B. LA NÉCESSITÉ D'ADOPTER UNE APPROCHE PLUS ÉQUILIBRÉE À L'ÉGARD DE LA TURQUIE

A l'heure où s'ouvre la présidence française de l'Union européenne, il nous apparaît indispensable que nous fassions preuve d'une approche plus objective et mesurée à l'égard de la Turquie. L'attitude de la France fait en effet aujourd'hui courir deux dangers : non seulement elle menace l'avenir de l'amitié franco-turque, mais elle risque également de détourner la Turquie d'un processus de réformes pourtant indispensable à sa modernisation.

1. Écarter le risque de voir l'amitié franco-turque durablement mise à mal

L'escalade verbale à laquelle s'adonne notre pays à l'encontre de la Turquie est assez regrettable. Elle met sérieusement en danger les liens privilégiés que la France et la Turquie ont tissés depuis plusieurs siècles , qu'il s'agisse des relations économiques entre nos deux pays ou des forts liens culturels qui les unissent. A ce titre, plusieurs de nos interlocuteurs nous ont confié leur crainte que les épisodes récents ne finissent par laisser des cicatrices profondes dans l'amitié entre nos deux pays. Une telle situation serait, à l'évidence, dramatique, si l'on en juge par le nombre de grandes entreprises françaises implantées en Turquie, le rayonnement de la culture française dans ce pays et l'importance du nombre d'élèves turcs inscrits dans des lycées français (voir annexe).

Malgré le maintien de cette forte présence française en Turquie, la situation s'est considérablement détériorée depuis notre dernière mission. « Pourquoi les Français n'aiment-ils pas les Turcs ? », n'ont cessé de nous demander nos interlocuteurs en Turquie. La France cristallise en effet, plus que n'importe quel autre État membre, l'irritation des Turcs, qui ont le sentiment que la France ne considère pas la Turquie comme un partenaire à part entière et ne la traite pas comme une grande nation . Nos interlocuteurs turcs ont ainsi déploré que la France, en évoquant publiquement l'idée que la Turquie ne serait pas européenne, tende à s'ériger en juge de l'identité turque. Ces propos ont particulièrement heurté le peuple turc et risquent de renforcer, en Turquie, un nationalisme de plus en plus teinté d'anti-occidentalisme.

Dans ces conditions, il paraît nécessaire de réfléchir aux moyens dont nous disposons pour renouer les liens aujourd'hui distendus entre la France et la Turquie . Il est évident que nous ne pourrons pas restaurer les liens d'amitié si nos deux pays ne font aucun effort pour renforcer leur connaissance mutuelle l'un de l'autre. C'est pourquoi le développement du tourisme devrait jouer un rôle fondamental dans les années à venir pour faire évoluer les mentalités. Pour autant, le tourisme n'est pas suffisant et il convient d'élaborer des politiques actives en faveur d'un rapprochement de nos deux pays. Ces politiques peuvent prendre des formes diverses, allant de la conception de campagnes de publicité à la mise en oeuvre de coopérations dans le domaine de l'éducation et du développement des jumelages entre nos villes à des mesures visant à faciliter les liens entre les sociétés civiles. A cet égard, la « saison de la Turquie en France » (voir annexe), qui se tiendra dans notre pays de juillet 2009 à mars 2010 et sera présidée, du côté français, par Henri de Castries, président du directoire d'Axa, devrait constituer une opportunité précieuse pour le peuple français d'approfondir sa connaissance de la Turquie au travers de témoignages de l'ancienneté et de la force des liens qui unissent nos deux pays.

2. Encourager la Turquie dans son processus de modernisation

Nos interlocuteurs nous ont indiqué que la politique menée par la France, qui consiste à prôner un partenariat privilégié en lieu et place de l'adhésion, était de nature à freiner la dynamique des réformes en Turquie , puisqu'elle réduit mécaniquement le soutien populaire à la mise en oeuvre des réformes. Lors de la réunion de la commission parlementaire mixte Union européenne/Turquie, le ministre des affaires étrangères turc, Ali Babacan a ainsi souligné aux parlementaires européens que la Turquie aurait sans doute beaucoup de difficultés à maintenir l'élan des réformes si l'Union européenne remettait en cause l'objectif d'adhésion, dont les deux parties étaient pourtant convenues au moment de l'ouverture des négociations d'adhésion.

Plusieurs de nos interlocuteurs ont également regretté certaines politiques conduites ces dernières années par la France, qui ont contribué à brouiller le processus d'adhésion dans leur pays. En ce qui concerne l'Union pour la Méditerranée par exemple, ils ont indiqué que la population turque voyait une incohérence à vouloir renforcer le processus de Barcelone et à rejeter l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ; pour leur part, ils ont estimé que l'entrée de la Turquie dans l'Union pouvait contribuer à renforcer l'influence européenne en Méditerranée. Par ailleurs, certains de nos interlocuteurs se sont également étonnés que la France souhaite bloquer l'ouverture du chapitre relatif à la politique régionale, alors même que la Turquie souffre d'un grave problème régional - avec la minorité kurde notamment - et que l'ouverture de chapitre lui aurait sans doute donné des outils pour le surmonter, comme cela avait été le cas il y a quelques années pour l'Irlande du Nord.

Face aux atermoiements du côté européen, l'appétence de la population turque pour l'Union européenne s'est donc affaiblie ces dernières années . En 2000, on estimait ainsi à 70 % le nombre de Turcs favorables à l'entrée de leur pays dans l'Union européenne. Selon un sondage publié dans le quotidien Milliyet le 30 juin 2008, seuls 47 % des Turcs y sont désormais favorables et 23 % déclarent même y être fermement hostiles.

Dès lors, il nous semble qu'il serait sage que la France adopte une approche plus équilibrée à l'égard de la Turquie et qu'elle traite surtout ce pays de la même manière qu'elle a traité, par le passé, n'importe quel autre pays candidat. Les négociations d'adhésion sont une entreprise de longue haleine pour la Turquie ; les Turcs eux-mêmes sont conscients des difficultés qu'ils rencontreront encore dans le processus de réformes, qui ne se limite pas seulement au champ économique, mais suppose des modifications profondes dans les domaines juridique et culturel. Dans ces conditions, il apparaît inutile d'accentuer notre pression sur la Turquie qui, loin de la faire redoubler d'efforts sur la voie de l'adhésion, la pousse, au contraire, peu à peu, à renoncer au rêve européen et, par là-même, à une partie des principes que nous défendons . L'Union européenne n'y a pourtant aucun intérêt tant la Turquie et elle-même ont, à l'évidence, un avenir et un destin communs. C'est pourquoi, quelle que soit l'issue que pourront avoir les négociations d'adhésion, il convient, dès aujourd'hui, d'amarrer solidement la Turquie à l'Union européenne.

« Cette cité est, comme autrefois, le sceau mystérieux et sublime qui unit l'Europe à l'Asie »

Gérard de Nerval, Voyages en Orient

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