EXAMEN EN DÉLÉGATION

Au cours de sa réunion du mercredi 2 juillet 2008 , tenue sous la présidence de M. Joël Bourdin, président , la délégation pour la planification a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Bernard Angels, rapporteur, sur l'économie des dépenses publiques.

M. Bernard Angels, rapporteur , a indiqué que le volume du rapport reflétait l'importance de la place des dépenses publiques (47 % du PIB en zone euro et plus de 53 % en France), mais surtout la complexité des réalités qu'elles recouvrent.

Il a alors mentionné un premier constat avec l'absence de statistiques disponibles « sur étagère » pour effectuer des études économiques de fond sur les dépenses publiques qui contribue sans doute à la fragilité des opinions qui s'expriment en ce domaine.

Puis, il a jugé qu'en lien avec cette situation, les controverses sur les dépenses publiques étaient vives mais généralement stériles, la réponse précédant trop souvent la question en la matière.

Il a souhaité développer un peu un constat fondamental. D'un point de vue économique, les dépenses publiques recouvrent des objets si différenciés qu'il est factice et, finalement, trompeur de les ranger sous une catégorie unique.

Il n'y a pas « les dépenses publiques », il y a différentes sortes de dépenses publiques.

Pour ordonner cette diversité, le rapport s'articule autour de la distinction entre les dépenses publiques de production et celles de transferts, parmi lesquelles les dépenses de protection sociale ont une place essentielle.

Ces deux catégories de dépenses publiques correspondent, à des fonctions complètement différentes de l'État.

Les dépenses de production recouvrent les moyens nécessaires à l'État-producteur : santé, éducation, sécurité, défense... Elles financent les moyens de la production non marchande.

Les dépenses de transferts regroupent des subventions, la charge des intérêts de la dette publique, et surtout les dépenses d'assurances sociales, qui témoignent d'un rôle plus passif de l'État, celui de gestionnaire d'assurances.

M. Bernard Angels, rapporteur , a alors indiqué quelques ordres de grandeur.

Premièrement, quand on raisonne au niveau de l'Europe, on observe que la prédominance des dépenses de transferts dans le total des dépenses publiques est nette.

Dans la zone euro, environ 60 % des dépenses publiques sont consacrées à des transferts, et les seules dépenses d'assurances sociales mobilisent près de 46 % du total des dépenses publiques.

Moyennant quelques nuances, on peut retenir que les dépenses publiques de production et les dépenses publiques d'assurances sociales représentent en Europe des ordres de grandeur comparables soit à peu près un cinquième du PIB chacune.

Au niveau des 30 plus grands pays de l'OCDE, un même constat s'impose moyennant un équilibre un peu différent. Les transferts sont aussi légèrement majoritaires, mais la moyenne des dépenses publiques sociales est moins élevée (15 points de PIB environ contre 21,8 points en zone euro), ce qui explique pourquoi, globalement, le niveau des dépenses publiques dans le PIB est moins élevé dans le cadre de l'OCDE car, de leur côté, les dépenses publiques correspondant à la production non marchande y atteignent un niveau moyen comparable à la zone euro autour de 20 points de PIB.

Ce dernier constat tranche singulièrement, a-t-il souligné, avec l'idée répandue des handicaps que subirait l'Europe du fait du poids excessif de ses structures bureaucratiques.

Deuxièmement, l'État producteur l'est partout, surtout de fonctions non-régaliennes (la santé, l'enseignement, ...), si bien que les suggestions visant à « recentrer l'État sur ses fonctions régaliennes » apparaissent un peu irréelles.

Enfin, la structure moyenne de la fonction de production des administrations publiques comporte pour moitié (10 points de PIB) des salaires publics. Sous cet angle, on ne révèle pas de singularités fortes par rapport aux services privés. A ce propos, on peut incidemment relever que la masse salariale publique, qui a beaucoup moins augmenté qu'elle au cours des vingt ans écoulés, n'est qu'un peu supérieure à la masse salariale du secteur des services financiers.

M. Bernard Angels, rapporteur , a alors exposé les conclusions de la première partie de son rapport consacré à la question de savoir si les dépenses publiques influencent significativement l'utilisation globale des ressources économiques, indiquant qu'au terme d'un examen attentif, on pouvait répondre négativement à cette interrogation.

Certes, les niveaux de dépenses publiques dans les pays de l'OCDE sont très diversifiés.

Par exemple, l'écart entre la France et les États-Unis atteint 18,4 points de PIB.

On peut affiner cette observation en montrant que la diversité des niveaux de dépenses publiques varie selon qu'on considère les dépenses sociales ou les dépenses de production. Elle est plus forte pour les premières que pour les secondes.

La situation de la France illustre ce constat. Le niveau des dépenses publiques y est supérieur de 5,7 points de PIB par rapport à la moyenne de l'Europe des 25, soit 12,2 % de plus et ce sont les dépenses publiques de protection sociale (+ 2,9 points) qui expliquent la majeure partie du surplus de dépenses publiques que connaît la France.

En revanche, quand on compare la France à quelques grands pays de développement économique comparable, on observe que, si elle a une position singulière au regard de la protection sociale, elle se situe autour de la moyenne pour les dépenses publiques correspondant à la production non marchande.

Pour ces dépenses, le niveau des « consommations publiques », notion de comptabilité nationale qui regroupe les consommations intermédiaires (par exemple, l'électricité consommée) et les salaires publics n'est que très faiblement plus élevé en France que dans les autres pays développés.

En effet, dans ce domaine, si la France se caractérise par un niveau d'emplois publics relativement élevé, cette caractéristique ne trouve pas de prolongements à due proportion quand on observe les salaires publics. Le poids de l'emploi public dans l'emploi total, qui a été constant entre 1993 et 2002, est supérieur en France de 5,3 points à ce qu'il est dans des pays comparables. Mais, on relève que les écarts concernant les salaires publics sont nettement moins importants que ceux relatifs à l'emploi public. Le poids des salaires publics n'est, en France, supérieur que de 1,7 point de PIB par rapport à la moyenne de 17 grands pays de l'OCDE, ce qui signifie que le coût par agent public est plus bas en France qu'en moyenne.

M. Bernard Angels, rapporteur , a alors souligné que si les pays diffèrent beaucoup au regard du niveau des dépenses publiques dans le PIB, les différences dans l'utilisation globale des ressources économiques sont nettement moins marquées, celle-ci se révélant globalement plutôt homogène.

Il a alors précisé la méthode suivie pour arriver à cette observation. Les dépenses publiques sont réparties entre dix fonctions répertoriées par une nomenclature internationale et, pour mesurer le total des ressources économiques consacrées à ces fonctions, on ajoute aux dépenses publiques, quand les données disponibles le permettent, les dépenses privées, la partie des dépenses fiscales dont la compilation est disponible, et les effets de la fiscalité sur les revenus résultant du versement des dépenses publiques.

Dans le champ des dépenses sociales et pour quelques grands pays de l'OCDE, l'écart moyen à la moyenne passe de 4,8 (pour les seules dépenses publiques) à 3,8 points de PIB (pour la totalité des dépenses). Des pays situés très au-dessous de la moyenne sous l'angle des dépenses publiques à caractère social - les États-Unis (- 6,2 points de PIB), le Royaume-Uni (- 1,8 point de PIB) - se trouvent consacrer à la protection sociale des dépenses totales supérieures à la moyenne : États-Unis (+ 4,8 points de PIB), Royaume-Uni (+ 2,5 points de PIB), une fois les dépenses privées prises en compte.

Des observations analogues peuvent être faites dans le domaine de l'éducation. Globalement, la prise en compte des dépenses privées d'éducation égalise les situations.

Il faut ajouter que les données utilisées pour apprécier le niveau d'homogénéité des dépenses publiques ne sont pas exhaustives, ce qui accentue sans doute les écarts apparents. En effet, on ne tient compte ni des dépenses familiales, ni d'une partie des dépenses fiscales, ni des prélèvements sur le revenu national opérés à partir des patrimoines privés, toutes données qui semblent d'autant plus importantes que les couvertures publiques des risques sociaux sont moins développées.

M. Bernard Angels, rapporteur , a alors indiqué qu'au total, on était conduit à relever des phénomènes de vases communicants entre dépenses publiques et privées, dont les États-Unis offrent un exemple particulièrement illustratif. On y consacre 6 points de PIB de moins qu'en moyenne aux dépenses publiques de protection sociale et d'éducation mais 7,5 points de PIB de plus aux dépenses privées.

Pour les pays de l'OCDE, pour l'éducation et la protection sociale, on passe d'un écart moyen à la moyenne de 5,4 points de PIB à un écart de l'ordre de 2,7 points de PIB, ce qui représente des choix homogènes à 8 % près contre des différences de l'ordre de 20 % sur le front des seules dépenses publiques.

On peut en conclure que le niveau des dépenses publiques n'est pas un déterminant majeur de l'utilisation globale du revenu national. Sous cet angle, les différences résiduelles entre pays sont directement corrélées avec le niveau relatif de développement économique, qui ressort comme une variable essentielle.

Ces constats conduisent à dédramatiser et à préciser les enjeux d'une réduction des dépenses publiques.

D'un côté, la réduction de la place des dépenses publiques n'aurait pas, structurellement, d'incidence majeure sur l'allocation et l'orientation des richesses économiques. Mais, de l'autre, elle rendrait plus sensible la contrainte financière subie par certains ménages.

Les comparaisons internationales confirment l'existence d'une grande homogénéité des aspirations des agents économiques.

Mais, elles invitent aussi à estimer que les écarts dans les profils d'utilisation des richesses économiques que connaissent les pays également développés, pour marginaux qu'ils soient, témoignent, outre d'éléments de contexte, notamment démographiques (taux de chômage, proportion des personnes âgées ou des jeunes en formation...), du degré d'accès des plus démunis aux services et prestations publics.

Ainsi, si, malgré des niveaux très différents de dépenses publiques, l'utilisation globale du revenu est plutôt homogène, le degré de l'intervention publique semble répondre à des choix implicites ou voulus relatifs au niveau des inégalités.

M. Bernard Angels, rapporteur , a toutefois insisté pour que ces constats ne soient pas mal interprétés : l'équivalence globale des niveaux des ressources économiques allouées aux fonctions dans lesquelles se manifeste l'intervention publique ne dispense pas d'une élucidation systématique des écarts relatifs à chaque catégorie de dépense publique, le rapport relevant en ce domaine quelques singularités françaises.

M. Bernard Angels, rapporteur , a alors abordé la deuxième partie de son rapport consacrée à la question des liens entre dépenses publiques, croissance économique, pouvoir d'achat et bien-être.

Cette question est envisagée, d'une part, dans une perspective de court terme et, d'autre part, d'un point de vue structurel.

A court terme, la question est de savoir si une baisse des dépenses publiques exerce des effets favorables sur le rythme de la croissance économique. Plusieurs arguments théoriques sont avancés en ce sens, mais les études statistiques et empiriques n'en confirment généralement pas la validité.

Dans une perspective structurelle, c'est l'idée que les dépenses publiques exerceraient des effets négatifs sur la croissance économique, le pouvoir d'achat et le bien-être qui doit être examinée. Elle passe par deux arguments théoriques principaux et l'utilisation d'une série d'indicateurs couramment employés mais trompeurs.

Les arguments théoriques sont l'impact a priori défavorable des dépenses publiques sur l'épargne, donc sur l'investissement et in fine sur la croissance économique et leurs effets de distorsion, notamment du fait des incidences « désincitatives » liées à leurs propriétés redistributives.

Quant à eux, les indicateurs sont relatifs à l'appréciation de l'investissement des administrations publiques, du pouvoir d'achat des ménages (le revenu disponible brut ; le « coin fiscalo-social »), et des richesses créées (le produit intérieur brut - PIB).

Les arguments théoriques selon lesquels les dépenses publiques réduiraient structurellement le rythme de la croissance économique sont invérifiables concrètement.

L'argument de l'impact défavorable des dépenses publiques sur l'épargne et l'investissement peut être réfuté à partir de considérations, les unes empiriques, les autres théoriques.

Empiriquement, on note l'absence de corrélation négative entre dépenses publiques et taux d'épargne.

En 2004, les États-Unis sont le pays où le taux d'épargne nationale est le plus faible (13 points de PIB, soit 6,1 point de moins qu'en France) alors qu'ils appartiennent au groupe des pays où les dépenses publiques sont parmi les moins développées. La Suède où le ratio dépenses publiques/PIB excède de 21,6 points le même ratio en Australie, dispose d'une épargne nationale supérieure de 3 points.

Sous un angle plus théorique, les approches modernes de la croissance économique (les théories de la croissance endogène) conduisent de plus en plus à lier le rythme de la productivité globale des facteurs (PGF), variable déterminante pour le rythme de la croissance, à plusieurs catégories de grandeurs économiques, qui ont pour particularité essentielle de relever le plus souvent de financements publics (la recherche, l'éducation, la santé...).

Sans doute, faut-il reconnaître que les études empiriques conduites pour vérifier cette théorie donnent des résultats contradictoires. Mais, les performances de croissance économique réalisées par des pays où le niveau des dépenses publiques correspondant à la production non marchande sont supérieures à la moyenne (les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, le Canada) tendent à donner un certain poids à cette approche, qui inspire directement la fameuse « Stratégie de Lisbonne » de l'Union européenne.

Le deuxième canal théorique de transmission négative des dépenses publiques sur la croissance viendrait de leurs propriétés « désincitatives ». Sont particulièrement visées les dépenses sociales.

Cette approche n'est pas confirmée dans sa généralité.

Il faut d'abord rappeler que le niveau des dépenses publiques sociales ne détermine pas celui des dépenses sociales totales si bien qu'à supposer que les premières soient « désincitatives », leur réduction pourrait être sans efficacité, les secondes prenant le relais.

Par ailleurs, les indicateurs pertinents ne confirment pas cette relation négative. Par exemple, quand on croise, d'un côté, le niveau de la protection sociale publique et, de l'autre, l'écart entre la croissance observée et la croissance prévisible, l'existence d'une relation univoque entre ces grandeurs n'est pas observable.

De même, les taux d'activité qui mesurent la participation au marché du travail ne sont pas corrélés avec le niveau des dépenses publiques sociales.

Au total, rien ne vient étayer l'affirmation globale que le niveau des dépenses publiques réduirait en soi les opportunités de croissance. On peut même renverser cette opinion.

Plusieurs dépenses sociales, en plus de réduire les risques de pauvreté, contribuent à entretenir le capital humain (les dépenses de santé, les dépenses contribuant à lutter contre l'exclusion sociale qui implique aussi exclusion du marché du travail...) ou à le libérer (les dépenses de garde des enfants).

La corrélation entre le niveau global des dépenses sociales (publiques et privées) et le niveau de richesse est positive.

Par ailleurs, dans une économie de plus en plus soumise à des chocs, le niveau des dépenses publiques sociales peut être déterminant pour les absorber dans des conditions sociales mais aussi économiques favorables. Par exemple, la « flexisécurité » se traduit par un niveau comparativement élevé de dépenses publiques dans le domaine de la politique du marché du travail mais réduit les coûts d'ajustement économique.

Il faut encore souligner que la contribution des dépenses publiques à la richesse économique est systématiquement sous-estimée par les indicateurs censés mesurer la production et le pouvoir d'achat.

La mise en évidence d'un impact défavorable des dépenses publiques sur le bien-être repose, outre sur l'affirmation indémontrable que les dépenses publiques freinent, en elles-mêmes, la croissance, sur des indicateurs, qui donnent une idée fausse de la réalité en négligeant la contribution des biens et services collectifs au bien-être.

Tel est d'abord le cas de deux indicateurs d'usage courant pour mesurer le pouvoir d'achat des ménages : le revenu disponible brut des ménages d'un côté, le coin fiscalo-social de l'autre.

Dans les deux cas, le problème est le même : ces indicateurs sont construits à partir d'un revenu des ménages amputé des prélèvements destinés à financer des services collectifs dont la contrepartie n'est pas reprise exhaustivement dans les ressources qui servent à mesurer leur richesse. Cette convention statistique conduit notamment à biaiser complètement les comparaisons de pouvoir d'achat entre des pays où les services publics sont inégalement développés au détriment de ceux où ils le sont plus particulièrement.

Mais, les problèmes de mesure de la contribution des dépenses publiques au bien-être s'étendent au-delà, jusqu'à la mesure du produit intérieur brut (le PIB). En effet, la production non marchande est estimée à son coût de production et non en fonction des services réellement rendus.

Enfin, il conviendrait de requalifier un grand nombre de dépenses publiques, qui sont considérées sur la base de principes comptables comme des dépenses correspondant à des consommations publiques, alors que, sur le plan économique, elles sont des dépenses d'investissement.

M. Bernard Angels, rapporteur , a alors exposé les conclusions correspondant à la troisième question abordée dans le rapport, celle relative à la redistributivité des dépenses publiques. En ce domaine, un premier constat est qu'il existe une forte corrélation positive entre le niveau des dépenses publiques et la réduction des inégalités monétaires.

Le niveau des prestations sociales publiques et le taux de pauvreté, qui est l'expression la plus critique des inégalités, sont corrélés négativement.

On peut élargir ce constat d'un lien positif entre l'effet redistributif des dépenses publiques et leur niveau, aux dépenses de retraite, aux dépenses de santé et aux dépenses d'éducation.

Ce premier constat invite à une deuxième constatation : la redistributivité monétaire des dépenses publiques paraît dépendre étroitement de leur universalité, tandis que, paradoxalement, les pays dans lesquels les dépenses publiques sont ciblées sur les populations en difficulté corrigent peu les inégalités.

Dans ce contexte, il faut relever un troisième constat : la redistributivité monétaire des dépenses publiques varie selon la catégorie envisagée.

En France, les prestations sociales en espèces hors pensions exercent une redistribution assez importante, au profit des 20 % les plus pauvres.

Les dépenses publiques de retraite sont également redistributives, mais cette propriété est plus restreinte et limitée aux trois premiers déciles de revenu.

Les dépenses publiques de santé sont également redistributives mais, là aussi, le gain de niveau de vie qu'elle procure est concentré, étant plus élevé en valeur absolue pour les 20 % de ménages les plus pauvres.

Quant aux dépenses publiques d'éducation, elles exercent une redistribution au profit des familles appartenant aux premiers déciles de revenu, qui est particulièrement forte pour les familles du premier décile.

Au total, même si les dépenses concernées ne totalisent que les deux tiers des dépenses publiques, on peut conclure que les dépenses publiques exercent globalement une redistribution monétaire mais qui ne « profite » vraiment qu'aux 20 % des ménages les plus démunis.

Toutefois, ce constat de redistributivité monétaire des dépenses publiques doit être complété par d'autres considérations qui conduisent à prendre une plus juste mesure des propriétés redistributives des dépenses publiques.

D'abord, une caractéristique essentielle des dépenses publiques en France est qu'elles profitent à tout le monde, constat trop souvent passé sous silence. Même si la répartition des dépenses publiques est un peu inégalitaire, au profit des plus démunis, la distance entre ce qui revient aux plus pauvres et aux plus riches est faible. Par exemple, les familles du premier décile de revenu ne profitent que de 39,7 % de dépenses publiques d'éducation de plus que les familles les plus riches et celles-ci ont les mêmes avantages que celles disposant du revenu médian (le revenu au-dessous et au-dessus duquel se situent les deux moitiés de la population), données à mettre en relation avec des inégalités de revenus primaires allant du simple au triple.

Ensuite, la redistributivité monétaire qu'on constate n'est souvent que la contrepartie de situations inverses de « handicaps » relatifs, non monétaires, qui tout à la fois expliquent la situation de revenus des personnes et le niveau des dépenses publiques qui leur sont destinées.

Par exemple, pour les dépenses de santé, la concentration des dépenses publiques au profit de plus pauvres s'explique en grande partie par le fait que les plus pauvres sont moins bien portants que les autres.

Ainsi, la redistributivité monétaire égalise moins les niveaux de vie qu'elle ne compense des handicaps qui, sans l'intervention publique, se traduiraient par un fort creusement des inégalités et une augmentation de la pauvreté.

Enfin, le diagnostic sur la redistributivité monétaire des dépenses publiques peut varier du tout au tout en fonction du point de vue adopté.

Pour les dépenses publiques de retraite, leur redistributivité est avérée quand on la mesure au niveau des individus mais elle est presque nulle quand on l'apprécie au niveau du couple puisque la première résulte encore beaucoup de la situation des femmes.

Pour les dépenses publiques de santé, le constat de redistributivité doit faire place à un constat inverse d'anti-redistributivité quand on tient compte de l'extension limitée de la couverture publique. Les restes à charge des ménages représentent 5,4 % du revenu pour le premier décile et 0,8 % pour le décile de revenu le plus élevé, données estimées avant la mise en oeuvre des franchises médicales.

Quant aux dépenses publiques d'éducation, si elles exercent un effet redistributif entre familles riches et pauvres, cet effet est beaucoup moins net au niveau qui compte vraiment, celui des enfants.

La dépense par enfant scolarisable des familles pauvres est inférieure de 800 euros par an à celle des familles les plus riches.

La redistributivité des dépenses publiques doit, enfin, être appréciée d'un point de vue plus qualitatif.

En liaison avec les caractéristiques de la redistributivité quantitative, on peut estimer que les dépenses publiques préviennent des processus de dégradation des situations individuelles (la pauvreté, l'absence d'éducation, le défaut d'accès aux soins...) qui se traduirait par une baisse des niveaux de vie des populations les plus « fragiles ». Mais, elles contribuent insuffisamment à l'égalisation des chances et encore plus des conditions. Les renoncements aux soins, de même que les états de santé restent fortement corrélés à la situation de revenus ; l'éducation de masse ne rime pas avec le diplôme pour tous et encore moins avec l'égalisation des chances de suivre les mêmes parcours scolaires d'excellence.

Ces constats ne préjugent pas des solutions qu'il faudrait adopter pour prolonger sur un plan qualitatif l'apport des dépenses publiques sous l'angle de la redistributivité quantitative, mais ils représentent autant de défis pour améliorer l'efficacité des dépenses publiques a estimé pour conclure M. Bernard Angels, rapporteur .

M. Joël Bourdin, président, a remercié le rapporteur pour l'importance de son travail, estimant qu'un point de vue international permettait de mieux appréhender les singularités de la situation de la France.

Il s'est associé aux analyses faisant ressortir la contribution des dépenses publiques à la croissance économique, estimant toutefois que l'essentiel en ce domaine était de trouver le point le plus proche de l'optimum, ce qui implique de redoubler les efforts d'évaluation de l'efficacité des politiques publiques. Evoquant l'effet des dépenses publiques sur l'épargne, il s'est demandé s'il ne fallait pas dépasser les constats du rapport pour tenir compte des variables locales susceptibles d'influencer le niveau des taux d'épargne nationaux.

Enfin, il a jugé de la plus haute importance de mesurer la contribution des dépenses publiques à la réduction des inégalités mais aussi de définir jusqu'à quel point elle doit s'exercer.

M. Bernard Angels, rapporteur , a estimé que le champ de l'éducation secondaire offrait un domaine particulièrement stratégique à l'évaluation des dépenses publiques. Il a insisté sur la démarche du rapport qui n'est pas de prescrire des choix politiques mais d'en éclairer les tenants et aboutissants.

Concernant la contribution des dépenses publiques à la réduction des inégalités, il a souligné que si elle était tangible, elle n'empêchait pas de constater que les dépenses publiques se traduisaient par des bénéfices assez également répartis entre les différentes catégories de revenu.

M. Joseph Kergueris a jugé salutaire la démarche du rapport estimant que sur des questions aussi importantes, il fallait accroître l'expertise dans un esprit général de modestie. Il a relevé l'intérêt du diagnostic sur les propriétés redistributives des dépenses publiques, notamment en ce qu'il rompt avec l'idée très répandue selon laquelle les classes moyennes ne « profiteraient » pas des interventions publiques.

La délégation a alors donné un avis favorable unanime à la publication du rapport d'information sur l'économie des dépenses publiques, de M. Bernard Angels, rapporteur.

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