EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a entendu, au cours de sa réunion tenue le 25 juin 2008, la communication de M. Josselin de Rohan sur la mission effectuée du 21 au 25 avril 2008 en Russie par une délégation de la commission.

A la suite de l'exposé du rapporteur, revenant sur la situation politique de la Russie, M. Robert Hue a indiqué que cette visite était intervenue à un moment particulièrement opportun, caractérisé par la mise en place des nouvelles équipes présidentielles et gouvernementales. Il a rappelé le véritable traumatisme vécu par la Russie au moment de l'effondrement de l'Union soviétique et l'humiliation ressentie par la population au cours de la période Eltsine, qui expliquaient largement le sentiment actuel de revanche et l'attitude parfois arrogante de la Russie face à l'Occident qui accompagne le retour de ce pays sur la scène internationale, grâce notamment à la manne énergétique.

Ce retour s'accompagne aussi de dérives autoritaires, comme l'illustre la place prise par les « structures de force », les « siloviki », dont Vladimir Poutine lui-même est issu et les réseaux de Saint-Pétersbourg, ville dont il est originaire, ainsi que d'une forme de patriotisme s'apparentant à un fort nationalisme. L'espace public est aujourd'hui entièrement dominé par le parti Russie unie, a relevé M. Robert Hue, et les derniers scrutins ont été entachés d'irrégularités manifestes. Les résultats officiels ont accordé 11 % des voix au parti communiste, ce qui fait de ce parti le seul parti d'opposition représenté à la Douma, alors que le chiffre réel se situerait plutôt autour de 20 %.

Dans ce contexte, le fonctionnement du duo Vladimir Poutine/Dmitri Medvedev suscite des interrogations, a relevé M. Robert Hue, qui a considéré que, compte tenu de la forte personnalité du nouveau président et des pouvoirs qui lui sont reconnus par la Constitution, il semble difficile de croire qu'il se contentera d'un simple rôle de « marionnette » de Vladimir Poutine. A cet égard, la décision de Vladimir Poutine de prendre la direction du parti Russie unie et de transférer certaines structures du Président au Premier ministre peut s'interpréter comme le signe de sa volonté de garder la « haute main » sur les leviers du pouvoir.

Si Dmitri Medvedev a fait de la modernisation de l'économie et de l'amélioration de la qualité de vie des citoyens les priorités de son mandat, en renforçant notamment les investissements dans l'éducation, la recherche et les infrastructures, et en améliorant le système judiciaire et la lutte contre la corruption, il risque toutefois de se heurter aux intérêts des grandes corporations qui dominent certains secteurs économiques jugés stratégiques.

La Russie présente toutefois des faiblesses structurelles, a rappelé M. Robert Hue, qui tiennent notamment à la diminution de la population et à la forte pression démographique chinoise à ses frontières.

Avec le monde occidental, le principal différend concerne l'élargissement de l'OTAN à la Géorgie, mais aussi et surtout à l'Ukraine, dont l'indépendance n'a jamais été totalement acceptée par Moscou.

Déplorant la distance prise ces dernières années par la France à l'égard de ce grand pays qu'est la Russie, qui s'était traduite par un renforcement de l'influence politique et économique de l'Allemagne, mais aussi de l'Italie, M. Robert Hue a estimé que la France devrait chercher à renforcer davantage ses relations avec ce pays, qui joue un rôle très important pour les équilibres géopolitiques, notamment dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne, mais aussi au-delà.

M. Jean-Pierre Fourcade a souhaité, pour sa part, apporter un éclairage supplémentaire sur la situation économique de la Russie et les relations énergétiques.

Concernant la situation économique, il a rappelé que la Russie avait connu, depuis 2000, une croissance économique soutenue, supérieure à 6 % par an, grâce à la forte hausse du prix des hydrocarbures, dont elle constituait l'un des premiers pays producteur et exportateur au niveau mondial. Le budget de l'Etat est excédentaire et la Russie a remboursé la quasi-totalité de sa dette extérieure.

Les échanges économiques entre l'Union européenne et la Russie ont d'ailleurs connu une forte augmentation ces dernières années, même si ces échanges restent très déséquilibrés en faveur de la Russie, compte tenu du poids des hydrocarbures. La Russie est aujourd'hui le premier fournisseur d'hydrocarbures de l'Union européenne et la dépendance énergétique de l'Union européenne devrait fortement s'accroître dans les prochaines décennies.

Or même si, au plus fort de la guerre froide, la Russie n'a jamais manqué à ses obligations contractuelles vis-à-vis de ses partenaires européens, il existe une réelle inquiétude chez les experts sur la capacité de la Russie à honorer ses engagements, compte tenu de la hausse de la consommation intérieure, de la demande chinoise et du manque d'investissements dans l'exploration et l'exploitation de nouveaux gisements. Les besoins d'investissements du secteur énergétique russe sont évalués, par la Commission européenne, à 735 milliards de dollars d'ici à 2030.

La volonté de la Russie de réorienter sa politique étrangère en direction de l'Asie, et en particulier de la Chine, illustrée par le fait que ce pays a été le premier, hors CEI, où Dmitri Medvedev s'est rendu après son élection, s'est traduite par un renforcement de la coopération russo-chinoise.

Enfin, déplorant lui aussi la faible présence économique de la France face à l'Allemagne et à l'Italie, M. Jean-Pierre Fourcade a estimé indispensable de renforcer les liens économiques entre nos deux pays, notamment sur le plan énergétique.

M. Roger Romani a déclaré avoir été frappé, lors de son séjour à Moscou, par la volonté des autorités russes d'affirmer le statut de puissance de leur pays, qui s'explique par un certain sentiment de revanche après l'humiliation ressentie, dans les années 1990, à l'égard des Etats-Unis et du monde occidental, et par une nostalgie du rôle de premier plan exercé par l'Union soviétique.

La Russie ne dispose toutefois pas des moyens nécessaires pour se poser en rival des Etats-Unis et la première priorité de la politique étrangère russe est de préserver son influence dans l'espace post-soviétique, a-t-il souligné. Cela explique la violente réaction de la Russie à l'égard des « révolutions de couleur », en Ukraine et en Géorgie, et sa ferme opposition à la volonté de ces deux pays de rejoindre l'Alliance atlantique.

Il existe une certaine déception russe à l'égard du monde occidental, de l'Union européenne et même de la France, a estimé M. Roger Romani, et les différents interlocuteurs ont émis le souhait de voir la France s'impliquer davantage en Russie.

Rappelant qu'il avait participé à une mission de la commission qui s'était rendue en Russie en 2004, à l'amorce du deuxième mandat de Vladimir Poutine, au cours de laquelle les responsables russes avaient déjà tenu des propos très durs envers l'élargissement de l'Union européenne et de l'OTAN aux pays baltes et aux pays d'Europe centrale et orientale, M. André Boyer a souhaité savoir où en était la réforme de l'armée russe.

En réponse, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que, face à la dégradation de la situation matérielle, des équipements et de la condition des militaires, Vladimir Poutine avait effectivement lancé une profonde réforme, qui se mettait en oeuvre lentement sous l'égide du ministre de la défense et qui rencontrait des résistances au sein de la hiérarchie militaire, comme l'illustre le récent remplacement du chef d'état-major des armées. Ces réformes consistent à augmenter les dépenses militaires, qui sont actuellement équivalentes à celles de la France, à réduire le nombre de personnels de 4,5 millions à 1,1 million, à diminuer la durée du service militaire de deux ans à un an, à professionnaliser la moitié des effectifs, à moderniser les équipements, à créer un corps de sous-officiers, aujourd'hui inexistant, à augmenter la solde et améliorer les conditions de logement des militaires et, enfin, à mettre sur pied une force de projection professionnalisée et dotée des équipements les plus modernes.

M. Robert Bret s'est interrogé sur le poids des grands conglomérats industriels et sur la volonté des fonds souverains russes d'investir en Europe.

M. Josselin de Rohan, président, a estimé qu'environ 35 % de l'économie russe était sous l'emprise de l'Etat, à travers de grands conglomérats, notamment les secteurs jugés stratégiques de l'énergie, de l'armement ou du bois. Si ceux-ci cherchent à investir en Europe occidentale, à l'image de Gazprom, cela semble surtout motivé par la recherche du profit, même si l'on ne peut exclure des arrière-pensées politiques.

M. Jean François-Poncet s'est interrogé sur la capacité de la Russie à remplir ses engagements contractuels à l'égard de l'Europe en matière énergétique, compte tenu du manque d'investissements dans l'exploitation de nouveaux gisements. Il a souhaité également avoir des précisions sur le complexe militaro-industriel et sur la situation de l'enseignement supérieur en Russie.

M. Josselin de Rohan a indiqué que certains experts avaient, en effet, de fortes inquiétudes sur la capacité de la Russie à honorer ses engagements, compte tenu du manque d'investissements dans l'exploitation de nouveaux gisements, mais aussi de la hausse de la consommation intérieure ou de l'augmentation de la demande asiatique. Il a aussi mentionné les lacunes existantes en matière d'efficacité énergétique ainsi que le manque d'entretien des gazoducs et des oléoducs, qui entraîne des déperditions importantes de gaz et de pétrole.

L'industrie d'armement a été réorganisée avec la mise en place de grands conglomérats dans les secteurs aéronautique, naval et terrestre et une agence d'exportation.

Enfin, si le niveau de l'enseignement s'est dégradé ces dernières années, la Russie dispose de jeunes très qualifiés et bien formés. A cet égard, M. Josselin de Rohan, président, a regretté le faible nombre d'étudiants russes poursuivant des études en France, de l'ordre de 2 300 sur 240 000 étudiants étrangers.

M. Christian Cambon a considéré que, face à la Chine et à l'Inde, qui comptent chacun plus d'un milliard d'habitants, ou même à l'Union européenne, dont la population est proche de 500 millions d'habitants, la faiblesse de la démographie russe pourrait s'avérer un obstacle majeur à sa volonté de rester une grande puissance, malgré l'immensité de son territoire. Il s'est interrogé sur la politique migratoire russe.

En réponse, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que le déclin démographique, forte préoccupation de Vladimir Poutine par ailleurs, constituait effectivement l'une des faiblesses majeures de la Russie. Même si la natalité a atteint, en 2007, son plus haut niveau depuis 25 ans, l'amélioration de la qualité de vie de la population, notamment en matière de santé, devrait figurer au nombre des priorités du nouveau président.

La Russie souffre déjà d'une pénurie de main d'oeuvre dans certains secteurs, comme le bâtiment, a ajouté M. Robert Hue. Elle fait appel à des travailleurs étrangers, en provenance principalement des pays de l'ex-URSS. Même si cette question reste encore taboue pour la plupart des responsables russes, un accord avec la Chine sur une gestion concertée des flux migratoires sera sans doute inéluctable à l'avenir.

A une question de M. André Trillard sur la capacité de la Russie à contrôler efficacement ses frontières, du fait de son immense territoire et de la réduction du nombre de ses militaires, M. Josselin de Rohan, président, a répondu que c'était précisément pour cette raison que les autorités avaient conservé le système de la conscription, tout en réduisant la durée du service militaire de deux à un an, à partir du 1er janvier 2008, afin de limiter les cas d'insoumission et d'exemption, souvent motivés par les mauvais traitements infligés aux appelés, dans le cadre d'un « bizutage » qui se traduirait par plusieurs centaines de morts par an.

La commission a ensuite approuvé la publication d'un rapport d'information sur cette mission.

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