III. DE QUELQUES ENSEIGNEMENTS POUR UNE GOUVERNANCE PUBLIQUE AMÉLIORÉE

A. LA GOUVERNANCE DE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS

1. Les lacunes du mode de prise de décision

Les difficultés rencontrées pour recueillir l'information relative aux motivations de la Caisse des dépôts et consignations dans le rachat des actions EADS et pour identifier les responsabilités quant à la perte latente subie du fait de ce rachat résultent essentiellement du mode de prise de décision des investissements de la Caisse. En effet, le directeur général de la CDC peut, seul, prendre la décision d'engager celle-ci dans une opération d'investissement d'envergure, sans consultation a priori d'aucune instance de contrôle.

Dans le cas du rachat des actions EADS, il est notamment apparu que lorsque M. Philippe Auberger, alors président de la commission de surveillance de la CDC, a, le 5 avril 2006, évoqué l'acquisition d'actions EADS devant la commission de surveillance, M. Dominique Marcel a rappelé, lors de son audition devant votre commission des finances, le 10 octobre 2007, qu'il lui avait été répondu, qu'il s'agissait « d'une initiative partagée [...] : On en parlera le 26 [avril 2006] parce que ce n'est pas encore complètement réglé ».

Une discussion à ce sujet était donc prématurée, l'opération n'étant pas finalisée. A cette date, en effet, l'opération aurait pu ne pas avoir lieu si les conditions de sa réalisation n'avaient pas été remplies. Lors de son audition par votre commission des finances, le 10 octobre 2007, M. Augustin de Romanet a déclaré que les règles de gouvernance de la Caisse avaient bien été strictement respectées dans le cas de l'achat des actions EADS. Cet épisode illustre ainsi qu'aucun droit de regard a priori n'est exercé, en particulier pas la commission de surveillance de la Caisse, sur les investissements décidés par son directeur général, confinant dans une certaine illusion tout contrôle de la représentation nationale sur les investissements de cet établissement public.

Il ne s'agit d'ailleurs pas formellement, aux termes des articles L. 518-2 44 ( * ) et L. 518-7 45 ( * ) du code monétaire et financier, d'un contrôle mais d'une surveillance, qui peut certes être approfondie et influencer le cadre réglementaire de la CDC mais n'inclut pas explicitement ses participations dans des sociétés publiques ou privées.

Or, ce mode de fonctionnement présente le risque réel de soumettre le seul directeur général de la Caisse des dépôts et consignations à des pressions potentiellement importantes. Cette concentration du pouvoir ne correspond pas aux exigences d'une bonne gouvernance publique et risque de faire peser un doute sur les motivations des opérations d'investissement réalisées par la CDC. En outre, toutes les grandes banques d'investissement - auxquelles la Caisse n'est, il est vrai, pas réellement assimilable - ont modernisé leurs règles de gouvernance afin de se doter de comités chargés d'examiner a priori les décisions d'investissement.

2. La nécessaire réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations

Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a présenté en décembre 2007 un plan stratégique, dénommé « Elan 2020 », issu d'une réflexion menée par 150 de ses collaborateurs de septembre à novembre 2007 et dont les propositions en termes de gouvernance peuvent répondre aux lacunes identifiées notamment dans le cadre de l'acquisition des actions EADS.

Pour ce qui est de la gouvernance de la CDC, l'élément nouveau majeur sera la création, au sein de la commission de surveillance, d'un comité des investissements qui sera saisi, pour avis et a priori , des opérations d'investissement les plus significatives décidées par son directeur général. Le seuil déterminant ces investissements significatifs devrait pouvoir être fixé non seulement en fonction du montant 46 ( * ) , mais aussi (alternativement) selon la fraction envisagée de détention du capital et la nature de l'investissement.

S'il avait existé au moment du rachat des titres EADS, ce comité aurait notamment eu à se prononcer sur cet investissement, antérieurement à sa réalisation, alors que la commission de surveillance n'a été informée de cette opération qu' a posteriori . Votre commission des finances juge donc favorablement cette réforme annoncée , et attendue, de la gouvernance de la Caisse. Elle permettra de mieux encadrer un pouvoir de décision très concentré et correspond aux règles de bonne gouvernance largement répandues dans les banques privées d'investissement .

En outre, les dispositions de l'article L. 518-2 du code monétaire et financier, précité, impliquent qu'il revient au Parlement de se prononcer sur la gouvernance de la Caisse et sur son évolution. Dans ce cadre, la question de la présence d'un parlementaire au sein du futur comité des investissements devra être abordée . Votre commission des finances n'y est pas a priori favorable , en raison de la « doctrine » qu'elle a élaborée de longue date sur la participation de parlementaires à des organismes extérieurs.

Sur un plan juridique, il ne paraît pas utile de consacrer explicitement dans la loi l'existence et le fonctionnement de ce comité , ne serait-ce que pour préserver des évolutions ultérieures. Le code monétaire et financier pourrait cependant disposer qu'un décret prévoit les conditions dans lesquelles sont constitués des comités distincts de la commission de surveillance.

Par ailleurs, M. Michel Bouvard, en sa qualité de président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, a suggéré, lors de son audition devant votre commission des finances, le 10 octobre 2007, qu'un sénateur supplémentaire siège à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Actuellement, trois députés et un sénateur siègent à la commission de surveillance, ce qui constitue un déséquilibre sans réelle justification. Cette modification pourrait être intégrée au projet de loi de modernisation qui devrait préciser les modalités de composition et de fonctionnement de la commission de surveillance, ainsi que les responsabilités du directeur général de la CDC.

3. La question de l'exercice effectif du contrôle sur la Caisse des dépôts et consignations reste toutefois posée

Au-delà de la création d'un comité des investissements, le statut hybride de la Caisse des dépôts et consignations rend difficile tout contrôle plus approfondi de ses investissements.

Comme l'a affirmé M. Thierry Breton lors de son audition devant votre commission des finances le 5 octobre 2007, la Caisse des dépôts et consignations n'est pas contrôlée par le pouvoir exécutif : « Je sais que cela peut paraître surprenant pour ceux qui nous écoutent mais le ministre des finances n'a aucun pouvoir sur la Caisse des dépôts . Ceci a été voulu par le Parlement, par le législateur. Je le dis avec la plus grande fermeté : je n'ai jamais donné - et je mets quiconque au défi de prouver le contraire - une seule recommandation ou instruction à la Caisse des dépôts en ce qui concerne un achat ou une vente d'actions. Jamais ! ». L'exemple d'Alsthom évoqué ci-dessus permet de nuancer ces propos trop catégoriques.

Cette indépendance affichée du pouvoir exécutif, l'autonomie de gestion dont jouit la Caisse, et surtout sa faible surface financière au regard des montants gérés par des fonds étrangers 47 ( * ) , ne lui permettent pas en l'état actuel de jouer le rôle de « fonds souverain » de la France que l'on voudrait parfois lui attribuer 48 ( * ) .

Néanmoins l'ambiguïté est manifeste car si les liens organisationnels et financiers avec l'État sont réels (notamment le mode de désignation du directeur général, le dividende annuel versé au profit du budget de l'État, et la présence d'un représentant de la DGTPE 49 ( * ) au sein des 12 membres de la commission de surveillance), ils ne font pas pour autant de la Caisse le « bras financier de l'État » au sens propre, puisqu'elle remplit des missions d'intérêt général 50 ( * ) distinctes des intérêts financiers ou patrimoniaux de l'État , voire supérieures à ces derniers et qui ont contribué à justifier dès l'origine une surveillance par le Parlement.

La stratégie d'investissement de long terme de la Caisse est en théorie autonome mais rien n'interdit, au cas par cas, une concertation approfondie avec le gouvernement voire le respect d'instructions précises de l'exécutif. Ce fonctionnement plus « adhocratique » que formalisé et transparent peut se révéler satisfaisant dans la gestion courante et confère à l'État des marges d'actions dans des circonstances industrielles difficiles, mais revêt un caractère désuet et surtout, sème le trouble et le soupçon lorsqu'un investissement ne s'avère finalement pas profitable à la Caisse des dépôts et consignations , comme dans le cas d'EADS.

Outre la concomitance de prérogatives publiques et d'activités concurrentielles, l'ambiguïté organisationnelle de la Caisse se traduit en termes statutaires : ni établissement public industriel et commercial (EPIC), ni établissement de crédit soumis au contrôle prudentiel de la Commission bancaire, mais institution financière publique sui generis sans tutelle publique directe. Une éventuelle volonté de clarification pourrait conduire à envisager diverses pistes d'évolution dans l'exercice du contrôle sur la Caisse des dépôts et consignations , dont aucune ne compromettrait toutefois la mission fondamentale de la Caisse d'investisseur de long terme dans de nombreuses sociétés françaises.

Le choix pourrait être fait d'une indépendance plus marquée de la Caisse des dépôts et consignations à l'égard de l'exécutif , ce qui supposerait par exemple que le directeur général soit nommé sur proposition des commissions des finances des assemblées et que la composition de la commission de surveillance soit modifiée (ouverture à des personnalités qualifiées et fin de la représentation de la DGTPE). La CDC continuerait d'investir dans les grandes sociétés françaises cotées dans une optique de valorisation patrimoniale, ou de stabilisation de l'actionnariat en tant que partie à un pacte, de la même manière qu'un investisseur institutionnel privé, mais ne pourrait répondre à aucune injonction ni recommandation gouvernementale en cas de « péril imminent » 51 ( * ) sur une société emblématique.

L'évolution du contrôle de la CDC pourrait à l'inverse privilégier une tutelle explicite de l'État assortie d'une « banalisation » statutaire : attribution du statut d'établissement de crédit - de facto soumis au contrôle prudentiel de la Commission bancaire - et insertion de la CDC dans le périmètre des participations suivies et gérées par l'APE. Une telle configuration serait comparable à celle de l'Agence française de développement (AFD), EPIC et établissement de crédit soumis à la triple tutelle du ministère des affaires étrangères, du ministère de l'économie, des finances et de l'emploi et du ministère de l'outre-mer, bien que la situation de la CDC soit différente 52 ( * ) .

Une voie médiane pourrait concentrer les changements davantage sur la gouvernance en préservant l'indépendance de la mission de gestion de l'épargne . Néanmoins, cette voie poserait la question d'une éventuelle filialisation des activités de gestion des fonds d'épargne, évoquée par M. Michel Camdessus lors de son audition, conjointe avec
MM. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la CDC, et Augustin de Romanet, directeur général de la CDC, devant la commission des finances du Sénat le 6 février 2008 53 ( * )53 ( * ) . Par ailleurs, outre l'introduction d'un comité d'examen des investissements en amont, cette évolution consisterait :

- d'une part, à instaurer une plus grande transparence des relations avec l'État, par exemple via un comité conjoint avec l'APE et un reporting régulier au ministre chargé de l'économie et des finances ;

- et d'autre part (à plus long terme), à ériger la commission de surveillance en véritable conseil de surveillance de la CDC dans le cadre d'une structure dualiste avec directoire ; comportant des comités spécialisés parmi lesquels le comité des investissements. L'État, en tant que détenteur de la CDC, aurait naturellement vocation à être représenté au sein de cette instance, et ses membres disposeraient de prérogatives et devoirs similaires à ceux du droit commun des sociétés commerciales de même structure.

* 44 Qui dispose notamment que la CDC « est placée, de la manière la plus spéciale , sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative » et « est organisée par décret en Conseil d'Etat, pris sur la proposition de la commission de surveillance ».

* 45 Qui dispose que « la commission de surveillance est chargée de surveiller la Caisse des dépôts et consignations. Elle contrôle notamment la gestion du fonds de réserve et de garantie des caisses d'épargne et de prévoyance ; elle arrête les sommes à prélever dans les cas de perte prévus par décret en Conseil d'Etat ».

Aux termes de l'article L. 518-8 du code monétaire et financier, les commissaires surveillants « vérifient, toutes les fois qu'ils le jugent utile, et au moins une fois par mois, l'état des caisses, la bonne tenue des écritures, et tous les détails administratifs ».

* 46 Les opérations d'un montant inférieur feraient alors l'objet d'une délégation explicite de compétence au directeur général de la Caisse, comme cela est par exemple le cas pour l'Agence française de développement.

* 47 Les encours gérés par l' Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), de loin le premier fonds souverain en termes de montant, sont ainsi généralement estimés à 875 milliards de dollars en 2007.

* 48 De même, le Fonds de réserve pour les retraites , établissement public organiquement lié à la Caisse des dépôts et consignations (dont le directeur général est aussi président du directoire du FRR), présente de nombreuses différences avec les fonds souverains asiatiques ou du Moyen-Orient :

- gestion pour le compte de régimes de retraite ;

- absence de rente commerciale ou fiscale ;

- encours sous gestion d'un montant insuffisant : 31,1 milliards d'euros au 31 décembre 2006, dont 60 % exposés sur les actions selon l'allocation stratégique de mai 2006 ;

- stratégie de gestion établie de manière indépendante ;

- gestion essentiellement déléguée sous mandat, transparence sur les choix de gestion (allocation d'actifs, choix des gérants, performances...) ;

- ratio d'emprise sur un émetteur plafonné à 3 %.

* 49 Outre deux conseillers d'Etat et deux magistrats de la Cour des comptes, mais que l'on ne peut considérer comme des représentants de l'Etat stricto sensu .

* 50 Aux termes de l'article L. 518-1 du code monétaire et financier, « la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l'Etat et les collectivités locales et peut exercer des activités concurrentielles ».

Ces missions d'intérêt général incluent :

- la protection et la transformation de l'épargne réglementée des Français pour financer des priorités d'intérêt général, au premier rang desquelles le logement social ;

- une fonction de « banquier » du service public de la justice et de la Sécurité sociale ;

- la gestion de régimes de retraite ;

- l'investissement institutionnel de long terme ;

- le développement des territoires aux côtés des collectivités territoriales.

* 51 Tel qu'une offre hostile émanant d'une société non européenne et considérée comme ne répondant pas à des standards équivalents de transparence et de souveraineté de l'assemblée générale des actionnaires, en application de la réserve de réciprocité posée par la nouvelle législation sur les offres publiques d'acquisition (article L. 233-33 du code de commerce).

* 52 L'AFD, opérateur privilégié de l'aide française au développement, dispose ainsi de ressources publiques importantes (subventions budgétaires et bonifications d'intérêt) qui justifient pleinement l'implication de l'Etat dans les orientations stratégiques et le processus de décision sur les concours octroyés par l'Agence (dons, prêts, garanties et prises de participations).

* 53 Le bulletin de l'audition est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/bulletin/20080204/fin.html#toc6

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page