5. La place encore insuffisamment reconnue des aidants familiaux et la portée de la notion d'obligation alimentaire

Les principaux rapports publiés sur le sujet de la perte d'autonomie ont tous souligné l'importance du soutien des proches dans l'accompagnement des personnes dépendantes. De la même façon, plusieurs intervenants à la table ronde organisée par la mission le 23 janvier 2008 ont insisté sur le dévouement des aidants familiaux.


• Vers une raréfaction des aidants familiaux ?

Simone Pennec, maître de conférences à l'université de Bretagne occidentale, a nuancé l'idée selon laquelle la « dislocation » de la cellule familiale entraînerait un recul du nombre des aidants familiaux. Elle a estimé à l'inverse qu'il n'y a sans doute jamais eu autant de familles apportant un soutien aux personnes âgées dépendantes : depuis la mise en place de l'Apa, l'augmentation de l'effort de la collectivité ne s'est donc pas traduite par un recul du soutien des proches. Elle a également quelque peu relativisé les craintes formulées par la Cour des comptes sur la perspective d'une prochaine diminution du « vivier d'enfants » disponibles. L'attachement à la famille demeure en effet une valeur solide. Mais la conjonction de la diminution des mariages, de la plus grande fréquence des divorces, de l'augmentation du nombre des personnes appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures, ainsi que le développement de l'activité féminine devraient effectivement se traduire à terme par un recours plus fréquent aux professionnels du secteur.

Ce constat est également celui qu'a entendu la mission lors de son déplacement en Grande-Bretagne de la part des personnes qu'elle a rencontrées 200 ( * ) .

L'aide apportée par les familles recouvre d'ailleurs des situations fort diverses. Pour les hommes âgés dépendants, le conjoint représente le premier soutien. Dans le cas des femmes âgées dépendantes, l'aide familiale provient tout d'abord des filles, puis des fils, avant même celle du conjoint. Lorsqu'il s'agit de fratries, l'assistance aux parents dépendants n'est généralement pas équitablement répartie entre les frères ou les soeurs puisqu'elle repose le plus souvent sur celui qui est célibataire. Le niveau des revenus des familles est à l'origine d'autres disparités : les personnes les plus modestes sont en effet celles qui, le plus fréquemment, prennent en charge directement leurs parents devenus dépendants.

Ce constat d'ensemble contrasté conduit à poser la question du statut juridique de ces aidants familiaux, qui fait aujourd'hui défaut. Simone Pennec estime, pour sa part, que ce statut « existe sans exister ». De fait, l'Apa attribuée au parent dépendant permet de rémunérer l'aidant familial dans la limite de 85 % du taux horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance, sur la base de trente-cinq heures de travail hebdomadaires 201 ( * ) . L'aidant familial peut aussi prendre un congé de soutien familial. Mais d'autres pays vont jusqu'à assimiler les enfants à des professionnels en les intégrant dans des dispositifs officiels de prise en charge. Une telle démarche présenterait l'intérêt d'encadrer l'utilisation des aides publiques versées, tout en apportant une reconnaissance juridique aux compétences acquises par l'aidant familial.


• La portée de la notion d'obligation alimentaire en matière d'aide sociale

La mission d'information s'est plus particulièrement interrogée sur la solidarité « pécuniaire » à l'intérieur des familles. Ce débat, que chacun s'accorde à reconnaître très sensible, fait intervenir deux dimensions principales : la notion juridique d'obligation alimentaire, d'une part, l'opportunité de solliciter davantage le patrimoine des personnes dépendantes, d'autre part.

Les règles applicables en matière d'obligation alimentaire sont fixées aux articles 205 à 211 du code civil définissant le cercle des obligés et posant le principe selon lequel une personne est tenue de fournir des moyens de subsistance à un parent ou un allié. Cette aide n'est due que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame et de la fortune de celui qui les doit. L'articulation entre l'aide sociale et l'obligation alimentaire obéit au principe de subsidiarité faisant prévaloir la solidarité familiale sur l'aide de la collectivité. Mais elle est organisée au cas par cas selon les prestations.

En ce qui concerne l'hébergement en établissement des personnes âgées, il convient de se reporter aux articles L. 132-6 et R. 132-9 du code de l'action sociale et des familles. Les demandes sont adressées par les familles aux services du conseil général, qui n'accorde le bénéfice de l'aide sociale que si le conjoint ou les autres obligés alimentaires (c'est-à-dire les enfants, petits-enfants, alliés, bru et gendre, même veufs s'il existe au moins un enfant vivant né du mariage) n'ont pas eux-mêmes les moyens de pourvoir à ce financement. En pratique, l'entrée en établissement d'une personne âgée se traduit presque systématiquement, compte tenu du niveau souvent très élevé des restes à charge, par un appel à la solidarité familiale. Le conseil général détermine le montant de l'aide sociale en déduisant le montant des obligations alimentaires incombant à ses proches.

Les obligés alimentaires se voient notifier la décision du président du conseil général, mais à ce stade la dette alimentaire est affectée collectivement à l'ensemble des débiteurs, sans être répartie entre eux. Il leur est alors demandé non seulement d'accepter l'évaluation faite par les services du conseil général, mais encore de se mettre d'accord sur la contribution de chacun. En cas de litige, le juge des affaires familiales est compétent pour fixer le montant de l'obligation alimentaire. L'intervention du juge judiciaire est toutefois nécessaire pour déterminer, si besoin est, la contribution individuelle de chacun des débiteurs.

En pratique, la mise en oeuvre de ce cadre juridique pose de nombreux problèmes d'application. Un récent rapport du conseil économique et social 202 ( * ) attire fort opportunément l'attention des pouvoirs publics sur ces difficultés et formule un constat d'ensemble critique.

La mise en oeuvre de l'obligation alimentaire à l'occasion de l'admission des personnes âgées en établissement : une application complexe et inégalitaire

« Simples dans leur énoncé et faciles à concevoir au plan théorique, l'obligation alimentaire et le principe de subsidiarité posent en revanche de nombreuses difficultés pratiques (...). Ainsi, en matière d'aide sociale aux personnes âgées, le principe de la subsidiarité demeure très important puisqu'il s'applique aux frais d'hébergement en établissement. Mais il ne s'applique pas à l'aide sociale à la dépendance qui prend la forme de l'allocation personnalisée d'autonomie (...) . « A cette variabilité dans la mise en jeu du principe de subsidiarité s'ajoutent des différences, selon les prestations, dans le périmètre des débiteurs d'aliments sollicités. »

« Au-delà de la prise en compte variable de l'obligation alimentaire dans les textes de loi, l'application concrète des règles de l'obligation alimentaire et de la subsidiarité au niveau des départements, des établissements d'hébergement pour personnes âgées et des caisses d'allocations familiales fait apparaître des différences de traitement dont l'ampleur met en cause l'égalité devant la loi. (...)

« Lorsqu'une personne âgée, lors de son entrée en établissement, ne dispose pas de moyens suffisants pour assumer ses frais d'hébergement, les départements, procèdent à une évaluation des capacités contributives de ses obligés alimentaires » (...) « Cette évaluation est effectuée de manière très différente selon les départements. » (...)

« Non seulement la régulation de la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire est soumise à deux types de juges (administratif et judiciaire), mais ceux-ci rendent parfois des décisions qui tendent à prouver une maîtrise insuffisante des règles de base du code civil en la matière. » (...) « C'est le juge des affaires familiales qui a la compétence exclusive pour mettre à la charge d'une personne, la plupart du temps sous la forme d'une pension, une obligation correspondant aux articles 205 à 211 du code civil. Or, le juge des affaires familiales n'a pas l'obligation de rechercher l'ensemble des obligés alimentaires d'une personne pour répartir la dette d'aliments entre eux. Il en résulte que seule la personne à laquelle le demandeur d'aliments réclame en justice une pension se voit obligée de payer, charge à elle, si elle le souhaite, de se retourner contre les autres obligés alimentaires pour réclamer un remboursement d'une partie de la dette alimentaire. (...)

« En cas de litige, la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions (juge administratif pour le montant de l'aide sociale, juge judiciaire pour la détermination du montant de l'obligation alimentaire de chacun des débiteurs) ne facilite pas la tâche des justiciables, pas plus qu'elle ne facilite, pour les départements, le recouvrement de leurs créances lorsqu'ils ont fait l'avance de la part correspondant à l'obligation alimentaire. Au bout du compte, le système existant est préjudiciable à toutes les parties en présence : au demandeur de l'aide sociale qui peut voir celle-ci indûment réduite suite à une évaluation incorrecte de l'obligation alimentaire par les départements, aux obligés alimentaires qui peuvent être poursuivis pour le recouvrement de sommes excessives eu égard à leur capacité contributive et enfin aux départements qui rencontrent des difficultés à recouvrer leurs créances. (...)

« Appliquée dans la sphère du droit social, l'obligation alimentaire s'éloigne souvent de sa vocation première qui est de fournir des moyens de subsistance à une personne dans une situation de besoin. Ainsi, en matière d'hébergement des personnes âgées, la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire traduit parfois la volonté des établissements de recouvrer dans leur totalité des frais d'hébergement, même si leur montant dépasse largement les capacités contributives des familles concernées. Si, dans le même temps, le montant de l'aide sociale attribuée à la personne âgée a été minoré par le département et que le juge des affaires familiales entérine cette démarche, le principe de proportionnalité entre le besoin de celui qui demande et la fortune de celui qui verse la pension est perdu de vue. »

Source : Extraits de l'avis du Conseil économique et social sur le rapport
présenté par Mme Christiane Basset « L'obligation alimentaire :
des solidarités à réinventer. » (Séances des 13 et 14 mai 2008)

* 200 Déplacement de la mission à Londres, le 31 mars 2008.

* 201 Voir le guide de l'aidant familial - ministère des affaires sociales du travail et de la solidarité - janvier 2007.

* 202 Conseil économique et social « L'obligation alimentaire : des formes de solidarité à réinventer » - Rapport présenté par Christiane Basset - Mai 2008. Voir aussi l'article « Les contributions privées au financement de la dépendance dans le cadre de l'obligation alimentaire » - Agnès Gramain, Jérôme Wittwer, Cyril Rebillard et Michel Duée - Revue Economie et prévisions n° 177 (2007/1).

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