration d'EADS [...]. C'est le conseil d'administration de [la SOGEADE] [...] qui pouvait nommer quatre administrateurs d'EADS à parité avec la partie allemande. Le conseil d'administration de SOGEADE Gérance statuant en tenant compte des propositions formulées par le Groupe Lagardère, c'est aux partenaires privés qu'appartient le pouvoir de proposition. Il est de surcroît explicitement prévu que les administrateurs d'EADS nommés sur proposition de la SOGEADE ne peuvent recevoir aucune instruction de celle-ci, sauf sur un nombre très limité de sujets spécifiques ».

* 37 Un « plancher » est également prévu puisque le passage en-dessous de 10 % de la participation indirecte de DaimlerChrysler ou de la SOGEADE dans EADS est constitutif d'un « événement de résiliation », emportant dissolution du Contractual Partnership et d'EADS Participations B.V.

* 38 Selon les termes employés dans le chapitre du rapport annuel d'EADS relatif à la répartition du capital et des droits de vote.

* 39 Le rapport d'enquête de M. Bertrand Schneiter rappelle que la Cour des comptes s'était interrogée en 2006 sur l'utilité de la SOGEPA.

* 40 « Le directeur général de l'APE a justifié à l'époque le maintien de cette structure par la participation à son conseil de représentants des administrations et de personnalités, sans le groupe Lagardère. Les mêmes ordres du jour sont ainsi traités, généralement le même jour, par SOGEPA d'abord puis par SOGEADE. Les informations relatives aux comptes et aux plans opérationnels d'EADS sont notamment présentés par des collaborateurs de cette société lors des deux réunions ».

* 41 Dans un chapitre sur l'exercice par l'Etat de sa fonction d'actionnaire, le rapport évoque la contribution des équipes de l'APE à « la définition de la stratégie générale des entreprises de son périmètre et de leur trajectoire financière pluriannuelle, la participation active aux organes sociaux de ces entreprises et aux comités spécialisés des conseils, le contrôle attentif de la fiabilité de l'information financière et un dialogue approfondi avec les dirigeants sur l'opportunité et la rentabilité des projets d'investissements importants, des opérations de croissance externe ou des offres commerciales structurantes porteuses d'engagements de long terme ».

Le site Internet de l'APE rappelle également que l'Agence constitue « la force de référence, d'analyse et de proposition au ministre chargé de l'économie s'agissant de la position de l'État actionnaire ».

* 42 Rapport d'information n° 591 (1993-1994) de MM. Jean Arthuis, Claude Belot et Philippe Marini.

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