B. QUEL IMPACT D'UNE RÉDUCTION DES TRANSFERTS SOCIAUX ?

Il existe sans doute quelques marges de manoeuvre mais dont les conséquences de l'exploitation doivent être mesurées avec clarté

1. Des performances macroéconomiques indépendantes du niveau de la protection sociale publique ?

Le graphique ci-dessous montre qu'il n'existe pas de corrélation entre le niveau général des dépenses de protection sociale et les performances économiques.

PERFORMANCE ÉCONOMIQUE 1 ET DÉPENSES PUBLIQUES DE PROTECTION SOCIALE

1 Écart entre le taux de croissance observé et le taux de croissance potentiel

Source : Revue de l'OFCE n° 104. Février 2008.

Avec des dépenses sociales supérieures de plus de 15 points à l'Espagne et de plus de 12 points par rapport au Royaume-Uni, la Suède réussit une performance proche de ces pays.

L'Italie, où les dépenses sociales sont plus basses qu'en France, est moins performante économiquement.

2. Des points de vue empiriques qui globalement ne confirment pas l'effet désincitatif des dépenses sociales

On associe théoriquement un haut niveau de protection sociale à des effets désincitatifs . Les garanties sociales permettraient de subsister sans travailler, donc sans participer à la production.

L'allocation du revenu national à des dépenses sociales suscite, de tradition, une polémique sur les effets de telles mesures sur l'offre de travail :

- pour les uns, les dépenses sociales ont des effets favorables en ce qu'elles permettent d'améliorer la qualité du travail offert ;

- pour les autres, elles comportent des incitations à l'oisiveté et réduisent indûment l'offre de travail.

Posée en des termes si généraux et tranchés, la discussion n'offre guère de perspectives de prolongements pratiques .

L'allocation d'un avantage indépendant de tout travail confère à son bénéficiaire le statut de « rentier » en ce sens que son revenu découle de l'exercice d'un droit qui n'est pas directement lié au travail. Les dépenses sociales sont la contrepartie de tels droits. Ainsi, par nature, elles permettent de dissocier le revenu de la fourniture d'un travail. Il faut relever que les dépenses sociales ne sont pas les seules modalités d'allocation du revenu national à présenter cette caractéristique. L'exercice de tout droit de propriété , autre que celui que les individus ont sur leur travail, donne lieu à la perception d'avantages économiques indépendamment de leur travail. Ainsi en va-t-il du droit de propriété sur un capital.

Même s'il existe des différences de nature entre « droits de propriété » et « droits sociaux », cette observation ne doit pas être négligée puisqu'il existe des liens entre ces deux types de droits. Tout comme les droits de propriété, les droits sociaux sont une composante du patrimoine des agents économiques qui les détiennent . Ces deux catégories de droits , qui sont d'ailleurs parfois imbriqués dans les organisations sociales nationales, permettent de percevoir une fraction du produit intérieur brut (voire du produit mondial lorsque ces droits portent sur des actifs situés à l'étranger).

Ces deux catégories de droits sont parfois conditionnées de façon similaire . L'acquisition d'un droit de propriété peut supposer une accumulation (l'épargne) comme pour les droits sociaux contributifs (les cotisations). Inversement, la solidarité , le plus souvent intergénérationnelle (l'héritage) pour les droits de propriété, et plutôt intragénérationnelle pour les droits sociaux, peut être à leur origine .

Les conditions de constitution des droits sociaux diffèrent cependant souvent de celles des droits de propriété par les limites temporelles qui leur sont fixées (les droits sociaux peuvent être constitués pour une période limitée) et par l'exigence fréquente de la survenance d'une situation de fait extérieure à la volonté de leurs titulaires . En particulier, hors les droits à pension, les droits sociaux sont la plupart conditionnés au constat d'une impossibilité pour leur titulaire de percevoir tout revenu (chômage, maladie...) ou un revenu décent (complément de revenu, famille...) à raison de sa situation de fait au regard du marché du travail.

* Les données microéconomiques disponibles n'apportent pas de confirmation globale de l'approche théorique selon laquelle la redistribution serait désincitative.

- S'agissant des taux d'activité , c'est-à-dire de la part de la population en âge de travailler qui, soit dotée d'un emploi soit chômeuse, participe au marché du travail, ils semblent sans lien évident avec le niveau relatif des dépenses sociales.

TAUX D'ACTIVITÉ (2005)

Pour les hommes âgés de 25 à 54 ans, les taux d'activité les plus élevés se constatent dans les pays dits du « modèle continental » où le niveau des dépenses publiques est relativement élevé alors que c'est dans les pays du « modèle libéral » qu'on observe les taux d'activité les plus bas.

Pour les femmes, de mêmes constats ressortent du tableau avec, en particulier, un taux d'activité maximal dans les pays scandinaves où le niveau des dépenses sociales est le plus élevé.

C'est encore dans le « modèle scandinave » que les taux d'activité sont les plus importants pour les personnes de 55 à 64 ans, tandis que c'est dans les pays du « modèle méditerranéen » où, pourtant, les dépenses publiques sociales sont les plus faibles que le taux d'activité de cette fraction de la population est le plus modeste.

- S'agissant des taux d'emploi , c'est-à-dire de la fraction de la population en âge de travailler qui est effectivement occupée, les constats relatifs aux taux d'activité doivent être nuancés.

TAUX D'EMPLOI ET TAUX DE CHÔMAGE EN EUROPE

(en %)

Taux d'emploi 2005

Taux de chômage

Équivalent temps plein

2006

Modèle continental

65,3

60,2

8,1

Allemagne

65,4

60,4

8,4

Autriche

68,6

63,7

4,8

Belgique

61,1

57,1

8,2

France

63,1

59,7

9,4

Pays-Bas

73,2

60,9

3,9

Modèle méditerranéen

60,4

58,4

7,7

Espagne

63,3

60,9

8,6

Grèce

60,1

59,2

8,9

Italie

57,6

55,5

6,8

Portugal

67,5

65,6

7,7

Modèle scandinave

72,4

67,7

6,3

Danemark

75,9

69,4

3,9

Finlande

68,4

65,3

7,7

Suède

72,5

68,0

7,0

Modèle libéral

71,4

65,3

5,2

Irlande

67,6

64,6

4,4

Royaume-Uni

71,7

65,4

5,3

États-Unis

71,5

67,0

5,0

Sources : Eurostat, OCDE.

L'importance relative du taux d'activité est « payante » dans les pays scandinaves qui ont le plus haut niveau de taux d'emploi, mais elle a pour revers un niveau du taux du chômage qui n'est pas le meilleur de l'échantillon. Certaines personnes participant au marché du travail ne trouvent pas d'emploi dans un contexte marqué par une forte participation relative à ce marché.

Au Royaume-Uni et en Irlande où les taux d'activité ne sont pas particulièrement importants, les taux d'emploi sont plus satisfaisants du fait d'un taux de chômage peu élevé qui rapproche ces pays du plein emploi. C'est la situation inverse qui prévaut dans les pays du « modèle continental » et du « modèle méditerranéen ».

Mais, ces derniers résultats, à l'inverse de ceux relatifs au taux d'activité, qui mesurent directement les incitations en rendant compte de la participation au marché du travail, semblent difficilement pouvoir être attribués à un effet défavorable des dépenses publiques sociales.

En premier lieu, les bonnes performances en ce domaine sont partagées par des pays (scandinaves et anglo-saxons) où les dépenses publiques sociales sont très inégalement développées. Le même constat vaut pour les pays connaissant de mauvaises performances.

En second lieu, et surtout, il faudrait pour énoncer l'existence d'un lien entre dépenses publiques sociales, taux d'emploi et taux de chômage, imaginer que les personnes se présentant sur le marché du travail à la recherche d'un emploi pourraient, malgré le fait que cette démarche volontaire est plus fréquente dans les « pays continentaux », davantage préférer le chômage à l'emploi dans ces mêmes pays et, ce, dans des proportions significatives.

Rien ne vient accréditer cette supposition, les taux de chômage n'étant d'ailleurs jamais expliqués par ce soupçon dans les études économiques qui mettent, au contraire, en évidence leur sensibilité à des variables économiques lourdes comme le rythme de la croissance économique.

Au demeurant, le chômage varie considérablement en fonction du cycle alors que si une préférence pour le chômage devait exister, elle serait vraisemblablement structurelle .

De fait, il existerait bien une composante structurelle dans le chômage, mais celle-ci, dont l'évaluation est imprécise, voire conventionnelle, ne parait pas liée au niveau de protection sociale. Au demeurant, il est remarquable d'observer que des pays où la protection sociale individuelle, appréciée en parités de pouvoir d'achat, est comparativement élevée, se voient attribuer par les économistes des taux de chômage structurel plus faibles que d'autres, qui se trouvent dans une position moins favorable sous l'angle de la protection sociale individuelle.

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