B. LES SERVICES DE SANTÉ

1. Un système de santé concentré autour du centre hospitalier de Mayotte

Il y a 30 ans s'étaient développés à Mayotte des dispensaires locaux, destinés essentiellement à des missions bénévoles et préventives de vaccination. Ces dispensaires étaient rendus nécessaires par les difficultés de transport sur l'île : absence de transports collectifs, mauvais état des routes, faiblesse de l'équipement individuel en automobiles, etc. Puis, l'arrivée, notamment dans le cadre du service militaire, d'un plus grand nombre de médecins, a conduit au développement de soins plus curatifs. En 1995, demeuraient encore 20 dispensaires sur le territoire mahorais, une maternité rurale par commune et deux hôpitaux avaient été construits : un à Mamoudzou, sur Grande Terre, et un sur Petite Terre.

En 2004, dans le cadre d'une importante réforme 32 ( * ) de l'organisation des soins à Mayotte, les dispensaires ont été rattachés au centre hospitalier de Mayotte (CHM). L'objectif du rattachement des dispensaires était de pallier l'absence de médecins libéraux, en orientant leur activité vers le type de services qu'offrent les médecins libéraux en métropole. Ce rattachement a, par ailleurs, fait basculer le financement des dispensaires de la collectivité départementale de Mayotte à l'assurance maladie, pour un montant évalué à 16 millions d'euros en 2004.

Le système de santé à Mayotte, hérité de cette histoire, présente des caractéristiques très particulières puisqu'il est presque intégralement composé de structures hospitalières . Aucune clinique privée n'est présente à Mayotte et le nombre de médecins libéraux est notoirement insuffisant au regard de la population mahoraise : 20 médecins libéraux (12 généralistes et 8 spécialistes) pour 186.000 habitants. Seul un cabinet médical est implanté hors du secteur le plus urbanisé de Mamoudzou - Petite Terre. La raison du non développement de l'offre médicale libérale semble essentiellement tenir à l'incapacité financière de la majorité de la population à avancer les frais de soins et à prendre en charge le ticket modérateur.

La quasi-intégralité de l'offre médicale est donc assurée par le centre hospitalier de Mayotte (CHM), qui regroupe l'ensemble des structures hospitalières de l'île .

La structure du CHM est aujourd'hui constituée de :

- 14 dispensaires en activité dont 3 comportent une maternité rurale,

- 3 centres intercommunaux de référence qui ont regroupé 7 ou 8 dispensaires, comportant une maternité rurale,

- un hôpital sur Petite Terre, doté d'une maternité,

- un établissement public de santé à Mamoudzou, créé par arrêté préfectoral du 8 mars 1997.

Répartition géographique des structures hospitalières à Mayotte

Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer

2. Les incertitudes relatives au financement du système de santé mahorais

a) La distinction entre les assurés et les non-assurés sociaux

Le conseil général de Mayotte ne participe pas directement au financement du CHM. Toutefois, il prend en charge l'ensemble des activités de prévention sanitaire à Mayotte (lutte contre la tuberculose, vaccinations pour les moins de 6 ans, infections sexuellement transmissible, protection maternelle et infantile, etc.). Dans ces domaines, le CHM fournit la prestation de soins pour le compte du conseil général et se fait rémunérer en contrepartie. Le montant total de ces paiements est de 2 millions d'euros par an.

Globalement, le CHM dispose d'un budget de 130 millions d'euros par an pour soigner moins de 200.000 habitants , ce qui, selon le directeur du CHM, est particulièrement faible au regard de l'étendue des missions confiées au CHM. Cela représente notamment moins de la moitié du budget du centre hospitalier de Saint-Denis de La Réunion. Deux explications peuvent être fournies à cette relative faiblesse :

- d'une part, la population mahoraise est particulièrement jeune (la moitié de la population a moins de 20 ans), et donc moins sujette à des pathologies graves ;

- d'autre part, la population mahoraise est plus pauvre que la population réunionnaise et, a fortiori , que la population métropolitaine. Or, la pratique des soins augmente avec le niveau de vie.

Le financement du CHM est réparti entre trois sources distinctes : l'assurance maladie mahoraise , qui, avec 95 millions d'euros par an, apporte l'essentiel des fonds, des recettes diverses, incluant les versements effectués par les non-assurés sociaux et la contribution de l'Etat . Une des particularités du financement du CHM réside dans l'absence de tarification à l'activité. L'assurance maladie verse directement une dotation à l'hôpital, sans relation de facturation.

b) Les recettes issues des versements des non-assurés sociaux

Jusqu'au 1 er janvier 2004, l'ensemble des soins délivrés par les dispensaires du CHM étaient totalement gratuits pour les patients.

L'ordonnance de juillet 2004 relative à l'adaptation du droit de la santé publique et de la sécurité sociale à Mayotte 33 ( * ) a modifié cette situation en distinguant entre les assurés sociaux et les non affiliés à un régime de sécurité sociale.

La gratuité des soins est maintenue pour les assurés sociaux . Le directeur du CHM a indiqué à votre rapporteur spécial qu'il suffisait, en pratique, d'avoir la nationalité française pour pouvoir bénéficier du régime d'assurance maladie mahorais.

Les non-assurés sociaux sont donc essentiellement des étrangers. Ils doivent, pour leur part, s'acquitter d'un montant variable suivant les soins . La provision versée est, par exemple, de 10 euros pour une consultation en dispensaire (incluant la délivrance de médicaments et les consultations secondaires liées à la même affection dans la semaine), de 15 euros pour des soins dentaires, de 30 euros pour un accueil aux urgences, de 50 euros par jour pour une hospitalisation de jour en médecine ou encore de 300 euros pour le suivi d'une grossesse et l'accouchement. Le montant de ces provisions a été fixé, selon les informations fournies par le secrétariat d'Etat à l'outre-mer, à des niveaux supérieurs à ceux applicables à l'hôpital de Hombo, à Anjouan, où les soins sont également payants, afin de limiter l'appel d'air que la fourniture de ces soins à Mayotte pourrait produire sur la population anjouanaise.

Les recettes tirées de ces provisions sont évaluées à environ 2 millions d'euros, selon l'audit de modernisation réalisé en 2007 par l'IGF et l'IGAS sur l'aide médicale d'Etat 34 ( * ) . Bien que ces recettes soient mineures par rapport aux coûts induits par les soins apportés aux non-assurés sociaux, le directeur du CHM s'est félicité d'un système qui permet de « moraliser » la fourniture de soins et de réduire le nombre de consultations inutiles.

Toutefois, l'application stricte de cette réglementation est l'objet de certaines difficultés . Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer indique notamment que « faute d'une amélioration du plateau technique des maternités rurales depuis 2004, la prise en charge de la naissance dans les maternités rurales est restée gratuite, ce qui crée une attraction des personnes en situation irrégulière vers ces structures ». Par ailleurs, le directeur du CHM indiquait que, bien évidemment, les médecins ne laissaient pas accoucher sans surveillance une femme qui ne pouvait pas fournir le montant correspondant à un accouchement.

Par ailleurs, le directeur du CHM a fait état de soins d'urgence, qui sont délivrés sans versement préalable. Sont concernés les cas d'urgence vitale, les infections graves et durables ainsi que les maladies transmissibles (notamment, à Mayotte, les cas d'épidémie de choléra). Par exemple, lors de la dramatique épidémie de chikungunya, la DASS a pris la décision d'arrêter de faire payer les patients qui présentaient les symptômes de la maladie étant donnée l'ampleur prise par l'épidémie. Les symptômes du chikungunya étant toutefois très classiques (douleurs musculaires, fièvre), il s'est avéré en pratique très difficile de faire la distinction, à l'arrivée des patients, entre ceux qui souffraient de l'épidémie et ne payaient pas et les autres. Le directeur du CHM estime qu'à cette occasion, un nombre élevé de clandestins est venu se faire soigner gratuitement. Le nombre total de cas de chikungunya à Mayotte est donc difficile à évaluer mais s'élèverait à environ 50.000 cas.

Pour l'ensemble de ces raisons, l'Etat est nécessairement mis à contribution, pour financer en particulier le coût des soins prodigués aux non-assurés sociaux, qui ne sont pas couverts par l'assurance maladie mahoraise.

c) La trop faible participation de l'Etat

L'aide médicale d'Etat (AME) n'est pas applicable à Mayotte.

Le principe et le montant de la participation de l'Etat aux frais de fonctionnement du CHM résulte d'une ordonnance du 12 juillet 2004 35 ( * ) . L'article 7 de cette ordonnance prévoit en effet que l'Etat verse une contribution « au titre des frais d'hospitalisation et de consultations externes des personnes non affiliées au régime d'assurance maladie-maternité de Mayotte » . Le montant de ce versement a été fixé, pour 2004, à 6,755 millions d'euros. L'article 7 de l'ordonnance prévoit par ailleurs que « pour les années 2005 à 2010 [...] la contribution de l'Etat aux dépenses de fonctionnement de l'établissement public de santé de Mayotte [...] est réévaluée annuellement en fonction du nombre de bénéficiaires et du coût des soins correspondants ».

Ainsi, selon les informations recueillies auprès du directeur du CHM, la dotation de l'Etat s'est établie à 6,8 millions d'euros en 2005, 7,3 millions d'euros en 2006 et 6,3 millions d'euros en 2007. Le directeur du CHM a fait état de ses interrogations quant aux variations de cette dotation, d'autant plus que le montant de la dotation qui lui a été communiqué pour l'année 2008 serait de 3,7 millions d'euros, soit une diminution de près de 50 % en deux ans .

Or, même sans cette importante baisse, la participation de l'Etat n'est pas suffisante pour couvrir l'ensemble des coûts engendrés par les soins dispensés aux non assurés sociaux, qui s'élevait à 23 millions d'euros selon un rapport réalisé par l'IGAS en 2005 36 ( * ) . Par conséquent, en pratique, ce sont les régimes de sécurité sociale qui financent le coût des soins dispensés aux non-assurés sociaux. Cette situation semble particulièrement injustifiée.

Votre rapporteur spécial estime qu'une clarification des relations financières entre l'Etat et le centre hospitalier de Mayotte serait souhaitable, afin d'offrir au CHM une visibilité budgétaire nécessaire et de clarifier la situation au regard de l'assurance maladie .

3. Le coût global des soins dispensés aux immigrés clandestins est supérieur à 30 millions d'euros par an

Comme dans le cas de l'Education nationale, il n'est pas aisé d'identifier précisément le coût hospitalier de la présence des immigrés clandestins sur le territoire mahorais . S'il est possible d'évaluer le coût des soins dispensés aux non-assurés sociaux, il est plus difficile, au sein de la population des non-assurés sociaux, d'identifier la population clandestine.

a) Le coût des soins dispensés aux non-assurés sociaux

D'après l'étude précitée de l'INSERM, les étrangers en situation irrégulière auraient un recours aux soins moins fréquent que les affiliés sociaux pour diverses raisons : la crainte d'être arrêtés par la police, l'éloignement par rapport aux dispensaires, l'absence de moyens de transport et, dans une certaine mesure, l'obstacle financier.

Selon les données recueillies par le CHM, la part des non-affiliés sur le nombre total d'entrées est de 38,5 % . Ce taux varie en fonction des soins dispensés. Ainsi, il est particulièrement élevé pour les consultations de maternité, pour lesquelles il atteint 63,5 %. Le tableau ci-dessous indique la part du nombre de naissances opérées pour des patientes non assurées.

Evolution du nombre de naissances

2005

2006

2007

Nombre total d'accouchements

7.489

7.486

7.658

Nombre d'accouchements de femmes non assurées sociales

5.092

5.098

4.305

Pourcentage des accouchements de femmes non assurées sociales

68 %

68 %

56,2 %

Source : rapport d'activité du CHM

La diminution du taux de naissances constatées chez des non-assurés sociaux semble s'expliquer, d'une part, par la régularisation progressive des Mahorais vis-à-vis de leur affiliation à la sécurité sociale et, d'autre part, par la diminution du nombre d'accouchements de femmes en situation irrégulière.

Au total, le directeur du CHM estime le coût des soins dispensés aux non-assurés sociaux entre 27 et 30 millions d'euros, ce qui est cohérent avec le coût de 23 millions d'euros en 2005 estimé par le rapport de l'IGAS précité 37 ( * ) .

b) La difficulté d'évaluer la part des clandestins dans la population des non-assurés sociaux

Selon le directeur du CHM, la « quasi-totalité » des non-assurés sociaux à Mayotte seraient des clandestins , compte tenu de l'ouverture très large du régime d'assurance maladie. La directrice de la DASS convient « qu'une forte majorité des non-assurés sociaux sont des clandestins » mais estime entre 20.000 et 30.000 le nombre de non-assurés dont le statut devrait leur permettre de s'affilier à la sécurité sociale, réduisant d'autant la part des immigrés clandestins au sein des non-assurés sociaux.

Au total, il semble que, sans risque de surestimation, le taux de 60 % d'immigrés clandestins dans la population des non-assurés sociaux peut-être retenu. Par conséquent, si l'on retient le « bas de la fourchette » évoquée par le directeur du CHM pour le coût des soins dispensés à l'ensemble des non-assurés sociaux, on peut estimer que l'immigration clandestine à Mayotte génère au minimum 16 millions d'euros de coûts de fonctionnement pour le CHM .

En termes d'équipement hospitalier et de dépenses d'investissement, il est difficile de considérer que les soins dispensés à la population clandestine ont un coût particulier, en raison du sous-équipement global de Mayotte en services de santé. Les dépenses d'investissement sont rendues nécessaires par l'accroissement démographique et la nécessité d'améliorer la qualité des soins dispensés à la population mahoraise, indépendamment de l'enjeu de l'immigration clandestine . A cet égard, votre rapporteur spécial salue la construction du nouvel hôpital de Mamoudzou, en cours lors de son déplacement à Mayotte, qui devrait permettre d'améliorer la qualité des soins dispensés à la population mahoraise.

c) Le coût des évacuations sanitaires

Le CHM n'étant pas spécialisé, il fournit essentiellement des soins généraux. De nombreuses spécialités ne sont couvertes que par intermittence 38 ( * ) ou ne sont jamais offertes 39 ( * ) sur le territoire mahorais et nécessitent donc des évacuations sanitaires. Selon l'audit de modernisation précité sur l'aide médicale d'Etat 40 ( * ) , 83 % de ces évacuations se font vers La Réunion, seuls les cas les plus graves pouvant nécessiter une évacuation vers la métropole.

Evolution du nombre d'évacuation sanitaires

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

429

543

602

595

612

595

531

617

Source : CHM

Comme l'indique le tableau ci-avant, le nombre d'évacuations sanitaires est stable depuis 2002.

Le coût total moyen du transport lors d'une évacuation sanitaire est, selon les informations recueillies auprès du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, de 3.800 euros .

Il convient d'ajouter à ce montant celui de la prise en charge, au titre de l'aide médicale d'Etat (AME), des non-assurés sociaux évacués puisque ceux-ci peuvent avoir droit à l'AME une fois présents à La Réunion ou en métropole. Par ailleurs, outre le financement des soins, l'enveloppe de l'AME est utilisée pour financer l'accueil dans des familles des patients évacués les plus jeunes, qui sont nombreux. En effet, selon le rapport d'audit de modernisation précité, près de la moitié des évacuations sanitaires concerne des jeunes de moins de 20 ans. Selon les informations fournies par le secrétariat d'Etat à l'outre-mer, le montant de l'AME ainsi mobilisée s'est élevé, en 2006, à 20 millions d'euros .

Au sein de la population des évacués sanitaires, il est difficile, comme pour l'ensemble de la population hospitalisée, de distinguer la part des immigrés clandestins au sein de la population des non-assurés sociaux. Le rapport d'audit de modernisation précité évalue à 187 le nombre d'étrangers évacués de Mayotte en 2005, sans qu'il soit possible de faire la part entre les étrangers en situation régulière et irrégulière. En appliquant le ratio précédemment évoqué de 85 % de population clandestine au sein de la population étrangère présente à Mayotte, on parvient à une estimation proche de 150 immigrés clandestins bénéficiant d'une évacuation sanitaire de Mayotte .

Le coût du transport de ces évacuations peut donc être estimé à 570.000 euros et la part des immigrés clandestins dans le montant de l'AME mobilisée pour les soins des évacués à La Réunion ou en métropole à 17 millions d'euros.

Au total, en agrégeant le coût des évacuations sanitaires à celui de l'accueil dans les structures hospitalières des immigrés clandestins à Mayotte, on obtient un coût total des soins dispensés aux immigrés clandestins présents à Mayotte supérieur à 30 millions d'euros par an .

* 32 Sur la base de l'article 50 de la loi du 18 décembre 2003 relative au financement de la sécurité sociale pour 2004.

* 33 Ordonnance n° 2004-688 du 12 juillet 2004.

* 34 Rapport sur la gestion de l'aide médicale d'Etat, audit de modernisation, IGF et IGAS, mai 2007.

* 35 Ordonnance n° 2004-688 du 12 juillet 2004 relative à l'adaptation du droit de la santé publique et de la sécurité sociale à Mayotte.

* 36 Rapport IGAS n° 2005-167 de novembre 2005 sur « La prise en charge des patients non-assurés sociaux par le centre hospitalier de Mayotte », présenté par Jean Debeaupuis.

* 37 Rapport IGAS n° 2005-167 de novembre 2005 sur « La prise en charge des patients non-assurés sociaux par le centre hospitalier de Mayotte », présenté par Jean Debeaupuis.

* 38 Notamment la gastroentérologie, la cardiologie, la pneumologie, la neurologie et la rééducation fonctionnelle.

* 39 Notamment la neurochirurgie, l'anesthésie et la réanimation des enfants de moins de 1 an, la radiothérapie, les chirurgies invasives lourdes, la mammographie et les IRM.

* 40 Rapport sur la gestion de l'aide médicale d'Etat, audit de modernisation, IGF et IGAS, mai 2007.

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