VI. L'AVENIR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN DÉBAT

A. INTERVENTION DE M. CARL BILDT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE SUÈDE, PRÉSIDENT DU COMITÉ DES MINISTRES

La Suède, succédant à la Slovaquie, exerce la présidence du Comité des ministres depuis le 1 er mai 2008. À cette occasion, le ministre des affaires étrangères suédois a été invité par l'Assemblée parlementaire à présenter les priorités du mandat de son pays. L'organisation même du débat a toutefois prêté à de nombreuses critiques devant le choix opéré par le ministre suédois d'écarter les questions écrites transmises préalablement au profit de questions spontanées dont les critères de sélection demeurent une interrogation.

S'inscrivant dans le cadre des conclusions du Sommet de Varsovie des 16 et 17 mai 2005, la présidence suédoise souhaite faire de la concrétisation des droits pour les citoyens européens la priorité de son mandat. Une telle ambition passe par un désengorgement de la Cour européenne des droits de l'Homme et donc par l'adoption du Protocole additionnel n° 14 à la Convention européenne des droits de l'Homme. L'absence de ratification russe bloque cependant cette modernisation nécessaire.

M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF) a souhaité interroger la présidence suédoise sur ce sujet :

« Se plaçant dans le droit fil des conclusions du Sommet de Varsovie, la Présidence suédoise entend revenir aux missions fondamentales du Conseil de l'Europe et renforcer ainsi le système de protection des droits de l'homme que celui-ci a mis en place.

L'efficacité du Conseil de l'Europe demeure néanmoins toute relative au regard des difficultés que rencontre la Cour européenne des droits de l'homme pour traiter les requêtes qui lui sont soumises dans un délai raisonnable. Rappelons qu'à l'heure actuelle, plus de 100.000 d'entre elles sont pendantes, alors même que le nombre de plaintes déposées devant cette instance croît de 5 % par an.

Le remède à cette paralysie existe au travers du Protocole n°14, ratifié par 46 États membres sur 47. Si votre présidence souhaite visiblement se saisir de ce problème, je reste cependant sceptique au regard des mesures envisagées : l'organisation d'un colloque il y a moins de quinze jours et l'échange de bonnes pratiques qui doit en découler ne sauraient répondre efficacement au problème posé.

La présidence entend-elle organiser un véritable débat au sein du Comité des ministres sur ce sujet et proposer, en cas de persistance du refus russe de le ratifier, un dispositif d'application partielle du protocole n°14 ? »

La réponse écrite apportée par le ministre a souligné la volonté de la présidence de parvenir à une application totale dudit protocole :

« Le Protocole n° 14 à la Convention européenne des droits de l'homme est une mesure essentielle qui doit permettre de garantir l'efficacité future de la Cour. À plusieurs reprises, le Comité des ministres a eu des échanges de vues sur les perspectives d'entrée en vigueur du Protocole.

Cependant, le Protocole n'est pas la seule mesure à notre disposition. Adapter la Cour européenne aux circonstances - principe qui constitue l'essentiel du Protocole n° 14 - n'est qu'un élément de réponse au problème.

En attendant l'entrée en vigueur du Protocole n° 14, la présidence suédoise déposera devant le Comité des ministres des propositions visant à donner un nouvel élan aux mesures nationales, ce qui devrait diminuer les pressions qui s'exercent sur la Cour.

Je ne formulerai pas d'observations en ce qui concerne la mise en oeuvre partielle du Protocole : sa mise en oeuvre complète reste notre objectif. La mise en oeuvre partielle créerait en effet des problèmes complexes. Les propositions à venir de la présidence suédoise n'ont pas pour objectif de se substituer au Protocole mais de venir le compléter ».


Quelle réforme pour la Cour européenne des droits de l'Homme ?

Les conclusions du colloque organisé les 9 et 10 juin derniers à Stockholm envisagent une solution alternative en cas de non-ratification durable du protocole n° 14 par la Russie. À l'instar de la Cour suprême américaine, la Cour européenne des droits de l'Homme pourrait, ainsi, se voir doter d'un pouvoir discrétionnaire de sélection des affaires. Cette hypothèse ne peut apparaître que comme un pis-aller tant elle n'est pas en adéquation avec l'ambition initiale de la Cour européenne.

Le pouvoir accordé à la Cour suprême en 1988 répond, en effet, à un cadre particulier, celui d'un État fédéral, et à un rôle singulier, celui d'uniformiser le droit au niveau fédéral. Par ailleurs, le protocole n° 14 prévoit une simplification de la procédure (mécanisme de filtrage pour les affaires irrecevables et réduction du nombre de juges pour les affaires répétitives) et non une véritable sélection, la Cour suprême ne traitant in fine que 10 % des requêtes déposées chaque année.

La dimension budgétaire est également l'objet d'interrogations. Les crédits affectés à la Cour représentent en effet plus du tiers du budget du Conseil de l'Europe contre un quart en 1999. La proposition de M. Michel Hunault (Loire-Atlantique - NC) prévoyant la mise en place d'un financement national des juges de la Cour a été abordée lors de la réunion conjointe de la commission juridique et des droits de l'Homme et de la commission des questions économiques et du développement de l'Assemblée parlementaire du 26 juin.

Ancien envoyé spécial de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine, M. Carl Bildt a souhaité que le Conseil de l'Europe porte une attention particulière à l'Europe du Sud-Est et au Sud du Caucase. Soulignant les progrès observés dans ces régions en matière d'État de droit et de respect des droits de l'Homme, il a néanmoins pointé l'absence de véritable dialogue sur les scènes politiques nationales. Le ministre suédois a également relevé l'impossibilité de garantir un droit au retour des réfugiés et personnes déplacées. M. Bildt a également souhaité qu'une solution équilibrée puisse être trouvée pour résoudre les conflits gelés qui divisent le Caucase. Celle-ci devrait combiner autonomie locale et respect de l'intégrité territoriale. Il a également indiqué, lors des échanges avec l'hémicycle, son souhait d'ouvrir un dialogue avec la Biélorussie, dont le statut d'invité spécial a été suspendu en 1997. Il s'est également déclaré favorable à une contribution du Conseil de l'Europe à la promotion des droits de l'Homme et à la préservation du patrimoine culturel au Kosovo. Une politique active de la part des autorités kosovares demeure le préalable à toute adhésion du jeune État au Conseil de l'Europe.

M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) a souhaité, à ce sujet, interroger la présidence sur les modalités d'association du Conseil de l'Europe à l'élaboration de la politique européenne de voisinage :

« Le 22 janvier dernier, la Présidence slovaque indiquait devant cette Assemblée que le Conseil de l'Europe souhaitait, à l'avenir, être associé à l'élaboration de la politique européenne de voisinage de l'Union européenne.

Un certain nombre de pays concernés par cette politique, Belarus, pays du Maghreb et du Machrek, sont en effet déjà l'objet d'une attention particulière de la part de notre organisation au travers, notamment, d'échanges réguliers sur la situation des droits de l'homme sur place.

La qualité de l'expertise et la légitimité du Conseil de l'Europe sur ces sujets sont reconnues par nos interlocuteurs et pourraient s'avérer extrêmement utiles pour l'Union européenne dans le cadre de ses réflexions. Le rapport sur la mise en oeuvre de la politique de voisinage en 2007, présenté par la Commission européenne le 2 avril dernier, traduit en effet une préoccupation croissante de la Commission sur la situation des libertés publiques dans les pays concernés. Une complémentarité renforcée avec le Conseil de l'Europe s'inscrirait, en outre, dans le droit fil du rapport Juncker.

Le Comité des ministres a-t-il établi des premiers contacts avec la Commission européenne en vue de mettre en oeuvre ce partenariat et quelles seraient, le cas échéant, les modalités de celui-ci ? »

La présidence suédoise a souligné, dans sa réponse écrite, les avancées concrètes enregistrées en la matière :

« La coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne dans les pays participant à la politique de voisinage de l'UE est effectivement une question essentielle. J'aimerais rappeler que le Mémorandum d'accord conclu avec l'Union européenne l'année dernière dispose que les deux organisations «intensifieront leurs efforts communs en vue d'enrichir les relations paneuropéennes, y compris une coopération accrue dans [ces] pays».

Des mesures concrètes ont été prises pour donner effet à cet engagement. Pas moins de 5 nouveaux programmes conjoints de coopération Union européenne/Conseil de l'Europe concernant les 5 États membres du Conseil de l'Europe bénéficiaires de la PEV - à savoir l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldova et l'Ukraine en 2008 et 2009 - ont été signés en décembre dernier pour un montant total de 4 millions d'euros. Ces programmes couvrent diverses questions importantes : soutien à la tenue d'élections libres et équitables, promotion de la liberté des médias, création d'un réseau actif de structures non judiciaires indépendantes de défense des droits de l'homme, etc.

Le Conseil de l'Europe et la Commission européenne ont organisé une réunion au début de l'année pour faire le point sur la coopération avec les délégations des pays susmentionnés et examiner des possibilités de nouvelles initiatives.

Des échanges réguliers ont également lieu entre les deux organisations, tant au niveau des sièges qu'au niveau du terrain, afin de faire le point en commun sur la situation dans les pays concernés et de définir des activités conjointes.

Pour ce qui est des actions à venir, des discussions sont en cours avec la Commission européenne à propos de la conclusion éventuelle de nouveaux programmes conjoints dans les pays participant à la PEV ou au processus d'élargissement. J'espère sincèrement que ces négociations aboutiront.

Il est en effet dans l'intérêt des deux organisations de mettre leurs ressources et leur expertise en commun dans le but de renforcer la stabilité démocratique en Europe ».

Le rapprochement entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne était également au centre de la question de M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) :

« Le rapprochement entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne est souvent envisagé, en particulier depuis le rapport Juncker d'avril 2006.

Le Conseil européen du 14 décembre dernier a décidé, à l'initiative de la France, de créer un groupe de réflexion chargé d'envisager l'avenir de l'Union européenne à l'horizon 2020-2030.

Ce groupe sera présidé par l'ancien chef du Gouvernement espagnol, M. Felipe González, et sa composition définitive devrait être connue pendant la Présidence française de l'Union, qui commence dans quelques jours.

Parmi les sujets qu'il devrait aborder figure la question de l'État de droit, qui est au coeur des compétences du Conseil de l'Europe.

Le Président du Comité des ministres envisage-t-il d'associer le Conseil de l'Europe, et plus particulièrement l'Assemblée, aux travaux du groupe de réflexion, et quelle serait la façon de procéder pour assurer dans ce cadre les relations entre les deux institutions ? »

Le ministre suédois a insisté, dans sa réponse écrite, sur la nécessité de franchir une nouvelle étape dans le partenariat entre les deux organisations :

« L'initiative lancée par le Conseil européen mérite effectivement d'être mentionnée. L'avenir de l'Union européenne soulève de nombreuses questions qui méritent réflexion, notamment en ce qui concerne la primauté du droit. Il est vrai que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, le Conseil de l'Europe - dont tous les États de l'Union européenne sont membres - a acquis une expérience et une expertise importantes. Les plus de 200 Conventions européennes adoptées par le Conseil de l'Europe constituent l'acquis commun de l'Europe relatif à tous les aspects du fonctionnement des sociétés démocratiques fondées sur la primauté du droit et la promotion des droits de l'homme.

Ces conventions forment une base commune sur laquelle l'Union européenne peut s'appuyer pour définir ses actions futures. A cet égard, je souhaite rappeler que le Mémorandum d'accord récemment conclu entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne reconnaît que le Conseil de l'Europe et sa Convention européenne des droits de l'homme constituent la référence commune en matière de droits de l'homme.

De façon générale, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne s'accordent sur ce point. Notre mission principale est aujourd'hui de mettre en place les principes convenus d'un commun accord. Il importe donc de passer des paroles aux actes en démarrant les nombreux travaux communs qui nous attendent et de ne pas s'enliser dans de nouveaux débats de principe et de nouveaux accords formels.

Je suis convaincu que la prochaine réunion quadripartite entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne fournira une occasion d'aborder la question soulevée par l'honorable parlementaire ».

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