D. LA MISE EN oeUVRE PAR L'ARMÉNIE DE LA RÉSOLUTION 1609 (2008) DE L'ASSEMBLÉE

La résolution n° 1609 (2008) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie, adoptée lors de la précédente partie de session, prévoit la possibilité de suspendre le droit de vote de la délégation arménienne au sein de l'Assemblée, si Erevan ne répond pas à quatre conditions susceptibles de surmonter la crise politique :

• l'abrogation, conformément aux recommandations de la Commission de Venise, des restrictions à la liberté de réunion introduites par les amendements apportés le 17 mars 2008 à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations. Ces modifications avaient été introduites dans un pays alors en plein état d'urgence ;

• l'ouverture d'une enquête indépendante sur les événements du 1 er mars dernier. Une manifestation de l'opposition à Erevan dispersée dans l'après-midi avait alors conduit à de nombreuse arrestations et à l'instauration de l'état d'urgence pour 20 jours, marqué de nombreuses campagnes d'intimidation de la population ;

• la libération immédiate des personnes détenues arbitrairement pour raisons politiques ;

• l'ouverture d'un dialogue entre toutes les forces politiques en présence en vue de réformer le système politique et judiciaire arménien pour garantir les libertés fondamentales.

L'examen du respect de ces critères était prévu à l'ouverture de la troisième partie de session 2008. Le rapport de la commission de suivi, rédigé par MM. Georges Colombier (Isère - UMP) et John Prescott (Royaume-Uni - SOC), permet de dessiner un premier bilan. Il souligne les progrès législatifs enregistrés concernant la liberté de réunion et demande qu'ils se traduisent désormais dans la pratique. La manifestation de l'opposition, organisée le 20 juin dernier sans grande difficulté, apparaît, à cet égard, comme un signal positif.

La création d'une commission d'enquête parlementaire sur les événements du 1 er mars 2008, même tardive, témoigne également de la bonne volonté des autorités, sans toutefois présenter les gages d'impartialité et d'indépendance que le Conseil de l'Europe est en droit d'attendre. Les rapporteurs ont à cet effet appelé à la mise en place d'un véritable règlement, rappelant clairement la mission de la commission d'enquête et permettant son ouverture aux experts internationaux, dotés le cas échéant d'un droit de vote. La résolution propose, à cet égard, que le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe favorise la participation desdits experts à cette commission.

Les rapporteurs sont plus réservés sur la question des détentions arbitraires de prisonniers politiques, tant les progrès enregistrés ne répondent que partiellement aux demandes formulées par l'Assemblée parlementaire. La résolution invite, en conséquence, l'Assemblée nationale arménienne à adopter une loi d'amnistie générale relative aux événements du 1 er mars 2008. Le dialogue politique souffre, quant à lui, d'une crispation des rapports entre le pouvoir et l'opposition, ayant abouti au boycott des rencontres par celle-ci.

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), intervenant au nom du groupe socialiste, a tenu à rappeler les efforts fournis par l'Arménie pour démocratiser ses institutions depuis son accession à l'indépendance :

« Nous voici rassemblés, une fois encore dans le cadre d'un nouveau débat d'urgence, sur la situation de la démocratie en Arménie, au lendemain de l'élection présidentielle.

Nos collègues, John Prescott et Georges Colombier, dans un rapport dont je salue, à nouveau, la qualité et la rigueur, ont jugé insuffisants les progrès réalisés par les autorités arméniennes au regard des exigences qui leur avaient été formulées ici même, voilà deux mois environ par notre Assemblée.

Même si nous ne saurions remettre en cause ici la légitimité d'un tel débat au regard des arguments qui ont été mis en avant par les auteurs de ce rapport, on ne peut, toutefois, manquer de s'interroger sur l'extrême sollicitude qui entoure l'Arménie ! Chacun le sait, ce pays, s'il apparaît aujourd'hui meurtri par les troubles post-électoraux qui ont été décrits devant notre Assemblée, n'a pourtant jamais démérité depuis son indépendance si l'on en juge par les efforts entrepris ces dix-sept dernières années pour démocratiser ses institutions.

C'est pourquoi, aux yeux du groupe socialiste, la crédibilité de l'Arménie en tant que membre du Conseil de l'Europe ne saurait être remise en cause et je remercie les rapporteurs pour les conclusions qu'ils ont formulées en ce sens. En effet, le débat qui nous rassemble, aussi légitime qu'il soit, intervient dans un contexte très difficile pour l'Arménie et nous devons tous souhaiter la pleine réussite du Président Sarkissian et de son gouvernement dans les missions qu'ils viennent de se fixer pour assurer la sécurité, la paix civile, l'intégrité du territoire arménien et de ses habitants, en garantissant la poursuite de son développement socio-économique initié précédemment par Robert Kotcharian.

Certes, nul ne conteste que les progrès accomplis soient insuffisants au vu des attentes de l'Assemblée. Et chacun convient que les autorités n'ont sans doute pas fourni de résultats tangibles aptes à répondre totalement à toutes nos demandes, exprimées il y a seulement deux mois, il faut le noter, lors de notre précédente session. Nous devons, toutefois, nous féliciter que des progrès, demandés dans la résolution 1609 de l'Assemblée, aient déjà été accomplis. J'en veux pour preuve la loi relative à la tenue de réunions et manifestations, conformément aux normes du Conseil de l'Europe. Je pense également à la manifestation qui a pu être organisée librement par l'opposition le 20 juin. Enfin, chacun se félicite de la mise en place, au sein de l'Assemblée nationale, d'une commission chargée d'enquêter sur les événements du 1 er mars dernier.

Nous sommes également conscients que des progrès restent encore à accomplir sur certaines des conditions à remplir pour mettre fin à la crise. C'est le cas notamment des conditions de détention de certaines personnes au sujet desquelles notre commission n'a pas manqué de s'interroger. De même, nous ne pouvons que souhaiter que chacun saisisse à présent l'occasion qui est offerte de dialoguer entre toutes les forces en présence pour permettre d'avancer ensemble de façon significative.

Plus que jamais, la responsabilité de notre Assemblée est de permettre au peuple arménien et à ses forces politiques de progresser dans le cadre du dialogue démocratique que nous appelons tous de nos voeux, sur le chemin de l'unité, de la paix et du rayonnement de l'Arménie avec la vigilance de la communauté internationale et du Conseil de l'Europe.

C'est pourquoi, mes chers collègues, au regard des avancées déjà accomplies - bien que des progrès restent à concrétiser et que je regrette le retard pris par les autorités pour y satisfaire -, je vous demande, au nom du groupe socialiste, de voter les conclusions qui nous sont proposées dans ce rapport et de poursuivre jusqu'à la session de janvier 2009, dans un esprit de bienveillance, l'examen de l'étendue de la conformité de l'Arménie avec les recommandations de la résolution 1609 de l'Assemblée. »

M. François Rochebloine (Loire - NC) a souhaité, quant à lui, insister sur la brièveté du délai accordé à l'Arménie pour se réformer :

«Je veux tout d'abord féliciter la commission de suivi et, au premier chef, ses deux corapporteurs, Georges Colombier et John Prescott, pour la qualité et la précision de leur rapport. Je suis sûr qu'ils ont accompli leur mission sur place avec la même détermination et qu'ils se sont donné ainsi les meilleures chances de succès.

Ils ont tout particulièrement raison d'appeler les parties en présence à sortir du cercle vicieux qui consiste pour les uns à proposer une négociation politique dans des conditions imparfaites et, pour les autres, à prendre prétexte de ces critiques pour se refuser à toute négociation. Il n'y a pas de solution constructive pour le futur de l'Arménie sans que toutes les forces politiques de la majorité comme de l'opposition acceptent d'entrer dans un processus global de dialogue. Je suis d'accord avec nos rapporteurs pour penser que la libération de toutes les personnes actuellement détenues pour des raisons politiques est un préalable nécessaire et je souhaite que les autorités arméniennes fassent ce geste qui correspond à la pratique normale de la démocratie.

Je comprends que nos rapporteurs pressent les autorités arméniennes à agir le plus rapidement possible pour assurer le retour effectif à une vie démocratique et civique normale. Ils sont dans leur rôle. Cependant en même temps, ils ont l'honnêteté de reconnaître que le temps imparti aux Arméniens pour se conformer aux suggestions de la Commission de Venise est bien court compte tenu des délais nécessaires à l'accomplissement des procédures permettant la mise en oeuvre de ces suggestions. Je rappelle que la résolution 1609, qui est le fondement juridique du rapport, a été adoptée le 17 avril 2008, il y a à peine plus de deux mois : c'est un délai bien court pour dresser un bilan et nos rapporteurs ont eu raison de ne pas faire de la tenue du présent débat une date butoir.

De fait, on ne peut pas à la fois souhaiter, à juste titre, que le processus de rétablissement de la cohésion nationale dans une société plus libre fasse droit au plus grand nombre possible de points de vue, y compris celui des experts internationaux, et impartir un délai exagérément court à la conduite de ce processus. On ne peut pas critiquer, en Europe occidentale, les méfaits de procédures législatives bâclées ou trop chargées et demander au Parlement arménien de légiférer au pas de charge, une fois acquises les mesures indispensables telles que le rétablissement de la liberté de réunion et de manifestation.

Après s'être félicité de cette décision, le rapport relève avec objectivité les diverses dispositions prises par les autorités arméniennes : à savoir permettre à la manifestation organisée par l'opposition ce 20 juin de se dérouler librement ainsi que de constituer une commission d'enquête parlementaire sur les événements du 1 er mars 2008.

A côté de ces mesures hautement symboliques, le rapport ne recule pas devant des préconisations beaucoup plus détaillées. Les réformes de la procédure parlementaire qu'il propose atteignent un degré de précision qui ne se retrouve pas nécessairement dans la pratique - pourtant parfaitement démocratique - de bien des parlements nationaux ici représentés.

Alors, oui, je souhaite que l'adaptation nécessaire des dispositions législatives soit conduite avec détermination, mais sans précipitation. Je souhaite que les comportements des autorités publiques et de ses agents se conforment effectivement aux directives reçues du Parlement et du Président de la République, mais je demande qu'on laisse à l'Arménie un délai raisonnable pour mettre en oeuvre la volonté de réforme dont ses actuels dirigeants ont déclaré être animés. Je souhaite pour le peuple arménien et ses dirigeants le traitement équitable dont la défense fait un des titres de gloire du Conseil de l'Europe ».

Compte tenu des réserves exprimées par les rapporteurs mais aussi du court las de temps compris entre l'adoption de la résolution 1609 (2008) en avril dernier et l'étude de la commission de suivi, la résolution invite l'Assemblée à se réunir à nouveau en janvier 2009 en vue d'examiner l'étendue du respect des critères précités.

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