II. ... À LA VÉRIFICATION EMPIRIQUE IMPOSSIBLE

La vérification empirique des nombreux présupposés nécessaires à la théorie des effets de relance des politiques budgétaires restrictives ne peut être apportée :

- rares sont les occurrences où de tels enchaînements se sont produits dans la réalité ;

- et les travaux disponibles ne permettent pas, le plus souvent, d'identifier avec certitude les forces à l'oeuvre lorsque les restrictions budgétaires ont été accompagnées d'une relance de l'activité économique.

En effet, l'existence d'épisodes où, malgré des réductions des dépenses publiques, la croissance économique s'est accélérée (ou du moins a résisté) ne suffit pas à démonter qu'il existe un lien de causalité entre ces deux phénomènes. Dans la plupart des cas, une variable tierce explique la corrélation .

A. DES ESTIMATIONS ÉCONOMÉTRIQUES PEU CONCLUANTES

Plusieurs études économétriques ont été consacrées à des cas de consolidation budgétaire afin d'identifier d'éventuels effets anti-keynésiens d'accélération de la croissance économique.

- Hjelm (2002) a analysé les impacts des contractions (expansions) budgétaires sur la consommation privée . L'auteur estime une fonction de consommation basée sur un panel de 19 pays de l'OCDE (1970-1977). Hjelm trouve que les contractions budgétaires génèrent des anticipations défavorables sur l'évolution du revenu futur, tandis que des expansions n'ont aucun effet restrictif sur la consommation (et parfois un effet positif). Toutes choses égales par ailleurs, la croissance de la consommation est plus faible dans les périodes de contractions budgétaires. Hjelm estime pourtant que la part des consommateurs contraints financièrement est très basse : entre 10 et 14 %, ce qui devrait induire des effets non keynésiens. Mais, selon ses résultats économétriques, les ménages non contraints financièrement n'anticipent pas la contrainte budgétaire de l'État, si bien qu'ils n'escomptent pas de baisses futures de prélèvements.

Enfin, l'auteur estime que les mouvements de taux de change jouent un rôle important dans les anticipations des consommateurs ce qui expliquerait les épisodes danois et irlandais souvent cités comme des exemples de consolidations budgétaires expansionnistes.

- Plus généralement, les modèles macroéconométriques ne comportent pas de relation de court terme anti-keynésienne , même lorsqu'ils comportent des paramètres susceptibles d'affecter l'efficacité des effets de relance des dépenses publiques 55 ( * ) . Mais, les effets d'une augmentation des dépenses publiques sont nuancés, comme le montre le tableau ci-dessous qui récapitule les effets sur la croissance économique à 1 an d'une augmentation des dépenses publiques égale à 1 point de PIB respectivement dans la zone euro et en France.

IMPACT LA PREMIÈRE ANNÉE D'UNE HAUSSE DE 1 %
DU PIB DE LA CONSOMMATION PUBLIQUE DURANT 1 AN 1 - (EN POINTS DE PIB)

1 AWM est un modèle élaboré à la Banque centrale européenne ; MULTIMOD est le modèle macroéconométrique du Fonds monétaire international ; NIGEM a été développé par le National Institute of Economic and Social Research (NIESR) et QUEST est le modèle de la Commission européenne.

Source : Wallis (2004)

Dans tous les cas, à une augmentation des dépenses publiques correspond une augmentation de la production. Mais celle-ci est plus ou moins importante selon, d'abord, qu'elle intervient dans un ensemble économique ou pour un seul pays (ici la France) de cet ensemble et ensuite, selon le modèle employé.

L'effet d'une augmentation des dépenses publiques dans l'ensemble de la zone euro est plus favorable à la croissance que lorsque seule la France est concernée . Ce résultat est conforme à la théorie puisque, lorsqu'un seul pays est concerné, la relance par les dépenses publiques 56 ( * ) est en partie absorbée par ses partenaires commerciaux via une hausse induite des importations qui réduit leur effet sur la production nationale.

En outre, les modèles comportent des évaluations assez différentes du multiplicateur des dépenses publiques sur le PIB .

Pour la France, les estimations vont d'un multiplicateur inférieur à l'unité (NIGEM et QUEST) à un multiplicateur de 1,26. Lorsque le multiplicateur est inférieur à l'unité (mais positif), cela signifie que le PIB est augmenté d'une valeur inférieure à celle du supplément de dépenses publiques. Ainsi, avec le multiplicateur de QUEST (modèle de la Commission européenne) qui atteint 0,87, on associe à un supplément de dépenses publiques de 1 point de PIB une augmentation du PIB de 0,87 point de PIB seulement.

Dans les modèles où l'impact des dépenses publiques sur la croissance économique est inférieur à leur montant, les effets directs des dépenses publiques sur la production sont réduits un peu (QUEST) ou beaucoup (NIGEM) par la dégradation du commerce extérieur et ils ne sont pas amplifiés par les effets indirects liés à une relance de la consommation ou de l'investissement 57 ( * ) .

PROPRIÉTÉS DE QUELQUES MODÈLES ET EFFETS
SUR L'APPRÉCIATION DE L'EFFICACITÉ DES DÉPENSES PUBLIQUES
EN TERMES DE STABILISATION CONJONCTURELLE

Dans les modèles sous revue, la relative rigidité de la demande domestique face à l'augmentation des dépenses publiques s'explique par les spécifications des équations de consommation. Dans ces modèles, un choc de revenu résultant d'une hausse des dépenses publiques est considéré comme transitoire . Comme les ménages consomment en fonction de leur « revenu permanent », c'est-à-dire de l'idée qu'ils se font de leur revenu structurel et de son évolution, des chocs transitoires de revenu n'ont aucun effet sur leur consommation. Seule leur épargne en est affectée, à la hausse.

Les effets à long terme d'une augmentation des dépenses tels que les décrivent les modèles macroéconométriques sont encore moins favorables .

A terme de cinq ans , les effets sont souvent, au mieux, nuls 58 ( * ) .

EFFET À LONG TERME SUR LE PIB,
D'UNE HAUSSE PENDANT UNE ANNÉE DE CONSOMMATION PUBLIQUE (1 % DU PIB)

Modèle

Hypothèses monétaires

Allemagne

France

QUEST
(Commission européenne)

1. Pas de réponse des taux d'intérêt
2. Cible du niveau des prix

0,0
0,0

0,0
0,0

MULTIMOD (FMI)

Taux d'intérêt nominaux fixés pendant 1 an, après cible d'inflation

- 0,2

- 0,2

NIGEM
(NIESR)

Taux d'intérêt nominaux fixés pendant 1 an, après cible d'inflation

0,0

0,0

INTERLINK (OCDE)

Taux de change nominal fixe,
taux d'intérêt fixe

- 0,3

0,2

Source : Hemming, Kell et Mahfouz (2002)

Et, dans plusieurs modèles et à plus long terme (10 ans), les résultats sont encore moins favorables : le niveau du PIB est inférieur à ce qu'il aurait été sans relance par les dépenses publiques .

A contrario , la baisse des dépenses publiques n'a pas les effets récessifs attendus.

Ainsi, dans le modèle QUEST de la Commission européenne, une baisse permanente des dépenses publiques de 1 point de PIB, qui, à court terme, provoque des effets dépressifs, est presque neutre à l'horizon de 5 ans. Elle devient favorable à la croissance au-delà, se traduisant par un supplément de production entre 0,19 point de PIB si elle prend la forme d'une réduction de transferts aux ménages, 0,41 point de PIB en cas de réduction des achats publics et 0,62 point de PIB lorsque la diminution des dépenses publiques provient d'une baisse des emplois publics.

EFFET D'UNE BAISSE PERMANENTE DES DÉPENSES PUBLIQUES DE 1 % DU PIB
SELON QUEST (EN POINTS DE PIB)

* Impact d'un choc temporaire d'une année.
Source : Giudice et al. (2003)

Toutefois, d'autres modèles macroéconomiques , qui ne comportent pas les mêmes restrictions, donnent des estimations plus conformes aux conclusions théoriques keynésiennes .

HAUSSE PERMANENTE DE 1 POINT DE PIB DE LA CONSOMMATION PUBLIQUE
DANS LES SERVICES DANS LE MODÈLE E-MOD

(Ecart en % au compte central)

Source : OFCE

Ainsi, dans le modèle e-mod de l'OFCE, une augmentation permanente de 1 point de PIB du niveau de la consommation publique augmente la production d'un montant supérieur au choc des dépenses. Elle exerce un effet positif sur la consommation et l'investissement que la dégradation du commerce extérieur limite sans l'effacer.

Toute la question est alors de savoir quelles sont les spécifications des modèles les plus pertinentes.

Les travaux économétriques précités invitent à considérer avec une certaine précaution les équations de consommation qui neutralisent l'efficacité de la politique budgétaire en se fondant sur la perception par les ménages d'une future restriction budgétaire. Cette anticipation semble incertaine, d'autant qu'il est possible de montrer que, dans sa généralité, elle est erronée.

Les constatations empiriques vont dans le même sens.

* 55 Voir pour une présentation technique de ces paramètres « La coordination des politiques économiques en Europe. Le malaise avant la crise ? », MM. Joël Bourdin et Yvon Collin. Rapport n° 113 du 5 décembre 2007. Délégation du Sénat pour la planification.

* 56 Ou d'ailleurs par n'importe quelle autre composante de la demande qu'elle soit publique ou privée.

* 57 Même si dans NIGEM, on relève une accélération de l'investissement.

* 58 Ils peuvent être négatifs lorsqu'à la suite d'une élévation du rythme d'inflation causée par l'augmentation des dépenses publiques, les taux d'intérêt se tendent.

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