3. Quelle implication pour les Parlements nationaux et les collectivités territoriales ?
Au-delà des administrations placées sous l'autorité du gouvernement, votre rapporteur spécial estime que les enjeux européens doivent mobiliser le Parlement et les collectivités territoriales , dont les prérogatives et compétences conditionnent la bonne application du droit communautaire, et tout particulièrement du droit communautaire de l'environnement.
a) Des « leviers » d'action multiples pour le Parlement
Dans sa résolution du 21 février 2008 précédemment évoquée, le Parlement européen appelle de ses voeux « une coopération accrue entre les Parlements nationaux et le Parlement européen [...] afin de promouvoir et d'améliorer l'examen des affaires européennes au niveau national » et estime que « les Parlements nationaux peuvent jouer un rôle précieux dans le contrôle de l'application du droit communautaire ».
Votre rapporteur spécial souscrit à ces principes et considère que les Parlements nationaux disposent déjà de leviers multiples pour contribuer à améliorer le respect par les Etats membres du droit communautaire. Au premier rang de ces leviers figure l'examen par les délégations parlementaires pour l'Union européenne des projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne transmis en application de l'article 88-4 de la Constitution 55 ( * ) . Cet examen donne lieu, le cas échéant, à l'adoption de résolutions européennes .
En deuxième lieu, l'exercice des compétences législatives de nos assemblées peut contribuer à améliorer les performances françaises en matière de transposition des directives. Les amendements déposés par notre collègue Jean Bizet 56 ( * ) , au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, au projet de loi sur la responsabilité environnementale en sont une illustration récente, en ce qu'ils ont permis de résorber partiellement le « stock » de directives environnementales pour lesquelles la France accusait un retard de transposition ayant abouti au lancement de procédures d'infraction, ou pour lesquelles des corrections étaient nécessaires 57 ( * ) . En l'espèce, l'initiative parlementaire atténue donc sensiblement la « longueur » et la « complexité » de la transposition par voie législative diagnostiquée par le Conseil d'Etat.
Le Parlement a également vocation, dans l'exercice de sa fonction de contrôle du gouvernement, à veiller au respect par l'Etat de ses obligations communautaires. Si votre rapporteur spécial s'est efforcé de l'illustrer au travers de ses propres travaux, il relève que les enjeux budgétaires liés au non-respect du droit communautaire font l'objet d'un suivi attentif de la part de l'ensemble de votre commission des finances 58 ( * ) . En témoignent, notamment, les travaux actuellement conduits par notre collègue Joël Bourdin sur les pénalités financières résultant des refus d'apurement communautaire dans le domaine agricole 59 ( * ) .
Par ailleurs, le traité de Lisbonne prévoyait de renforcer l'information des Parlements nationaux et les modalités du contrôle de subsidiarité 60 ( * ) qu'ils opèrent sur les projets d'actes législatifs communautaires 61 ( * ) . Un groupe de travail associant les services des deux assemblées aux ministères concernés étudie actuellement les moyens d'approfondir les relations entre le gouvernement et le Parlement au regard du traité et de l'article 88-4 de la Constitution.
Il convient enfin d'attirer l'attention sur le fait que les parlementaires seront d'autant plus conscients des enjeux liés au respect droit communautaire qu'ils bénéficieront d'un accès immédiat et transparent à l'information disponible . La marge de progression est réelle en la matière :
1) tant pour les administrations communautaires , qui peuvent refuser l'accès aux documents dont la divulgation porterait atteinte à la protection des procédures juridictionnelles et des avis juridiques 62 ( * ) . Le Parlement européen fait, à cet égard, état de la « réticence de la Commission à fournir des informations précises sur les thèmes faisant l'objet de procédures d'infraction » 63 ( * ) ;
2) que pour les administrations nationales , qui transmettent souvent les informations demandées sous réserve de ne pas les rendre publiques, et au motif qu'une telle publicité pourrait porter préjudice à la France dans les négociations qu'elle mène avec la Commission sur les procédures d'infraction ouvertes.
b) Des collectivités territoriales mieux associées
Au cours de ses travaux de suivi, l'eau et les déchets sont apparus à votre rapporteur spécial comme des « points faibles » de l'application, en France, du droit communautaire de l'environnement. En effet, les statistiques 64 ( * ) fournies par les services de la Commission européenne démontrent que 17 % des cas français traités par la direction générale « Environnement » concernent les déchets et 21 % l'eau . Par ailleurs, trois procédures sont actuellement ouvertes en application de l'article 228 concernant la pollution de l'étang de Berre, les décharges illégales et l'eau potable (cf. tableau).
Eau et déchets : des points faibles pour la France
Affaire et stade de la procédure 228 |
Griefs soulevés par la Commission |
Action mise en oeuvre par la France |
Affaire C-239/03 - Etang de Berre (Arrêt du 7 octobre 2004 - Manquement aux obligations de la Convention de Barcelone et du Protocole d'Athènes) Mise en demeure du 19.12.2005. |
Pollution massive et prolongée de l'Etang de Berre. |
Dans le cadre des négociations avec la Commission, les autorités françaises se sont engagées sur 3 points : limitation des déversements annuels d'eau douce à 1,2 milliards m 3 ; réduction des rattrapages hebdomadaires des volumes de rejet à 4 semaines par an ; augmentation à 75% du nombre de mesures de salinité qui, en moyenne hebdomadaire, doivent être supérieures à 20g/L. Dans le cadre de la transmission de leurs rapports semestriels sur l'évaluation de l'impact des nouvelles modalités d'exploitation de la centrale EDF, les autorités françaises ont pu confirmer que les contraintes en termes de limitation et de lissage des rejets d'eau douce ainsi que de suivi des seuils de salinité ont été respectées. L'état écologique de l'Etang est en amélioration substantielle. Issue favorable envisageable. Classement de l'infraction possible courant 2008. |
Affaire C-423/05 - Décharges illégales (Arrêt du 29 mars 2007 - Manquement aux dispositions des directives 75/442 et 1999/31) Mise en demeure le 6.5.2008 |
Exploitation de quelques 8.000 décharges non autorisées sur le territoire national (chiffres issus de plans départementaux élaborés dans les années 1990 et présentés en 2005 dans la requête devant al Cour). |
Les autorités françaises ont conduit parallèlement 2 actions : la restitution de données historiques pour démontrer que le chiffre dont disposait la Commission était très ancien et erroné. En effet, à l'issue d'un recensement national conduit en 2004, près de 942 DNA ont été dénombrées. Les actions de résorption ont conduit progressivement à leur diminution substantielle. Il n'en restait plus que 51 en juin 2007. Aujourd'hui, elles sont au nombre de 14, géographiquement circonscrites : 1 en Corse du Sud et 13 en Guadeloupe. Actions d'information et de mobilisation en direction des autorités préfectorales. |
Affaire C-147/07 - Eau potable Vendée, Deux-Sèvres et Charente-Maritime (Arrêt du 31 janvier 2008 - Manquement aux obligations de la directive 98/83/CE relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine) Demande d'informations du 8.2.2008 |
Taux de nitrates et de pesticides supérieurs aux valeurs limites fixées par la directive dans certaines unités de distribution (UDI) situées dans les 3 départements cités. |
Pour l'année 2007, seules 18 unités de distribution sur 314 ont été concernées de manière épisodique par un dépassement des limites de qualité en nitrates ou pesticides, ainsi réparties : pour la Vendée, Pesticides : 0 UDI - Nitrates : 1 UDI ; pour la Charente-Maritime, Pesticides : 12 UDI - Nitrates : 2 UDI ; pour les Deux-Sèvres, Pesticides : 0 UDI - Nitrates : 3 UDI. Toutes ces UDI sont couvertes par un arrêté préfectoral de dérogation. Dès lors, la France respecte les dispositions de la directive |
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du SGAE
Ce phénomène n'est probablement pas étranger au fait que ces deux secteurs ressortissent, dans notre pays, au champ de compétences des collectivités territoriales , collectivités dont « l'acclimatation » aux problématiques communautaires doit être approfondie.
Le propos de votre rapporteur spécial n'est évidemment pas de pointer un quelconque désintérêt manifesté par les élus locaux à l'égard du droit communautaire. La méconnaissance des enjeux qui y sont attachés résulte plutôt du fait que les collectivités territoriales sont très faiblement associées au processus d'élaboration de la norme européenne, y compris lorsque la mise en oeuvre de cette norme leur incombera au premier chef. Elles ne sont pas davantage parties prenantes aux procédures d'infraction engagées contre la France, en vertu du principe selon lequel la Commission est « aveugle » à l'organisation territoriale interne de chaque Etat membre.
Votre rapporteur spécial a déjà attiré l'attention sur le fait que l'Etat envisageait, en particulier dans le cadre de l'affaire des eaux résiduaires urbaines, de faire supporter le poids d'éventuelles sanctions pécuniaires aux collectivités à qui un manquement au droit communautaire serait imputable.
L'ensemble de ces éléments plaide pour une association étroite des collectivités à l'ensemble des étapes du processus de décision communautaire, et à tout le moins dans les domaines où l'application de la norme européenne ressortira à leur champ de compétences.
Le SGAE a indiqué à votre rapporteur spécial que plusieurs initiatives 65 ( * ) avaient été prises dans cette direction, et en particulier :
1) la création d'une commission nationale des exécutifs locaux , qui organise la concertation entre les ministères et les principales associations d'élus locaux sur les sujets, notamment communautaires, qui les concernent ;
2) la réunion trimestrielle d'un groupe de travail technique associant les secteurs du SGAE et les correspondants sectoriels des associations de collectivités locales (deux réunions se sont déjà tenues, dont une sur les thèmes de l'énergie et du climat) ;
3) un effort d'association des collectivités territoriales à la préparation de la Présidence française de l'Union européenne.
Au titre de l'association plus étroite des collectivités territoriales au processus de décision communautaire, votre rapporteur spécial relève enfin l'amendement adopté sur proposition de notre collègue Alain Lambert au cours de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2007 66 ( * ) .
Aux termes de cet amendement 67 ( * ) , l'article L. 1211-4-1 du code général des collectivités territoriales dispose désormais qu'une formation restreinte dénommée commission consultative d'évaluation des normes est notamment chargée, au sein du comité des finances locales, « d'émettre un avis sur les propositions de textes communautaires ayant un impact technique et financier sur les collectivités territoriales et leurs établissements publics ».
* 55 Cet article dispose que « Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne. Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés. »
* 56 Voir le rapport n° 348 (2007-2008) sur le projet de loi relatif à la responsabilité environnementale.
* 57 Notamment les directives relatives à la pollution causée par les navires, à la qualité de l'air ambiant, ou à la performance énergétique des bâtiments.
* 58 Rapport d'information n° 366 (2007-2008), sur le contrôle budgétaire, fait par MM. Jean Arthuis, Philippe Marini, Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne et François Trucy, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.
* 59 Enquête confiée à la Cour des comptes par votre commission des finances en application de l'article 58-2° de la LOLF.
* 60 Sur les modalités concrètes de ce contrôle, voir le rapport d'information de notre collègue Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, « Les Parlements nationaux et l'Union européenne après le traité de Lisbonne » (n° 393, 2007-2008).
* 61 Ainsi, en cas de contestation d'un tel projet par une majorité simple de Parlements nationaux et de maintien du projet d'acte par la Commission, le Conseil et le Parlement européen devront se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec le principe de subsidiarité. Ce projet sera écarté si le Conseil (à la majorité de 55 % de ses membres) ou le Parlement européen (à la majorité simple) donnent une réponse négative. Cette procédure ouvre donc des possibilités inédites aux Parlements nationaux pour peser sur le processus décisionnel communautaire.
* 62 Article 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001, relatif à l'accès du public aux documents de Parlement européen, du Conseil et de la Commission.
* 63 Résolution du 21 février 2008, considérant 37.
* 64 Au 18 avril 2008.
* 65 Initiatives qui gagneraient à être déclinées au niveau territorial. S'agissant par exemple des questions d'application du droit communautaire dans le domaine de l'eau, des enceintes existantes, telles que le comité de bassin, peuvent utilement être mises à profit pour sensibiliser les collectivités territoriales aux enjeux européens.
* 66 Article 97 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007.
* 67 Cet amendement résulte des travaux confiés à notre collègue Alain Lambert par le gouvernement, sur les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales.