B. CERTAINES CARACTÉRISTIQUES INTÉRESSANTES, NOTAMMENT AU VOISINAGE DE LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE

1. La difficulté de s'inspirer des pratiques américaines et britanniques

Avant de déterminer dans quelle mesure notre pays pourrait s'inspirer (quand il ne l'a pas fait encore) des pratiques américaines et britanniques, il convient d'en apprécier les inconvénients et de tenir compte aussi des différences de traditions et de mentalité, autrement dit de contexte, entre la France et l'univers anglo-saxon.

a) Des modèles imparfaits

Tout d'abord, les modèles américains et britanniques ne doivent pas être idéalisés mais analysés en considérant leurs forces, mais aussi leurs faiblesses.

Ces dernières sont du reste reconnues par les intéressés eux-mêmes, d'autant plus volontiers qu'ils ont le mérite d'avoir développé chez eux une culture de l'évaluation qui laisse peu de place à la complaisance.

Les États-Unis, pour commencer, se posent le problème de la coordination et de l'évaluation de leur système.

Le National Science Board (NSB) a ainsi déploré le fait que la détermination des priorités budgétaires de la politique fédérale de recherche ne repose pas sur une analyse scientifique suffisamment solide.

Il ne semble pas exister, par ailleurs, aux États-Unis de coordination entre les financements de la recherche au niveau fédéral et au niveau des Etats ( supra ).

Le document précité, rédigé par les autorités américaines à l'intention de l'OCDE, fait état également d'inquiétudes que suscitent parfois, outre-Atlantique, les excès éventuels pouvant résulter d'une confiance exclusive et aveugle en les seules lois du marché ou une exacerbation de la compétition entre les institutions de recherche.

Trop de concurrence et de marché pourrait conduire, notamment, à négliger la recherche fondamentale ou à encourager un certain conformisme.

Comme le souligne une note récente de la mission pour la science et la technologie de l'Ambassade de France à Washington, les États-Unis s'interrogent actuellement, par ailleurs, sur l'efficacité de leur système de recherche et d'innovation.

Le Program Assessment Rating Tool (PART) a créé, en 2002, un cadre qui permet d'ajuster les moyens des agences en fonction de l'évaluation des résultats des projets.

L'accent est mis, par ailleurs, sur une simplification des règles d'octroi des aides à la recherche et l'idée d'une contractualisation uniforme des relations entre les universités et les agences est avancée.

L'Amérique prend également conscience, sur le plan international :

- de sa dépendance à l'égard de la matière grise étrangère, révélée par les restrictions dans la délivrance de visas d'entrée sur le territoire américain qui ont suivi les attentats du 11 septembre (58 % des post doctorants employés aux États-Unis sont des résidents temporaires) ;

- du risque de remise en cause de son leadership scientifique et technologique par la concurrence des pays émergents, surtout asiatiques.

Au Royaume-Uni, les principaux sujets de débats concernent certains inconvénients supposés de la croissance de la part du financement sur projet de la recherche.

Il risquerait d'en résulter :

- un manque de considération pour les sujets émergents ou les travaux fondamentaux de long terme ;

- un sous-investissement dans les infrastructures (un fond spécifique vient d'être créé 97 ( * ) pour remédier aux insuffisances constatées de ce point de vue).

Enfin, la coordination et la coopération entre les différentes structures de gouvernance et d'exécution de la recherche 98 ( * ) ont toujours fait l'objet d'une particulière attention des autorités britanniques et de nombreuses réformes ont été menées sur ce plan (cf. supra).

b) Des succès incontestables

Mais les performances scientifiques et technologiques des États-Unis et du Royaume-Uni et l'intérêt de certaines initiatives prise par ces pays pour stimuler la recherche et sa valorisation sont incontestables.

Bien que ses critères (qui privilégieraient trop la dimension des établissements) soient parfois contestés en France, le classement de Shanghai des universités mondiales n'en constitue pas moins une référence reconnue.

Or, ce classement consacre l'excellence des universités américaines et britanniques qui occupent les 19 premières places (17 américaines et 2 anglaises : Cambridge et Oxford), la vingtième étant japonaise.

Les meilleurs d'entre elles exercent une très forte attraction sur l'élite des étudiants du monde entier.

Bien qu'en recul depuis les attentats du 11 septembre 2001, le nombre d'étudiants étrangers aux États-Unis (près de 600 000 en 2004) demeure très important 99 ( * ) . Il est plus élevé au Royaume-Uni qu'en France (34 % des doctorants sont étrangers dans les universités britanniques). La valorisation de la recherche universitaire, d'autre part, est un succès en Amérique et progresse en Angleterre :

Le Bayh-Dole Act 100 ( * ) a provoqué une très forte augmentation du nombre de licences concédées par les universités américaines.

Certes, leurs revenus ne représentent que 3 % à 5 % du total des dépenses de R&D académiques.

Il s'agit, cependant, de sommes qui peuvent être non négligeables en valeur absolue pour certains établissements 101 ( * ) .

En outre, les transferts de technologie ainsi encouragés ne font que resserrer des liens universités-industrie déjà beaucoup plus développés qu'en France 102 ( * ) .

Ces dix dernières années, par exemple, le MIT a développé, selon l'Institut Montaigne, des partenariats avec une dizaine de multinationales dans le cadre de projets éducatifs ou de contrats de recherche 103 ( * ) . 4 000 entreprises ont été créées par des diplômés de cette université.

Dans son rapport sur le budget de la recherche et de l'enseignement supérieur pour 2007, la commission des finances du Sénat vantait, d'autre part, « la qualité et l'efficacité des universités britanniques ».

Elle rappelait que les chercheurs du Royaume-Uni s'étaient vu décerner 23 prix Nobel depuis 1945 et recueillaient plus de 8 % des publications et 11 % des citations mondiales, soit des résultats meilleurs que la France pour un moindre effort financier.

La commission notait, enfin, les progrès accomplis dans la valorisation de la recherche universitaire britannique en prenant l'exemple de l' Imperial College de Londres 104 ( * ) .

En recherche industrielle, le Royaume-Uni est aux premiers rangs pour la pharmacie, les biotechnologies et la santé.

Enfin, notre voisin d'outre-manche semble tirer très bien son épingle du jeu de la mondialisation de la recherche, car l'étranger finance une part particulièrement importante 105 ( * ) de ses dépenses intérieures de recherche-développement (19,2 % en 2005 contre 7,3 % pour la France et 8,5 % pour la moyenne des pays de l'OCDE).

c) Des différences de contexte

Les performances, enviables, des États-Unis et de la Grande-Bretagne tiennent sans doute, en partie, à l'efficacité du mode de gouvernance de leur recherche. Mais cette efficience est liée au contexte particulier qui est le leur (et notamment au dynamisme de l'initiative privée dans ces pays). D'autre part, comme l'a souligné récemment l'OCDE 106 ( * ) « la portée et l'efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics dépendent en partie des caractéristiques des systèmes scientifiques propres à chaque pays, notamment en ce qui concerne le degré de centralisation des processus décisionnels régissant le secteur public de la recherche et l'autonomie de ses institutions ».

Le système français de recherche est, sur bien des points, assez éloigné du modèle anglo-saxon. Peut-il néanmoins s'inspirer du mode de gouvernance de ce dernier pour progresser ? Doit-il suivre cette voie ou inventer des solutions nouvelles tenant compte de ses spécificités ?

Les deux singularités essentielles de la recherche française, déjà évoquées plus haut, tiennent d'une part à l'existence du CNRS (établissement sans équivalent dans le monde) et, d'autre part, au statut de fonctionnaire de la grande majorité des chercheurs 107 ( * ) .

Le système français est ensuite, en principe, avec celui du Japon et de l'Italie l'un des plus centralisés au monde. Il s'en suit, généralement, dans les pays concernés, un rôle réduit des universités (corollaire, en France, de l'importance du CNRS), un moindre recours au financement par projet , une gestion directive des organismes publics et des procédures d'évaluation concentrées (qui ne font pas appel uniquement au jugement des pairs). Mais les établissements de recherche jouissent, en fait, dans l'hexagone d'une assez large autonomie, bridée cependant par des contraintes bureaucratiques et des limites budgétaires.

La complexité du paysage institutionnel en France n'est pas propre à notre pays, mais y semble particulièrement accentuée avec notamment un morcellement des institutions publiques (plus d'une vingtaine d'organismes) et des cloisonnements, comme ceux qui séparent les grandes écoles des universités ou les enseignants des chercheurs...

Une autre particularité, qui est aussi un point faible de notre pays, réside dans le niveau relativement modeste en France de la part des dépenses de recherche financées par l'industrie (cf. supra II de la première partie).

2. Des leçons à retenir

Malgré ces différences, il est possible à la France de s'inspirer, dans une certaine mesure, des exemples américains et britanniques sans dénaturer les fondements de son propre système, centralisé, de recherche.

La référence anglo-saxonne a, du reste, déjà, en grande partie, guidé les réformes menées et la réflexion poursuivie récemment dans notre pays. Elle ne peut et elle ne doit être exclusive.

a) La définition d'une stratégie nationale

Dans un monde de la recherche de plus en plus globalisé et soumis à la concurrence, il importe, tout d'abord, aux Etats de définir, comme c'est le cas en Amérique et au Royaume-Uni, une stratégie concertée, commune à tous les acteurs nationaux de la recherche.

En France, des progrès restent à accomplir, tant pour la détermination de la stratégie que pour sa mise en oeuvre (cf. infra I 1. « La détermination des priorités nationales : un axe faible de la gouvernance française »).

b) La prégnance de la recherche sur projet

En second lieu, la poursuite de l'excellence scientifique et technologique conduit à faire des choix plus sélectifs, d'où, partout dans le monde, une tendance à l'augmentation des financements sur projet .

La création en France de l'ANR correspond à cette orientation.

La question qui se pose est de savoir jusqu'où aller dans cette voie sans compromettre ni les activités de recherche fondamentale qui n'ont pas d'applications prévisibles à court et moyen termes, ni le financement des infrastructures et des coûts fixes des établissements 108 ( * ) .

LA POURSUITE DE L'EXCELLENCE UNIVERSITAIRE

Les universités ne devraient pas échapper à cette évolution. Le renforcement récent de leur autonomie par la loi du 10 août 2007, va dans le sens d'un rapprochement avec le système anglo-saxon. Mais leur confier l'essentiel des activités de recherche en France, comme cela est parfois envisagé, nécessiterait, préalablement, une amélioration substantielle de leur gestion.

L'importance de leur rôle doit dépendre de leurs performances. Or, l'excellence suppose une compétition, une sélection, une concentration des moyens au profit des meilleurs établissements, donc des inégalités entre eux qui peuvent paraître difficilement acceptables dans un pays comme le nôtre.

Or, seuls les grandes écoles et le Centre Dauphine, auquel une loi de février 2004 a accordé le statut de grand établissement, peuvent sélectionner leurs étudiants à l'entrée dans l'enseignement supérieur.

Quoiqu'il en soit, une mutualisation de moyens et des regroupements d'établissements sont souhaitables pour permettre à nos universités d'atteindre une taille critique à l'échelle internationale. Mais on ne peut pas se dissimuler le fait qu'une dizaine environ seulement sur 83 dispose d'un potentiel de recherche de haut niveau à l'échelle mondiale 109 ( * ) .

L'Allemagne, de son côté, vient de décider d'instaurer une forte concurrence entre ses universités, s'agissant des dotations récurrentes et sur projets qui leurs sont attribués. L'entrée libre dans l'enseignement supérieur est la règle comme en France mais des dérogations ont été accordées à certains établissements ( numerus clausus dans certaines disciplines comme la médecine, sélection à l'entrée de l'Université de Darmstadt et, bientôt, de celle de Munich...). Le financement sur projet correspond à 50 % du budget de la recherche. La gestion des universités financées à la fois par l'Etat fédéral et les landërs est très décentralisée.

Le Japon, où existent 733 universités dont 87 nationales, fait de même et ambitionne de faire émerger ainsi chez lui une trentaine d'établissements de niveau international. Ce processus est organisé dans le cadre du programme « 21st Century Center of Excellence » (COE), sur la base de la sélection de projets par le JSPS (Japan Society for the Promotion of Science).

L'instauration en France d'une véritable stratégie et le développement, suivant le modèle anglo-saxon, du financement sur projet devraient faciliter un pilotage de la recherche par objectifs (y compris celui d'une recherche fondamentale forte et libre) et selon les performances des intéressés.

Ces changements sont compatibles avec la spécialisation organique autour des fonctions de programmation/allocation des ressources, d'une part, et de conduite de la recherche, d'autre part, qui semble la mieux adaptée pour rejoindre la frontière technologique et s'y maintenir , dans la mesure où elle permet a priori , grâce au financement sur projet , une combinaison optimale des compétences nécessaires pour travailler dans les domaines en émergence.

Or, le mode central de gouvernance de la recherche français
-
surtout avant la loi d'avril 2006 - repose sur de grands instituts , auxquels correspondent des domaines scientifiques et techniques, qui définissent largement la stratégie de la recherche qu'ils organisent et financent au moyen de leur dotation budgétaire.

Mais, ainsi que l'observe FutuRIS, « ce schéma est performant dans un contexte de rattrapage , en position de « suiveur », puisqu'alors l'activité de recherche, même fondamentale, concerne des domaines établis, pour lesquels on peut définir ex ante l'ensemble des compétences nécessaires ».

Quoi qu'il en soit, pour atteindre une efficacité maximale, il nous semble qu' un tel mode de gouvernance suppose une rationalisation des structures, sans laquelle il s'avèrerait difficile d'arbitrer entre de trop nombreuses et trop proches initiatives de qualité à peu près équivalentes.

Or, comme le note FutuRIS dans son rapport sur la Recherche et l'Innovation en France « les mesures prises ont conduit à construire un instrument propre à chaque problème posé. Le système français a ainsi encore perdu en lisibilité et les coûts de transaction ont augmenté ».

Un système centralisé devrait permettre une meilleure cohésion de l'effort national de recherche. Avec le morcellement de nos institutions, nous avons les inconvénients d'un régime décentralisé sans en avoir les avantages en termes de souplesse et de réactivité.

c) Une culture de l'évaluation

Un pilotage de la recherche par l'excellence et par la performance repose aussi sur une évaluation des équipes et des projets réellement impartiale et rigoureuse, selon les mérites scientifiques et la conformité aux objectifs stratégiques des propositions et des actions.

Il est encore trop tôt pour apprécier si l'AERES 110 ( * ) a satisfait ces exigences 111 ( * ) .

En Angleterre, l'évaluation des projets et des activités de recherche, préalable à leur financement, par les RC (Research Councils), d'un côté, et les HEFC (high education funding councils), de l'autre, repose sur le jugement des pairs.

En France, centralisation oblige, elle est confiée à une seule et même équipe de 47 personnes (c'est peu !) issues d'anciennes structures d'évaluation de la recherche (Comité national d'évaluation de la recherche, Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel).

d) La mobilité des chercheurs

Les spécificités de notre système limitent également la possibilité pour la France de s'inspirer du modèle anglo-saxon en ce qui concerne le recrutement, l'utilisation et la carrière des chercheurs .

Les grandes écoles, tout d'abord, qui écrèment les meilleurs bacheliers des sections scientifiques, accordent peu ou pas d'importance à la formation à et par la recherche.

La situation de la recherche universitaire, ensuite, est peu satisfaisante (manque de vocation dans les disciplines prioritaires, insuffisance de moyens, difficulté de concilier enseignement et recherche...).

Enfin, le statut de fonctionnaire des chercheurs pose quelques problèmes d'adaptation à la réalité du travail de recherche et « colore » la gouvernance de la recherche française.

Dans les pays anglo-saxons où il n'y a pas de grandes écoles, les doctorants des universités constituent le seul et unique vivier dans lequel vont puiser les institutions de recherche.

Ce sont les post-docs qui font tourner les laboratoires. Leurs rémunération sont assez attractives, leurs responsabilités stimulantes et valorisantes et leurs conditions de travail propices à l'accomplissement d'un travail scientifique de qualité.

L'expérience qu'ils ont acquise leur permet de trouver facilement un emploi dans le privé, à l'expiration de leur contrat d'une durée de 2 à 5 ans.

La « tenure » (titularisation dans la fonction publique universitaire) ne récompense, à terme, que les meilleurs enseignants-chercheurs aux États-Unis.

Au Royaume-Uni, tous les chercheurs, qu'ils soient ou non enseignants, sont contractuels. Comme le souligne une note de la mission scientifique de l'ambassade de France à Londres « l'importance des CDD dans la recherche britannique est certainement un facteur d'excellence de la recherche et de mobilité ». Les inconvénients de ce système (une certaine précarité) n'empêchent pas de nombreux Français de venir enseigner et chercher dans les universités britanniques, eu égard à leur réputation mondiale.

En France, on se souvient que la transformation de 550 statutaires en postes contractuels, prévue par la loi de Finances pour 2004, avait contribué à déclencher un important mouvement de protestation des chercheurs. Le Gouvernement avait dû renoncer à cette mesure ainsi qu'à la politique tendant à assouplir la gestion des ressources humaines de la recherche qu'elle ébauchait.

e) L'aptitude à valoriser la recherche

Notre pays peut-il s'inspirer des succès anglo-saxons en ce qui concerne la valorisation de la recherche en général et les transferts de technologie en particulier 112 ( * ) ? Doit-il limiter sa réflexion à l'imitation de ce seul modèle ?

VALORISATION - INNOVATION - TRANSFERTS DE TECHNOLOGIE

Les notions de valorisation de la recherche, d'innovation et de transferts de technologie sont complexes et donc difficiles à définir avec précision et rigueur.

- La valorisation de la recherche se confond parfois, selon certaines acceptions, avec tout ce qui permet de mesurer l'efficacité du travail des chercheurs (indicateurs bibliométriques, nombre de brevets déposés, ...). Il peut s'agir aussi des résultats variés des activités de recherche en dehors du monde scientifique (création de technologies, de produits nouveaux, d'entreprises) ou, de façon plus restreinte, des revenus tirés de ces activités (redevances de licences d'exploitation de brevets, contrats avec les entreprises, prestations de conseil et d'expertise, ...).

- L' innovation , sous forme de création de produits (biens et services), ou de procédés nouveaux est un mode de valorisation de la recherche mais elle peut ne consister qu'en l'utilisation de connaissances déjà acquises ou en l'amélioration de produits existants. Elle ne se confond pas avec la recherche car c'est l'affaire des entrepreneurs et non des chercheurs.

- La création d'une technologie nouvelle peut découler de la recherche de différentes façons : soit elle résulte de travaux directement consacrés à sa mise au point, soit elle a été développée pour les besoins d'une activité scientifique particulière, soit, enfin, elle constitue une retombée inattendue d'une investigation ayant un tout autre objet.

- Les transferts ne portent pas nécessairement, exclusivement, sur les technologies les plus récentes mais peuvent consister en la poursuite de la diffusion de techniques déjà matures (informatiques, notamment). Une technologie peut être transférée de plusieurs façons, gratuites ou payantes (moyennant l'acquisition d'un brevet ou d'une licence), d'un laboratoire à un autre ou à une entreprise, ou d'une entreprise à une autre.

La gestion de ces activités complexes, à l'intérieur du monde de la recherche et de l'économie, doit être, de plus en plus, confiée à des professionnels.

Il faut noter tout d'abord que cette réussite est surtout celle des États-Unis, malgré les progrès du Royaume-Uni en ce domaine.

En second lieu, l'esprit d'entreprise et le goût du risque, déterminants en la matière, ne se décrètent pas. Ils ne sont pourtant pas incompatibles avec les qualités supposées être celles du chercheur (curiosité, inventivité, rigueur,...). La faiblesse relative de l'implication de nos entreprises dans la recherche s'explique probablement, en partie, tout simplement par un manque d'appétence de leur part, lui-même lié aux critères de sélection de nos élites, la formation d'ingénieurs étant préférée à celles de docteurs 113 ( * ) .

Dans ces conditions, la mobilité entre recherche publique et privée et le recrutement par les entreprises françaises de diplômés de nos universités demeurent insuffisants.

Un récent rapport de l'inspection des Finances et de l'IGAENR estimait, en janvier 2007, que :

« - en dépit des mesures prises depuis la loi sur l'innovation et la recherche de 1999, la valorisation de la recherche ne progresse pas en France depuis 15 ans »,

« - des pans importants de la recherche publique restent à l'écart de la valorisation, en particulier dans les universités et au CNRS »,

« - le système des unités mixtes de recherche (UMR) entraîne des lourdeurs de gestion (du fait notamment de la copropriété des brevets) qui se traduisent in fine par une moindre valorisation de la propriété intellectuelle ».

La reconnaissance de certaines réussites (celle du CEA notamment ainsi que le nombre de création d'entreprises issues de la recherche publique 114 ( * ) depuis 1999) tempérait quelque peu ces conclusions pessimistes.

VALORISATION DE LA RECHERCHE : DES COMPARAISONS PEU FLATTEUSES

Dans la partie de son rapport consacrée à l'international, l'inspection des finances insiste particulièrement sur les faiblesses suivantes :

- faible niveau (sensiblement inférieur à celui observé à l'étranger) des contrats industriels des organismes publics de recherche et des universités ainsi que de leurs revenus de propriété intellectuelle, même au niveau des « sites de recherche académique » (Paris, Grenoble, etc.) regroupant des moyens comparables à ceux des principales universités étrangères ;

- taille sous-critique des établissements d'enseignement supérieurs français qui obtiennent des résultats décevants en termes de valorisation (faible nombre de brevets en portefeuille notamment), bien que les équipes qui s'y consacrent soient relativement étoffées ;

- lenteur du rythme de croissance des entreprises créées qui contrebalance les effets positifs de l'augmentation de leur nombre.

La mise en place en 2004 du statut de la JEI (jeune entreprise innovante) dans le cadre d'un plan gouvernemental en faveur de l'innovation semble, d'autre part, avoir été couronnée de succès. Ce plan créait, par ailleurs, des sociétés unipersonnelles d'investissement à risque (SUIR), mesure directement inspirée par l'exemple des « business angels » (investisseurs providentiels) américains. L'« amorçage » demeure cependant le maillon faible de l'innovation en France 115 ( * ) .

Des actions concertées mobilisatrices type « grand programme » ont leur mérite et ont fait leurs preuves, dans plus d'un cas par le passé (JESSI, Ariane, Airbus,...). Elles sont efficaces dans le cadre de processus traditionnels d'innovation dits « linéaires » (cf. encadré suivant).

Mais un nouveau modèle « interactif » est apparu avec l'émergence des nouvelles technologies de l'information, puis des biotechnologies 116 ( * ) .

SUIVRE LE MODÈLE D'INNOVATION AMÉRICAIN ?

Dans un rapport publié en septembre 1998, le Conseil d'analyse économique (CAE) s'est posé la question suivante « La France doit-elle et peut-elle copier le système d'innovation américain ? ».

Cette interrogation se situait dans le contexte, plus large, d'une analyse des liens entre innovation et croissance dans laquelle il était au préalable souligné que la diffusion des technologies nouvelles importe autant que leur création et que le succès de l'innovation ne repose pas seulement sur l'intensité de l'effort de Recherche et de Développement. Toutefois, était-il reconnu, une recherche publique fondamentale de qualité est nécessaire à l'innovation et constitue l'un des facteurs de la réussite des États-Unis dans ce domaine avec le dynamisme de la création d'entreprise, l'abondance du capital risque et la fluidité du marché du travail qui existent outre-Atlantique « Il n'est pas - selon le conseil d'analyse économique - de système d'innovation supérieur à tous les autres ».

Mais, contrairement au système américain, « largement tiré par le marché », le système français, particulièrement centré sur les interventions publiques, doit s'adapter aux changements intervenus dans le processus d'innovation tels que les ont mis en évidence les analyses théoriques les plus récentes.

La qualité des relations au marché détermine, en effet, désormais largement le succès ou l'échec de l'innovation « les théories des années soixante - selon les auteurs du rapport du CAE - ne sont plus pertinentes .

On est passé d'un modèle linéaire dans lequel se succédaient avancées scientifiques, progrès technique et performances économiques à une conception qui voit dans l'innovation le résultat d'une interaction permanente entre les technologies accessibles, la situation du marché et les différents moyens (main-d'oeuvre, capitaux, ...) dont dispose l'entreprise.

Le rapport du CAE soulignait différentes spécificités toujours actuelles du système français : une implication de l'Etat central particulièrement importante et une forte concentration des interventions publiques au profit des plus grandes entreprises et de certains secteurs (défense, aéronautique, spatial,...).

Il en soulignait certaines faiblesses :

- qualité des liens entre universités, organismes publics et entreprises beaucoup moins bonne qu'aux États-Unis ;

- faiblesse du capital risque ;

- retard dans la production et l'utilisation des nouvelles technologies de la communication ;

- insuffisance de la croissance susceptible de freiner la recherche privée ;

- une spécialisation dans la production de biens standardisés alors que la concurrence internationale porte de plus en plus sur la différenciation des produits par l'innovation, la qualité et le service ;

- au total, une utilisation des innovations moins favorable à l'emploi (substitution du capital au travail, spécialisation industrielle inadéquate, recours insuffisant aux nouvelles technologies dans les services, ...).

En définitive, le système français, inspiré de la logique du modèle d'innovation linéaire, a été efficace comme instrument de rattrapage et se prête à des actions à horizon temporel long, mobilisant des ressources budgétaires importantes, dans des secteurs où la commande publique peut donner une impulsion décisive (infrastructure de transports, de télécommunications, industries de défense, lanceurs de satellites, nucléaire,...).

Mais il doit s'adapter à un nouveau paradigme productif dans lequel le marché et la recherche des entreprises deviennent les principales sources d'innovation pour le maintien à la frontière technologique.

Dans ce modèle, la source principale d'innovation est la recherche interne à l'entreprise et les sources internes publiques sont faiblement efficaces. C'est en développant ses moyens de recherche et en s'intégrant dans le marché que l'entreprise améliore son pouvoir d'innovation. L'innovation résulte alors d'une interaction permanente, dans un environnement concurrentiel, entre les technologies du marché et les moyens des différents acteurs économiques .

La mise en place des pôles de compétitivité (qui s'inspirent des « clusters » américains) et de divers autres instruments (Réseaux thématiques de recherche avancée, Institut Carnot, ...) témoignent d'une volonté récente des pouvoirs publics en France de promouvoir des modes d'innovation modernes, plus décentralisés et coopératifs.

*

* *

Au total, il est possible à la France de s'inspirer du système anglo-saxon de recherche et de sa gouvernance, mais les différences de contexte (mentalités, traditions, valeurs) entre les pays concernés et le nôtre ne peuvent être ignorées.

L'acclimatation de certains principes de gouvernance de ce modèle est en cours. Elle constitue probablement un enjeu de première importance pour l'Europe en général et la France en particulier, dont le ralentissement de la productivité traduit aujourd'hui la fin d'une période de rattrapage technologique initiée dans l'après-guerre ( supra ) , à laquelle nos institutions de recherche étaient alors adaptées, et la difficulté de se maintenir à la frontière technologique.

On ne pourra cependant faire l'économie d'une réflexion lucide sur les effets des grands programmes internationaux et/ou européens comme instruments d'une reconquête de l'excellence à moyen et long terme.

L'instillation d'une dose, plus ou moins forte, de financement sur projet et d'autonomie des universités semble en mesure d'être acceptée par les intéressés et de contribuer à améliorer leurs performances.

Plus difficiles à réaliser apparaissent, en revanche, d'éventuelles réformes relatives aux structures de la recherche, même si elles sont nécessaires pour mieux prendre place dans la compétition mondiale. Quant au statut des chercheurs, il doit faire l'objet, avec les intéressés, d'une réflexion afin de l'adapter aux spécificités des métiers de la recherche.

S'agissant enfin de l'insuffisance de l'investissement privé, comme le note l'Inspection des finance, « l'objectif pour l'Etat est d'accroître l'effet de levier des aides et pour cela de mieux connaître les causes du décalage français ».

* 97 Le SRIF : Science Research Investment Fund.

* 98 Les Research Councils interviennent dans des domaines quelque peu négligés par les universités et financent une recherche plus fondamentale que les organismes gouvernementaux et ces derniers se préoccupent davantage de recherche stratégique et appliquée. Les HEFC (high education funding councils) financent plutôt les dépenses récurrentes des universités, mais leur part relative est déclinante.

* 99 En proportion, il représente, par exemple, un tiers des étudiants en graduate studies à Stanford, 22 % des effectifs du campus à Columbia...

* 100 Cette loi du 12 décembre 1980 permet aux universités :

- de breveter librement leurs découvertes (sans l'aval de l'agence fédérale qui les a financées) ;

- de transférer la technologie correspondante à des PME, de préférence américaines, par des licences exclusives payantes.

* 101 41 millions de dollars en 2002, par exemple, à Stanford.

* 102 Les pourcentages de la DIRDES (dépense intérieure de recherche et développement de l'enseignement supérieur) financée par l'industrie étaient, en 2006 de :

- 1,6 % en France ;

- 4,6 % au Royaume-Uni,

- 5 % aux États-Unis.

Cette proportion est sans doute plus élevée pour les universités dont les activités de recherche sont les plus intensives.

* 103 Les contrats de recherche financent 9,5 % du budget annuel du MIT. En France, ils ne représentent, en moyenne, que 3,5 % des ressources des universités.

* 104 En moyenne, 200 inventions et 50 brevets par an. Création d'une structure interne de valorisation « Imperial Innovation ».

* 105 Les données pour les États-Unis ne sont pas disponibles.

* 106 Gouvernance de la Recherche publique : vers de meilleures pratiques.

* 107 Aux États-Unis, la titularisation (« tenure ») qui récompense les meilleurs professeurs, ne commence pas avant six ans d'enseignement. Au Royaume-Uni, les enseignants-chercheurs n'ont pas le statut de fonctionnaires, mais sont contractuels (CDD ou CDI).

* 108 Ces aspects sont développés dans le I de la deuxième partie.

* 109 Aux États-Unis, les « clusters » de biotechnologies se sont développés autour d'un tout petit nombre de pôles d'excellence académique (Stanford, Berkeley et l'Université de San Francisco), véritables usines à recherche fondamentale et à prix Nobel. On observe la même concentration de matière grise et d'investissement en deux ou trois autres lieux comme Boston et San Diego.

* 110 Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, mise en place par la loi de 2006.

* 111 Sa tâche est immense ! Peut-être devrait-elle se fixer, dans un premier temps, des priorités (diffusion d'un code de bonnes pratiques, évaluation des universités les mieux et les moins bien dotées, ou à la demande ou en fonction du caractère plus ou moins prioritaire de leurs recherches...).

* 112 Rapport sur la valorisation de la recherche et de l'inspection des Finances (IGF) et de l'inspection générale de l'administration, de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) - janvier 2007.

* 113 Sans compter l'attrait des filières administratives ou financières.

* 114 Nombre de créations d'entreprises par M$ PPA (parité de pouvoir d'achat) de dépenses de recherche. Exemple :

MIT (Massachussets Institute of Technology)

UTC de Compiègne

Université Joseph Fourier (Grenoble)

0,019

0,166

0,057

Mais le rythme de croissance des entreprises créées en France est beaucoup plus faible.
Source : Rapport IGF - IGAENR

* 115 L'amorçage est la phase la plus en amont du financement du capital risque, celle qui couvre, avant la création proprement dite d'une entreprise, les frais préalables d'expertises, d'étude de faisabilité, de développement du produit (prototype, maquette...).

* 116 Cf. encadré et rapport « innovation et croissance » du Conseil d'analyse économique de septembre 1998 (Robert Boyer et Michel Didier).

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