b) Une société nouvelle, perçue comme telle par les Français
(1) La fin de comportements exclusifs et spécifiques.

Les modes de vie des ruraux et des urbains sont aujourd'hui très proches.

Comme le notent B. Hervieu et J. Viard, « l'urbanité s'est échappée du territoire de la ville d'hier pour finir par capter l'ensemble de l'espace non urbain ». 29 ( * ) La société rurale de l'autarcie et de l'autochtonie a cédé désormais la place à une société à la fois plus ouverte sur l'extérieur et diverse dans sa composition, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, l' apparition de la pluriactivité au sein des ménages agricoles 30 ( * ) a permis d'entretenir un lien permanent avec les villes et les autorités publiques tout en dissociant désormais le lieu de résidence, d'emploi et de loisirs. Ce décloisonnement s'est traduit par une diminution progressive des comportements spécifiquement ruraux.

Ensuite, les motivations des habitants concernant le choix de leur lieu de vie ont également subi une mutation. La société paysanne était caractérisée par l'absence de questionnement à ce sujet, par le sentiment d'évidence qu'imposaient l'ancrage familial et le réseau social. Désormais, le choix du lieu d'installation revêt un caractère réfléchi : il s'agit pour certains d'un choix de vie, pour d'autres d'un arbitrage économique.

En outre, on observe un élargissement aux ruraux de pratiques sociales qui semblaient antérieurement réservées aux citadins, telles que l'acquisition de résidences secondaires dans d'autres régions, les départs en vacances -y compris vers les pays lointains- ou le développement de la vie associative locale.

Enfin, on observe une certaine normalisation de la pratique politique à travers le rapprochement des votes des ruraux et des citadins ; la forte diversité politique illustrant bien la perte relative de spécificité de la société rurale.

Ces mutations n'ont pas seulement modifié la réalité sociale du monde rural, mais également les représentations qui en découlent.

(2) Les nouvelles perceptions de la ruralité par l'ensemble de la société

Les années 80 et 90 ont été marquées par une véritable inversion conceptuelle au terme de laquelle les citadins et les ruraux eux-mêmes ont acquis une image valorisante du monde rural 31 ( * ) .

La campagne se voit réinvestie de valeurs symboliques inédites .

La société française intègre la société rurale, notamment en l'investissant du pouvoir de répondre à ses attentes, ce qui en modifie à la fois la perception et la place qui lui est assignée.

C'est ainsi qu'associée au respect de l'environnement, la campagne est revalorisée dans une période où les enjeux écologiques prennent une place prépondérante dans le débat public. De fait, la société globale tend à lui conférer un rôle d'entretien des paysages désormais perçus comme patrimoine commun. Ainsi, l'accès aux espaces de loisirs et aux espaces verts doit être garanti afin d'assurer la fonction récréative de la campagne. Cette dernière est de plus en plus conçue comme un lieu de culture et d'identité, symbole de la qualité des aliments et de la diversité des terroirs.

Un mode de vie qui fait la fierté de la société rurale .

Le monde rural a longtemps souffert d'un sentiment d'isolement et d'un retard relatif en termes de développement économique, de sorte que certains avaient acquis la certitude que « la société industrielle se retourne contre la paysannerie dont elle est issue » 32 ( * ) .

Or, comme le note le rapport du Sénat sur l'exception territoriale 33 ( * ) , l'image s'est désormais inversée : « [les ruraux] sont fiers aujourd'hui d'habiter la campagne, de bénéficier du calme, de la nature, du « bon air » et regardent avec une certaine condescendance les citoyens soumis, selon eux, au bruit, à la pollution, à l'insécurité, à l'entassement ».

Mais cette vision positive du monde rural touche également les citadins : l'ensemble des citoyens se réapproprient ainsi progressivement l'espace rural.

* 29 Au bonheur des campagnes, Bertrand Hervieu et Jean Viard, 1996.

* 30 Il n'est ainsi pas rare que l'un des conjoints travaille sur l'exploitation, tandis que l'autre (souvent la femme), occupe un emploi à l'extérieur.

* 31 Le refuge et la source, Cécile Kovacshazy, in Rural, une carte pour la France, Paul Noirot (dir.), numéro spécial de la revue Panoramiques, éditions Arléa-Corlet, 1995.

* 32 Les sociétés paysannes, Henri Mendras, 1995.

* 33 L'exception territoriale : un atout pour la France, rapport d'information précité.

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