C. PRÉVENIR LA PREMIÈRE DES VIOLENCES FAITES AUX ENFANTS : L'ABANDON À LA NAISSANCE

Le phénomène d'abandon à la naissance demeure une réalité quotidienne à l'échelle du continent. Lié à de multiples raisons (déni de grossesse, grossesse précoce, sida, difficultés économiques, pauvreté), l'abandon à la naissance concerne principalement l'Europe centrale et orientale et réapparaît en Europe occidentale. Le retour des tours à bébés du Moyen-Âge en Allemagne, en Autriche, en Belgique et en Italie en atteste : des boîtes à bébés accessibles de l'extérieur permettent le dépôt anonyme de nourrisson, une alarme prévenant le personnel médical. L'enfant est alors enregistré et dispose d'un prénom et d'un nom. L'accouchement sous X en France est, pour sa part, qualifié de solution extrême par la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, l'enfant étant privé de filiation maternelle. La Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant de 1989 comme la jurisprudence de la Cour de cassation ont néanmoins assoupli cette procédure.

Le profil type de la mère en détresse demeure cependant délicat à tracer selon les zones géographiques concernées, la jeune femme sans autonomie (migrante irrégulière, prostituée) étant cependant un dénominateur commun.

La multiplication des abandons coïncide, par ailleurs, avec les difficultés pour les parents à adopter des enfants et l'émergence de véritables trafics d'enfants destinés à répondre illégalement à ces difficultés. L'attitude de certains États à l'égard de l'abandon d'enfants n'est pas sans susciter quelques interrogations au sein de la commission. La régularisation des enfants abandonnés contribuerait, en effet, à diminuer l'intensité du trafic.

M. André Schneider (Bas-Rhin - UMP) est revenu sur l'interaction entre les phénomènes d'abandon à la naissance et le trafic d'enfants, soulignant la multiplicité de difficultés rencontrées par les parents souhaitant adopter légalement :

« Le rapport de notre collègue, M. Hancock, attire notre attention sur un phénomène douloureux qui ne se dément pas, celui de l'abandon des enfants à la naissance.

Certes, cela n'est pas nouveau comme le rappelle le rapporteur, car la détresse de mères souvent jeunes et sans autonomie a toujours existé, mais le phénomène perdure, y compris en Europe occidentale. Les causes sont toujours les mêmes : pauvreté, difficultés économiques, maladies telles le sida, handicaps, ou bien grossesses précoces ou déniées.

Cela interroge bien entendu nos politiques familiales car élever un enfant a un coût. C'est le cas aussi pour l'accompagnement psychosocial toujours nécessaire dans nos sociétés, de ces mères en difficulté. De ce point de vue le projet de résolution qui nous est proposé et qui prévoit l'aide à la création et au développement de lieux d'accueil et d'hébergement temporaire du couple mère/enfant, va dans le bon sens.

Le rapporteur signale la réapparition des tours à bébés dans de nombreux pays tels que l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, c'est-à-dire de boîtes à bébés accessibles de l'extérieur, où le bébé est ensuite pris en charge et confié à des parents nourriciers en attendant son adoption. Cela peut paraître choquant et bien entendu la controverse existe.

De même que la légalisation de l'avortement visait à prendre en compte une réalité sociale existante en vue de protéger les femmes sans que l'avortement paraisse pour autant souhaitable, de même on peut penser que ces tours à bébés ne font que prendre en compte la réalité de l'abandon des nouveau-nés. C'est un moindre mal par rapport à l'infanticide, la maltraitance ou même l'avortement.

C'est cette même logique qui a prévalu en France avec l'accouchement sous X qui permet à la femme d'accoucher dans l'anonymat, principe qui semble choquer le rapporteur. Cependant, ainsi, l'enfant vient au moins au monde et a une chance de construire une histoire puisqu'il devient adoptable. L'adoption par une famille semble en effet une voie à privilégier plutôt que l'institutionnalisation des enfants abandonnés, dont la Roumanie a montré dans le passé toutes les limites et les faiblesses.

L'adoption est devenue difficile car les bébés sont rares et les réglementations exigeantes, rendant parfois bien lourdes les procédures pour les candidats à l'adoption. Le rapporteur note par ailleurs que l'adoption est précisément devenue un marché lucratif. Les journaux des pays européens font état de ventes et trafics de nouveau-nés en vue d'adoption illégale. Il est important de lutter contre ces dérives.

Bien sûr, il n'y a pas de recette miracle pour éradiquer le phénomène de l'abandon des nouveau-nés, mais le projet de résolution qui nous est soumis apporte des éléments de réponse. En conséquence, je soutiens totalement les conclusions du rapporteur . »

La résolution attire l'attention sur la question des droits induite par l'abandon d'enfants à la naissance. Aux droits de la mère, il convient en effet d'ajouter ceux de l'enfant lui-même et du père. Celui-ci peut ignorer la grossesse et n'est pas forcément consulté par la mère sur le choix d'abandonner le nourrisson. M. Laurent Béteille (Essonne - UMP) a néanmoins souligné l'évolution des mentalités en faveur d'une reconnaissance des droits du père :

« Je félicite M. Hancock pour la qualité de son rapport, qu'il a défendu avec des accents très émouvants.

L'abandon des enfants est un scandale qui a toujours existé et qui, malheureusement, existera sans doute toujours. Même si cette idée nous est insupportable, il nous faut bien adapter nos législations à cette réalité, en essayant de trouver les moins mauvaises solutions possibles. C'est à dessein que j'emploie cette expression, car je crois que, en la matière, aucune législation ne peut apporter de solution idéale. Idéalement, il faudrait en effet que tous les enfants viennent au monde désirés, dans des familles équilibrées et ayant les moyens de les élever. Malheureusement, la réalité n'est pas toujours celle-là.

On constate toutefois que le phénomène diminue. Ainsi, en France, les accouchements sous X sont en constante diminution. Il n'en faut pas moins poursuivre les efforts en direction des femmes les plus vulnérables, leur offrir une prise en charge dès le début de leur grossesse, avoir des entretiens à la fois sociaux et médicaux avec elles, leur présenter les solutions qui leur permettraient d'élever leurs enfants, leur laisser le temps de la réflexion. Cela dit, les enquêtes montrent que les femmes qui envisagent l'abandon sont souvent de très jeunes femmes, voire des adolescentes ; ce sont aussi des femmes confrontées à des situations sociales ou affectives très difficiles, beaucoup d'entre elles sont victimes de violences conjugales. Tout cela fait qu'elles ressentent l'abandon comme une nécessité.

La loi du 22 janvier 2002 permet aux pères de faire valoir leurs droits en s'adressant à l'autorité judiciaire pour qu'une recherche soit faite afin d'établir la filiation paternelle. Ce même texte a créé un Conseil national d'accès aux origines personnelles, qui organise la réversibilité du secret. On propose aux mères de laisser sous enveloppe scellée leur identité, afin qu'éventuellement, plus tard, l'enfant puisse savoir d'où il vient. Rien n'est possible sans l'accord des mères, mais une médiation est organisée pour les inciter à lever le secret, si du moins la vie qu'elles se sont construites ensuite le leur permet.

Encore une fois, il n'y a pas de solution idéale pour un problème pareil, mais je crois que l'on va tout de même dans la bonne direction. »

Le texte invite à cet égard les États membres à promouvoir le droit de l'enfant de vivre dans sa famille et celui de connaître ses origines. La résolution appelle également à la mise en oeuvre de politiques de lutte contre l'abandon des nouveau-nés. Celles-ci passeraient notamment par la prévention et l'accompagnement des maternités précoces, l'aide à la création et au développement de lieux d'accueil et d'hébergement temporaire du couple mère/enfant.

M. François Rochebloine (Loire - UMP) a tenu à exprimer ses réserves quant à certaines de ses options :

« Le souci de l'enfant et de sa dignité, qui a suscité la préparation du rapport de notre collègue M. Hancock, est largement partagé sur les bancs de cette Assemblée. L'affirmation des droits de l'enfant a été considérée à juste raison par l'Organisation des Nations unies comme l'une des valeurs de portée universelle, pouvant rassembler les bonnes volontés partout dans le monde. Je partage ce voeu. Malheureusement, les choses de la vie ne sont pas aussi simples que les principes. Les situations nationales sont diverses, les réformes législatives aussi, les éléments de comparaison internationale inclus dans le rapport sont là pour en témoigner.

Le rapport qualifie de « première des violences faites aux enfants » l'abandon dès la naissance. Veut-il dire par là qu'elle est la première, chronologiquement et logiquement, ou qu'il s'agit de la violence fondamentale d'où découlent toutes les autres ? Il semble que la rédaction du texte n'exclut aucune de ces interprétations : c'est peut-être le levier d'une critique.

Ce qui me frappe dans la démarche générale du rapport, fidèle en cela à une idéologie répandue dans l'opinion, c'est que le droit de l'enfant est perçu comme une prérogative subjective de l'individu, à concilier avec les prérogatives d'autres individus qui sont ses parents. L'abandon d'enfant est dès lors considéré comme une atteinte à un statut dont chaque individu dispose et qui est composé d'une pluralité de droits juxtaposés.

Dans une telle logique, l'affirmation selon laquelle l'abandon d'enfant aurait une moindre importance si la contraception et l'avortement étaient facilités, peut paraître d'une froide évidence matérialiste, voire d'un fatalisme inquiétant. Je ne suis pas sûr que le rapporteur ait perçu toutes les conséquences logiques possibles de ce type de raisonnement...

La priorité donnée, dans la conception dominante des pays riches, à une approche strictement individualiste de l'homme dès sa prime enfance et tout au long de sa vie, trouve, d'une manière plus générale, sa limite dans l'affirmation, par ailleurs de bon sens, selon laquelle l'enfant a le droit de vivre dans une famille et de connaître ses origines. C'est reconnaître que le droit de l'enfant en tant que personne digne de respect se vit non pas dans l'isolement de l'individu, mais dans la réciprocité d'une relation dont la famille est le cadre nécessaire.

Je n'ignore pas qu'il existe de nombreuses situations concrètes qui rendent aléatoire la réalisation de ce schéma. Je me garderai bien de porter un jugement a priori sur les comportements qui constituent ces situations, mais je pense que si, au lieu de partir de l'individu, on partait du lien social, si l'on favorisait plus systématiquement par des mesures et par un climat appropriés l'équilibre dans les familles, on éviterait sans doute bien des situations dont la réalisation a été l'origine de ce rapport.

Pas plus que la commission, je ne me réjouis de la multiplication des tours à bébés, mais je remarque que, de l'autre côté de la tour, il y a une famille qui restaure, au moins partiellement, la relation réciproque. C'est pourquoi je préférerais que la lutte contre les abandons d'enfants passe par les moyens propres à reconstituer effectivement le tissu familial d'origine, plutôt que par une exacerbation de l'individualisme, car cet individualisme n'est pas loin des formes les plus développées de l'esprit de commerce et de lucre dont les pratiques de l'adoption internationale rappelées dans le rapport maintiennent la persistance.

Telles sont les réserves que je voulais formuler, tout en approuvant ce qui dans ce texte fait avancer la prise de conscience des ravages que peut exercer le choc de l'abandon sur les personnes éminemment sensibles que sont les jeunes enfants. »

La résolution prévoit également un volet destiné à combattre le trafic d'enfants au travers, notamment, d'une incitation financière à l'enregistrement de l'enfant à la naissance. Elle invite, en outre, les États à prévoir des procédures transparentes d'abandon des nouveau-nés aux fins d'adoption nationale et internationale. Des délais raisonnables pourraient permettre à la mère de se rétracter, sans négliger le consentement éventuel du père ni priver l'enfant d'accéder un jour à la connaissance de ses origines.

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