II. LES FREINS PERSISTENT : DES PROCÉDURES LOURDES, LONGUES ET COÛTEUSES

L'autorisation de travail des ressortissants étrangers en provenance de pays tiers et pour les nouveaux États membres soumis à un régime transitoire, qu'il s'agisse de changement de statut ou d'introduction de travailleurs, constitue encore aujourd'hui une procédure longue et complexe , dont le régime juridique précis est défini par la circulaire n° DPM/DMI2/2007/323 du 22 août 2007. Sur ce régime de l'immigration professionnelle pèse de surcroît une fiscalité inadaptée , à l'encontre de l'objectif poursuivi par le gouvernement : faciliter l'immigration économique légale.

La lourdeur de la chaîne administrative explique dans une large mesure, pour les ressortissants des nouveaux États membres, l'émergence des interventions dans le cadre de la prestation de services internationale, qui constitue une modalité de contournement de la procédure d'autorisation de travail, avec un risque élevé de fausses sous-traitances et donc de travail illégal . Elle explique dans une moindre mesure la persistance dans certains secteurs économiques, et pour des entreprises de petite taille, du recours à des travailleurs en situation irrégulière.

Le taux de refus des autorisations de travail demeure significatif, même s'il n'existe pas de statistique globale à ce sujet, ce qui prouve encore une fois malheureusement les faiblesses de l'informatique de l'État et l'incapacité à disposer de tableaux de bord précis pour évaluer une politique 9 ( * ) . On attendrait pour la fin de l'année 2008 une application informatique relative à la main d'oeuvre étrangère.

Les directions du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle interrogées par votre rapporteur spécial disposent de chiffres tendant à montrer que les refus sont plus élevés pour les demandes d'introduction de travailleurs étrangers directement dans notre pays, que pour les changements de statut.

Elles soulignent aussi que la prise en compte des attentes du monde économique ne les conduit pas à négliger la lutte contre les filières d'immigration irrégulière de salariés , ni à faire preuve d'une moindre vigilance envers les risques de dumping social , non plus qu'à renoncer à affirmer le principe de la recherche d'emploi prioritaire sur le marché du travail national et communautaire qui est à la base de tous les systèmes européens de régulation des flux migratoires de travail.

A. DES PROCÉDURES INDÉNIABLEMENT LOURDES

La procédure d'autorisation d'un travail d'un ressortissant étranger est une procédure dérogatoire par rapport à l'acte d'embauche d'un travailleur français ou d'un travailleur étranger disposant d'un titre de séjour lui donnant le droit de travailler. La circulaire précitée du 22 août 2007 énumère, sauf exceptions, six critères pour l'examen d'une demande d'autorisation de travail . Elle est considérée par de nombreuses branches professionnelles comme dissuasive pour les introductions de travailleurs étrangers.

1. Les six critères d'examen pour les autorisations de travail

Le dossier, déposé par l'employeur potentiel, est instruit par le service ou bureau de main d'oeuvre étrangère des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

Les six critères d'examen sont les suivants :

- la situation de l'emploi , hormis les cas de plus en plus nombreux où celle-ci n'est pas opposable (grâce à la constitution de listes de métiers en tension, cf infra). La procédure vise à vérifier la réalité et le sérieux des recherches de l'employeur pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail. Il faut en pratique faire valoir le dépôt infructueux, auprès du service public de placement, pendant au moins trois semaines, d'une offre de travail aux mêmes conditions que le contrat de travail du salarié étranger. C'est le plus souvent en fonction de ce critère qu'est refusé une autorisation de travail : la situation du travail dans le bassin d'emploi est prise en compte ;

- l'adéquation entre la qualification, l'expérience et, le cas échéant, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule. Les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle sont ainsi invitées à saisir par télécopie ou par courrier électronique les postes consulaires avant toute instruction de leur part du visa long séjour, afin d'obtenir, si nécessaire, un avis sur l'authenticité, le contenu ou la qualité d'un diplôme, dans le délai d'un mois ;

- le respect par le salarié des conditions réglementaires d'exercice de l'activité considérée ;

- le respect par l'employeur de la législation relative au travail et à la protection sociale . L'existence de ces manquements doit être attestée par un document de l'inspection du travail ou d'un organisme chargé du recouvrement des cotisations sociales. Les constats en manquement de la part des inspections du travail constituent une raison fréquente de refus ;

- les conditions d'emploi et de rémunération offertes à l'étranger. Selon la circulaire du 22 août 2007 précitée, ces conditions doivent être comparables à celles des salariés occupant un emploi de même nature dans l'entreprise, ou, lorsque l'entreprise ne comprend aucun autre salarié, dans la même branche professionnelle ;

- le logement , dans l'hypothèse dans laquelle l'employeur ou l'entreprise pourvoient à l'hébergement de l'étranger.

Sur le plan des principes, les critères prévus par la circulaire précitée du 22 août 2007 apparaissent justifiés. Ils traduisent, d'une part, l'idée que l'immigration économique n'est pas une solution de premier rang pour satisfaire les besoins de main d'oeuvre des employeurs , mais une solution de complément et, d'autre part, les risques de dumping social que peut parfois manifester le recours à des travailleurs étrangers.

2. Des précautions nécessaires, mais qui multiplient les vérifications

Dans ces conditions, des précautions s'imposent évidemment. Mais l'ensemble des vérifications prévues fait intervenir des organismes multiples, comme l'inspection du travail pour le contrôle des conditions de travail, les consulats, pour l'examen des diplômes étrangers.

Ces précautions sont de nature à multiplier les demandes d'informations, et les interlocuteurs, et donc à compliquer le dialogue avec l'entreprise, puisque celle-ci a déjà recruté le travailleur étranger, et qu'elle est souvent en besoin de ressources supplémentaires pour faire face à des commandes précises, soumises, contrairement à l'administration, à une condition de délai.

Ceci maintient évidemment le candidat étranger au changement de statut ou à l'émigration dans une situation « d'entre deux » inconfortable. Les critères d'appréciation pour les autorisations de travail pourraient-ils être réduits, par un meilleur ciblage des inspections du travail, ou grâce à une labellisation des entreprises par le biais de leurs fédérations professionnelles ? La question mérite, selon votre rapporteur spécial, d'être posée. Ainsi avait-il avait suggéré au cours de l'examen du budget 2008 de la mission « Immigration, asile et intégration » la création d'un indicateur de simplification administrative...

Il faut, en effet, rappeler que les risques de « dumping social » viennent aujourd'hui moins des procédures d'introduction des travailleurs salariés que les prestations de service internationales, soumises à une simple déclaration de détachement.

3. La multiplicité des guichets après l'autorisation de travail

L'autorisation de travail donnée par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle n'épuise pas, en outre, la totalité du parcours que l'entreprise et son futur salarié doivent emprunter, qui s'apparente dès lors à une véritable course d'obstacle.

Dans le cas d'un ressortissant étranger déjà présent en France et muni d'un titre de séjour, l'ANAEM convoque l'étranger pour la visite médicale qui doit être passée dans un de ses centres. Ce n'est qu'à l'issue de celle-ci qu'on remet au travailleur étranger le certificat de contrôle médical et le contrat de travail visé.

Pour les travailleurs résidant à l'étranger, la circulaire précitée du 22 août 2007 prévoit, que « dans un souci de simplification administrative et de rapidité, la transmission des informations entre administrations se fasse de manière informatisée ». La mise en place de messageries électroniques entre les services des préfectures, les directions de l'ANAEM et les postes consulaires et diplomatiques est assurément un progrès que l'ensemble des services de l'État plébiscite. L'ANAEM constitue le relais entre les services de l'État en France et les consulats, mais entretient des relations de qualité inégale avec ceux-ci.

Le travailleur étranger doit obtenir un visa du consulat, et, à son arrivée en France, se présenter sur une plate-forme de l'ANAEM pour, d'une part, bénéficier du contrat d'accueil et d'intégration , et d'autre part, faire l'objet d'une visite médicale obligatoire . Le délai d'attente pour les convocations à la visite médicale peut atteindre plus de 4 mois à compter de la délivrance du premier récépissé.

A l'issue de ce contrôle médical, l'ANAEM remet à l'intéressé un certificat de contrôle médical, le contrat de travail visé et devrait remettre, selon les termes de la circulaire précitée, « dans toute la mesure du possible », le titre de séjour de l'étranger. En pratique, et votre rapporteur spécial le regrette, cette organisation, qui devrait être basée sur une convention entre la préfecture et l'ANAEM, n'est que trop rarement mise en place pour des motifs de sécurité, ou de distance entre les services . Le travailleur étranger doit donc se présenter à la préfecture pour y retirer son titre de séjour, ce qui représente pour lui une démarche supplémentaire fastidieuse et une perte de temps précieuse.

Votre rapporteur spécial appelle, en conséquence, à rendre possible la remise du titre de séjour au moment du passage des ressortissants étranger sur les plateformes de l'ANAEM à des fins de simplification administrative. Il s'agit de développer une logique de guichet unique pour les personnes étrangères.

Il s'interroge, par ailleurs, sur l'opportunité de la visite médicale obligatoire réalisée à l'ANAEM. Si un certificat médical s'impose, il paraît pouvoir être réalisé par tout médecin. En réalité, la visite médicale obligatoire constitue la seule source d'information fiable et cohérente s'agissant des chiffres des migrations, notamment professionnelles. C'est pour cette raison qu'elle n'a pas encore été supprimée. Elle devrait pouvoir l'être à l'avenir, du moins dans sa formule actuelle, dès que les statistiques relatives aux migrations pourront être obtenues par d'autres moyens.

* 9 La connaissance des secteurs économiques concernés par la demande d'autorisation de travail, des qualifications des travailleurs concernés, des conditions de rémunération ou de travail proposés fournirait une base de travail précieuse pour le développement de l'immigration économique.

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