III. DES RELATIONS FRANCO-TURQUES SÉRIEUSEMENT DÉGRADÉES À LA VEILLE DE L'OUVERTURE DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE

Lors de notre mission, nous avons pu observer à quel point les relations entre la France et la Turquie, pourtant excellentes il y a encore quelques années, avaient pu se détériorer. De ce fait, ce sont surtout les questions d'ordre bilatéral que nos interlocuteurs ont souhaité évoquer avec nous au cours de notre déplacement.

A. UNE TURQUIE INQUIÈTE DE L'ATTITUDE DE LA FRANCE À SON ÉGARD

Les personnalités turques que nous avons rencontrées, hommes politiques comme intellectuels, nous ont toutes confié leur incompréhension et leur inquiétude au sujet de l'attitude de la France à l'égard de la Turquie . Certains sont même allés plus loin et ont affirmé que se développait peu à peu, au sein de la population turque, le sentiment que « la France avait trahi la Turquie ». Ils ont justifié ce point de vue par le fait que l'opinion publique turque attend davantage de la France que de la plupart des autres États membres en raison des liens historiques qui unissent les deux pays.

Deux éléments ont, aux yeux de l'ensemble de nos interlocuteurs, particulièrement envenimé les relations franco-turques ces dernières années : la reconnaissance par la France du génocide arménien et l'attitude de la France dans les négociations d'adhésion.

1. La reconnaissance par la France du génocide arménien de 1915 : un coup porté à l'amitié franco-turque

La reconnaissance par la France du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001 a sérieusement affecté la relation franco-turque. Elle s'est traduite par un arrêt brutal des relations politiques entre les deux pays pendant plus d'une année et a porté atteinte aux échanges économiques bilatéraux. En effet, cette loi a suscité un ressentiment d'autant plus vif en Turquie que la France y est perçue comme un allié traditionnel : le vote du Parlement français est donc apparu comme un coup porté à l'amitié franco-turque. Cette loi a en effet donné le sentiment aux Turcs que la France estimait que la Turquie et l'Arménie étaient incapables de surmonter par eux-mêmes leur passé douloureux.

Dès lors, l'adoption par l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2006, d'une proposition de loi visant à pénaliser la négation du génocide arménien n'a fait que renforcer l'exaspération de la Turquie. Alors que l'agacement des Turcs était légèrement retombé, le vote par la première chambre de ce texte destiné à compléter la loi du 29 janvier 2001 par un volet pénal a en effet contribué à assombrir de nouveau le climat qui règne entre la France et la Turquie. Même si cette proposition de loi n'a, fort heureusement, jamais été inscrite à l'ordre du jour du Sénat, ce qui prévient son adoption définitive, elle a sans doute eu des répercussions importantes sur la relation franco-turque, dans le domaine économique comme dans le domaine politique. La décision prise par le chef d'état-major de l'armée de terre turque, le 15 novembre 2006, de suspendre la coopération militaire avec la France, suite à l'adoption de ce texte par l'Assemblée nationale, en est une illustration.

2. L'attitude de la France dans les négociations d'adhésion : une pomme de discorde entre la France et la Turquie

L'attitude de la France dans le cadre des négociations d'adhésion irrite particulièrement les Turcs. Plusieurs de nos interlocuteurs se sont ainsi étonnés que la France soit le seul État à s'opposer ouvertement, dans les négociations, à l'évocation de l'adhésion de la Turquie, alors même que d'autres États membres éprouvent également des réticences à cette adhésion. Ils nous ont confirmé que la France apparaissait en Turquie comme le chef de file de l'opposition à son entrée dans l'Union européenne . Selon eux, plusieurs faits récents seraient à l'origine de cette image :

- le refus de la France de voir ouverts cinq chapitres de négociation jugés trop politiquement sensibles ; un exemple en a d'ailleurs été donné en juin 2007 lorsque la France a annoncé qu'elle pourrait bloquer l'ouverture du chapitre consacré à la politique économique et monétaire si celle-ci était soumise à l'approbation des États membres ;

- la volonté française, depuis décembre dernier, de faire disparaître le terme « adhésion » des conclusions du Conseil ;

- l'amendement adopté le 29 mai 2008 en première lecture par l'Assemblée nationale sur le projet de révision de l'article 88-5 de la Constitution, qui ne maintient l'obligation d'autoriser par référendum les adhésions à l'Union européenne que pour les seuls États dont la population représente plus de 5 % de la population européenne. En ce qui concerne ce dernier exemple, il convient de souligner que nous avons été étonnés de constater, alors que nous nous trouvions à Ankara au lendemain de la discussion générale du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, au cours de laquelle la question de cet amendement avait été débattue par les députés, que nos interlocuteurs avaient parfaitement connaissance de cet amendement et des arguments qui avaient été développés, la veille même, au cours des débats.

Il est en effet à craindre que l'on n'ait pas, en France, pris la mesure de l'impact que peuvent avoir, en Turquie, nos déclarations . Or, non seulement elles y sont relayées, mais elles y ont également un retentissement considérable. C'est pour cette raison que nos interlocuteurs, souvent particulièrement francophiles lorsqu'ils n'étaient pas même francophones, nous ont fait part de leur peur que les évènements récents ne mettent sérieusement à mal l'amitié franco-turque, pourtant vieille de plus de cinq siècles. Au-delà du ressentiment qu'ils ont exprimé, il nous a semblé qu'ils manifestaient également le désir de voir les choses s'arranger.

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