c) Concrétiser ces mutations : adapter la formation et le statut des directeurs des établissements
(1) Un métier en profonde évolution
L'ensemble des directeurs de conservatoire entendus par votre rapporteur lui ont confirmé que leur métier a profondément évolué : ils ont réellement pris conscience du décalage entre la formation artistique qu'ils ont reçue 18 ( * ) et les exigences de plus en plus diversifiées qui s'imposent à eux.
Ce changement vers plus de complexité administrative suscite un certain mal-être au sein de la profession : en effet, il a pour contrepartie un amoindrissement croissant de la part artistique de leur activité, qui reste pourtant toujours perçue par les directeurs comme le « coeur » de leur métier et le principal gage de leur légitimité aux yeux des enseignants.
La profession est d'ailleurs confrontée à des difficultés de recrutement . Une récente étude portant sur la formation à la direction des établissements culturels du spectacle vivant l'a clairement souligné : « dans le domaine de l'enseignement spécialisé, on constate que le métier de directeur connaît depuis quelques années une forte désaffection et que les candidatures se raréfient. » 19 ( * )
Venant en appui de cette étude, une enquête 20 ( * ) réalisée par des étudiants de Sciences-Po auprès de directeurs de conservatoire nationaux de régions et d'écoles nationales de musique arrive aux constats suivants : « de manière peut-être plus aiguë que dans les réseaux d'établissement de diffusion, l'alourdissement administratif et l'élargissement des tâches sont perçus négativement (54 %). Ce changement dans le métier de directeur est perçu comme une dévalorisation du métier (...). Tous évoquent l'idée d'une soumission à l'administratif au niveau de l'établissement en lui-même et au niveau des collectivités territoriales, qui exercent une pression en ce sens. »
Cet état des lieux est préoccupant au regard des besoins importants de renouvellement à venir, compte tenu de la démographie du corps 21 ( * ) .
Notons par ailleurs que les missions qui sont confiées aux conservatoires par le décret de classement du 12 octobre 2006, reprenant les grandes orientations fixées en 2001 dans la Charte de l'enseignement artistique spécialisé en danse, musique et théâtre - qui a défini, comme retracé dans l'encadré ci-dessous, les responsabilités des équipes pédagogiques de ces établissements -, rendent indispensables une actualisation du statut et de la formation des directeurs mais également des enseignants.
LA DÉFINITION DES RESPONSABILITÉS DES DIRECTEURS ET DES ENSEIGNANTS DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE DANS LA CHARTE DE 2001
- Le directeur est responsable de l'établissement et de son fonctionnement. - Il s'appuie sur une équipe de direction administrative, pédagogique et culturelle, dans laquelle les différentes spécialités artistiques sont représentées. - Il conçoit, organise et s'assure de la mise en oeuvre de l'ensemble du projet d'établissement, en concertation avec l'équipe pédagogique et les partenaires extérieurs ; il propose un programme de formation continue des enseignants en lien avec le projet. - Il organise les études et les modalités d'évaluation des élèves ; il suscite la réflexion et l'innovation pédagogique. - Il définit les actions de diffusion et de création liées aux activités d'enseignement et de sensibilisation. - Il met en oeuvre les partenariats dans le domaine culturel, éducatif et social, sur l'aire de rayonnement de son établissement. - Il participe à la concertation entre établissements, dans le cadre des réseaux. - Il assure, en tant que chef de service, la relation avec les élus et les autres services de la collectivité territoriale. - Il détermine les besoins de son établissement en personnel et propose le recrutement de tous les agents, notamment des enseignants.
- Ils contribuent, à travers leur activité artistique personnelle, à l'enrichissement des enseignements et à l'inscription du projet pédagogique dans la vie artistique. - Ils enseignent la pratique artistique et participent, en dehors du temps de cours hebdomadaire imparti, aux actions liées à l'enseignement, considérées comme partie intégrante de la fonction (concertation pédagogique, conseils de classe, auditions d'élèves, jurys internes). - Ils veillent à leur formation permanente, notamment dans le cadre de stages de formation continue. - Ils participent à la définition et la mise en oeuvre du projet d'établissement. - Ils participent à la recherche pédagogique et à sa mise en oeuvre. - Ils participent, dans le cadre du projet d'établissement, à la mise en oeuvre des actions s'inscrivant dans la vie culturelle locale. - Ils tiennent, auprès des praticiens amateurs, un rôle de conseil et d'aide à la formulation de projets. |
(2) Pallier un déficit de formation et de reconnaissance
Dans ce contexte, il est impératif de prendre acte du caractère managérial de la fonction et de pallier le déficit de formation des directeurs sur ce point, en adaptant l'offre de formation initiale et continue à la réalité d'un métier qui est désormais à la croisée de plusieurs compétences .
Le représentant de l'Union nationale des directeurs de conservatoire (UNDC) a ainsi souhaité voir réaffirmer un profil double d' « artiste - gestionnaire » .
Il conviendrait également d'inclure dans la définition de ce profil le rôle de conseil et d'aide à la décision auprès des élus et celui de définition des orientations stratégiques de l'établissement.
La mise en place au Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSM), d'une formation diplômante débouchant sur la délivrance du certificat d'aptitude (CA) aux fonctions de directeur d'établissement d'enseignement artistique, constitue une première avancée en ce sens : neuf candidats, sur près de 150, ont été recrutés à la fin de l'année 2007, à partir d'un concours ouvert aux titulaires d'un CA de professeur ou aux personnes justifiant d'une expérience artistique ou d'encadrement reconnue. La formation, organisée sur deux ans, représente un volume de 550 heures, comprenant un stage de 225 heures au sein d'un établissement et 11 séminaires, dont un, portant sur la gestion d'un établissement, a été mis en place en partenariat avec l'Institut d'études politiques de Paris.
Par ailleurs, l'Institut national d'études territoriales (INET) propose, via le cycle supérieur du management, une formation ouverte aux directeurs d'établissements d'enseignement artistique.
Il convient à la fois de développer mais aussi de faire connaître ces formations .
En parallèle, plusieurs interlocuteurs ont suggéré à votre rapporteur d' inclure, dans la formation continue des professeurs, la formation à la conduite de projets . Ils pourraient ainsi venir en appui au directeur, pour le pilotage des partenariats qui sont appelés à se développer autour des établissements.
Enfin, votre rapporteur souligne la nécessité d'accompagner ces mutations par une revalorisation du statut de directeur de conservatoire : la fonction ne bénéficie pas, en effet, d'une reconnaissance qui soit à la hauteur des exigences de la fonction.
L'énergie que déploient nombre de directeurs de conservatoire que votre rapporteur a rencontrés lors de ses auditions ou déplacements, qui s'investissent corps et âmes dans leur mission, sans compter leur temps, est l'expression d'une passion parfois poussée jusqu'au « militantisme ». Il serait temps, néanmoins, que l'on définisse un statut qui corresponde - en termes de profil, de rémunération mais aussi de gestion de carrière - à une « juste » reconnaissance de l'importance de ces fonctions pour concrétiser le renouveau des enseignements artistiques en France.
* 18 Selon l'enquête, citée ci-après, réalisée par des étudiants de Sciences-Po auprès de directeurs de CNR et ENM, 95 % des répondants ont suivi une formation artistique, 10 % ont obtenu une médaille d'or, 33 % un premier prix et 51 % ont intégré le CNSM de Paris ; 46 % ont suivi une formation initiale générale dont 20 % en musicologie ; 84 % exercent ou ont exercé une activité artistique professionnelle ; 13 % ont un certificat d'aptitude aux fonctions de directeur.
* 19 « Etude sur la formation à la direction des établissements culturels du spectacle vivant », Inspection de la création et des enseignements artistiques du ministère de la culture et de la communication, juin 2006.
* 20 « Formation des directeurs des établissements de spectacle vivant », étude réalisée pour le compte du ministère de la culture, dans le cadre d'un projet collectif à l'Institut d'études politiques de Paris ; conclusion d'une enquête menée sous forme de questionnaires envoyés en juillet 2005 à 375 directeurs de structures du spectacle vivant, dont 144 directeurs de CNR ou ENM (85 réponses soit 59 %).
* 21 Selon l'étude précitée, ce sont 157 personnes qu'il faudra recruter dans les 15 ans à venir, dont 67 directeurs et 90 professeurs chargés de direction.