B. LE « COIN FISCALO-SOCIAL », QUELLE SIGNIFICATION ?

Les malfaçons statistiques du revenu disponible se retrouvent amplifiées, dans l'indicateur dénommé « coin fiscalo-social » , qui est souvent utilisé dans les débats sur les incidences de l'intervention publique sur le pouvoir d'achat pour montrer que celle-ci réduit le pouvoir d'achat des ménages.

Cet indicateur ôte au revenu des ménages l'ensemble des prélèvements qu'ils acquittent mais fait l'impasse sur les transferts en nature et en espèces dont ils bénéficient et qui en sont la contrepartie .

Or, une mise en regard des « coins fiscalo-sociaux » bruts par pays et de l'équivalent-revenu des services publics que les prélèvements obligatoires sur les salaires financent, en tout ou partie, conduit à relativiser la signification des « coins fiscalo-sociaux » .

TAUX DE RESDISTRIBUTION APPARENTS DU « COIN FISCALO-SOCIAL »
PAR LES SERVICES PUBLICS INDIVIDUALISABLES

Pays

Coin fiscalo-social 1

Transferts en nature 2

Ecarts

(A)

(B)

B/A 3

A-B 4

Danemark

41,4

45

108,7

- 3,6

Suède

47,9

40

83,5

+ 7,9

Norvège

37,3

38

101,9

- 0,7

Finlande

44,6

27

60,5

+ 17,6

Canada

31,6

22

69,6

+ 9,6

France

50,1

22

43,9

+ 28,1

Nouvelle-Zélande

20,6

21,5

104,4

_ 0,9

Irlande

25,7

21

81,7

+ 4,7

Pays-Bas

38,6

21

54,4

+ 17,6

Allemagne

51,8

21

40,5

+ 30,8

Belgique

55,4

20

36,1

+ 35,4

Suisse

47,9

20

41,7

+ 27,9

Luxembourg

35,3

20

56,7

+ 15,3

Australie

28,3

19,8

70

+ 8,5

Autriche

47,4

19,7

41,6

+ 27,7

Portugal

36,2

19,5

53,9

+ 16,7

Royaume-Uni

33,5

19

56,7

+ 14,5

Japon

27,7

18,2

65,7

+ 9,5

Espagne

39

18

46,1

+ 2,1

Italie

45,4

18

39,6

+ 27,4

États-Unis

29,1

17

58,4

+ 12,1

_______________

1 Impôt sur le revenu et cotisations sociales en pourcentage du coût salarial

2 Équivalent en pourcentage du revenu disponible

3 En pourcentage

4 En points

Dans le tableau ci-dessus, on met en regard du coin fiscalo-social la contrepartie des services publics individualisables en pourcentage du revenu disponible brut. La troisième colonne précise le rapport entre cette dernière valeur et celle des prélèvements pris en compte pour calculer les coins fiscalo-sociaux pour aboutir à un « taux de redistribution apparent » de ce dernier par les services publics dont la consommation est individualisable.

Le « taux apparent » de redistribution des prélèvements sur les ménages par quelques-unes des contreparties non prises en compte dans leur revenu dans cet indicateur (les seuls services publics dont la consommation est individualisable) excède systématiquement 40 %, sauf en Italie (39,6 %) et en Belgique (36,1 %).

Dans les pays scandinaves, l'effet revenu des services publics excède l'impact des prélèvements sur les salaires.

En France, il représente 43,9 % et, en Allemagne, 40,5 % du « coin fiscalo-social ».

Cette correction change en soi considérablement l'appréciation à laquelle la seule considération des coins fiscalo-sociaux conduit quant aux effets de l'intervention publique sur le niveau de vie des ménages.

Mais, les « taux apparents » de redistribution mentionnés dans la troisième colonne du tableau ci-dessus ne rendent pas encore complètement compte de la redistribution opérée par les dépenses publiques et il faut les corriger pour prendre l'exacte mesure de la redistribution aux ménages apportée par l'intervention publique et mesurer ainsi la portée des erreurs d'appréciation auxquelles conduisent certains indicateurs.

Les services publics individualisables bénéficient d'autres sources de financement (ce qui a tendance à exagérer la valeur du taux de redistribution), mais surtout les prélèvements qui composent le « coin » servent à financer d'autres interventions publiques que celles que recouvrent les transferts en nature ici comptabilisés : les transferts monétaires , les autres biens et services publics (sûreté, défense, environnement, administration générale...).

Il est, par conséquent, normal - compte tenu de leur méthode de construction - que dans les données du tableau ci-dessus, les transferts en nature ne couvrent qu'une partie des coins fiscalo-sociaux , d'autant que l'assiette du « coin fiscalo-social » est moins large que celle utilisée pour mesurer l'importance relative des transferts en nature qui est, elle, constituée de l'ensemble des revenus et non des seuls revenus salariaux.

En réalité, si on ajoutait aux revenus des ménages pris en compte pour calculer cet indicateur la totalité des avantages correspondant aux prélèvements déduits de leurs revenus salariaux, le prétendu coin fiscalo-social s'inverserait.

En effet, les prélèvements sur les revenus salariaux des ménages ne financent qu'une fraction des bénéfices publics en nature et en espèces qui leur sont attribués.

Au total, le coin fiscalo-social , contrairement à ce qui est trop souvent affirmé, ne rend nullement compte d'un quelconque effet de l'intervention publique sur le pouvoir d'achat des ménages.

Tout au plus, peut-on le considérer comme un indicateur du niveau relatif de la contribution des salariés au financement de ressources collectives, dont ils sont pour une part largement majoritaire, les bénéficiaires.

Il reste au fond une seule question . Si on constate, au niveau individuel, qu'il n'existe pas de correspondance entre les prélèvements subis et les avantages financés par ces prélèvements et consommés, ce qui, dans un système fiscal redistributif ne doit pas manquer de se vérifier, il devient probable que certains - les plus « contributifs » - cherchent à échapper à cette mécanique réductrice, pour eux, de revenus. Dans un monde où les frontières nationales s'effacent en partie, de tels phénomènes de nomadisme fiscal sont, en théorie, prévisibles. Le Sénat, dans plusieurs de ses excellents rapports, a tenté d'évaluer l'ampleur de ce phénomène dont l'actualité des faits divers - « l'évasion fiscale » au coeur de l'Europe - a rappelé récemment la réalité.

Ce n'est pas le sujet du présent rapport que de revenir sur cette question, et encore moins de proposer des solutions.

Il reste cependant à indiquer, à l'heure où le patriotisme économique est à la mode, que certains pays - les États-Unis notamment - savent donner à ce problème des réponses fiscales concrètes dont l'efficacité mériterait d'être appréciée.

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