C. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES EN EUROPE ET ÉVOLUTION DE LA PROCÉDURE DE SUIVI DE L'ASSEMBLÉE

Le rapport de la commission de suivi présenté dans le cadre de la discussion commune sur la situation de la démocratie en Europe concerne onze États membres (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Moldova, Monaco, Monténégro, Fédération de Russie, Serbie et Ukraine) ainsi que trois pays avec lesquels s'est engagé un dialogue post-suivi (Bulgarie, Turquie et ex-République yougoslave de Macédoine).

Le fonctionnement des institutions démocratiques rencontre, au sein de ces États, un certain nombre de difficultés récurrentes. La question de la séparation des pouvoirs demeure à cet égard centrale, tant l'absence de contrôle parlementaire efficace est tangible en Arménie, en Azerbaïdjan, en Géorgie, en Russie. Une réforme constitutionnelle est même préconisée en Bosnie-Herzégovine, à Monaco et en Ukraine. L'intégration de Monaco dans cette liste n'est pas sans susciter quelques interrogations au regard de l'absence de profonde dérive au sein de son système politique. M. Michel Dreyfus-Schmidt (Territoire-de-Belfort - SOC) et plusieurs de ses collègues ont donc souhaité amender la résolution en vue de reconnaître la spécificité de la principauté (2 ( * )). Il a, à cette occasion, déclaré :

« Qu'il soit nécessaire de séparer davantage les pouvoirs à Monaco, pourquoi pas, si cela doit être fait ; en revanche nous estimons tout à fait excessif de viser expressément Monaco en même temps que la Bosnie-Herzégovine et l'Ukraine et de dire qu'il y a lieu de procéder à une réforme constitutionnelle de toute urgence. Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, si l'on me permet l'expression ».

L'amendement, ayant reçu un avis défavorable de la commission, n'a pas été adopté.

Selon le rapport, la question de l'indépendance du pouvoir judiciaire se pose également en Arménie, en Azerbaïdjan, en Bulgarie, en Géorgie, à Monaco, en Serbie, en Russie et en Ukraine.

Une réforme électorale apparaît également indispensable au sein de plusieurs des États membres suivis. Le seuil électoral en Russie ou en Turquie est encore trop élevé, alors que l'absence d'administration électorale à la fois impartiale et efficace pèse encore sur les scrutins des États suivis, à l'exception de Monaco et de la Serbie.

Monaco n'est également pas concernée par la demande formulée par la commission de suivi d'une poursuite des réformes destinées à garantir la liberté de la presse et assurer le pluralisme des médias. La commission appelle également de ses voeux la mise en oeuvre d'une véritable décentralisation, saluant les progrès enregistrés en la matière en Arménie ou en Moldavie.

Le texte insiste également sur la question du financement des formations politiques et la nécessité de mettre en place des organes de contrôle indépendants, en vue notamment de limiter les risques de corruption. Celle-ci demeure, de façon générale, endémique dans les États suivis, sans que des instruments de prévention, mais également de répression, efficaces ne soient créés.

Invité à intervenir avant le débat sur le texte, M. Miklos Marschall, directeur régional pour l'Europe et l'Asie de Transparency International (3 ( * )) a souhaité mettre en avant l'expérience de son organisation en la matière. Selon lui, toute lutte contre la corruption n'est pleinement efficace que si elle s'accompagne de véritables réformes au plan économique, destinées notamment à réduire l'économie informelle. Elle doit, de surcroît, être menée par des agences indépendantes, dotées d'un mandat clair. La question de la confiance demeure également centrale, tant celle-ci est nécessaire entre les citoyens et l'État et entre les entreprises. Elle doit s'appuyer sur un système de contre-pouvoirs, dont nombre des États concernés par la résolution ne sont pas dotés. Le cadre juridique est également essentiel, l'utilisation de la prescription devant être parcimonieuse.

La résolution souligne également l'importance des conflits gelés dans certains de ces États (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie et Moldova), dont les conséquences sur la vie politique interne sont indéniables. Elle réaffirme l'attachement du Conseil de l'Europe au principe de respect de l'intégrité territoriale, insistant sur l'intérêt de la coopération interparlementaire dans la recherche d'une solution pacifique, satisfaisante pour l'ensemble des parties.

Dépassant le cadre des quatorze États cités, la résolution vise également les risques de fraude électorale induits par le système électoral britannique. La Suède, la Suisse, le Royaume-Uni, la Norvège, le Portugal, la Slovénie, Saint-Marin, la Slovaquie, la Roumanie, la Pologne et l'Espagne sont, quant à eux, exhortés à ratifier un certain nombre de conventions du Conseil de l'Europe.

M. Jean-Paul Lecoq (Seine-Maritime - GDR), intervenant au nom du groupe GUE, a, à cet égard, souligné la nécessaire universalité de la procédure de suivi, mission essentielle du Conseil de l'Europe :

« Le débat d'aujourd'hui apparaît comme une saine piqûre de rappel quant aux missions premières du Conseil de l'Europe, que l'on peut résumer par ce triptyque : droits de l'Homme, démocratie, primauté du droit. Le Conseil n'aura d'avenir que s'il se concentre sur ces vertus cardinales, nécessairement actualisées pour mieux prendre en compte l'évolution du monde contemporain.

Cette modernisation de nos valeurs passe par le travail inlassable des commissions de cette Assemblée et par les débats qui nous réunissent régulièrement dans cet hémicycle. Cette ambition ne doit pas, pour autant, nous détourner des objectifs fondamentaux qui sont les nôtres et qui s'incarnent pleinement dans les rapports de la commission de suivi. Ceux-ci viennent souligner combien l'adhésion au Conseil de l'Europe ne saurait être considérée comme un aboutissement, tant pour les nouveaux États membres que pour ses fondateurs.

La démocratie est une exigence quotidienne. Il n'existe, à cet égard, pas de modèle parfait, juste un certain nombre de critères communs permettant de garantir sa légitimité aux yeux du citoyen. La procédure de suivi de l'Assemblée est là pour vérifier l'adéquation de ces critères à la réalité politique des États membres. De fait, si le rapport insiste sur les jeunes démocraties de l'Est, il ne néglige pas, comme le souligne son addendum, les régimes établis et reconnus, à l'instar du Royaume-Uni. La France figurera, à n'en pas douter, dans le rapport suivant ; la démocratie est, en effet, sans cesse perfectible. De l'alliance entre suivi du fonctionnement des institutions nationales et adoption de nouvelles conventions du Conseil de l'Europe dépend, sans doute, l'avenir du cadre démocratique sur le continent. L'objectif est le même dans les deux cas : renforcer le lien entre élites politiques et citoyens.

Je m'interroge néanmoins sur la nécessité de renforcer le suivi de nos États dont le caractère libéral, au sens démocratique du terme, n'est plus l'objet d'une quelconque contestation. D'un bout à l'autre du continent, la démocratie demeure, en effet, inachevée. Les hésitations des peuples entre intégration et construction européenne soulignent à quel point l'idée d'une souveraineté populaire plus active demeure d'actualité. L'âge des « démocraties moyennes », combinant souveraineté du peuple et gouvernement représentatif, est, ainsi, peut-être passé. Il appartient au Conseil de l'Europe, sur le fondement de l'expérience qui est la sienne, d'ausculter nos démocraties et de proposer des pistes de réflexion dans ce domaine. Le suivi des institutions démocratiques en sortirait encore plus légitimé.

Au travers de la procédure de suivi et des recommandations qui en découlent, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire ne visent pas non plus l'exclusion ou l'isolement des États membres concernés. Ils souhaitent avant tout accompagner les procédures de modernisation des systèmes politiques afin que les droits fondamentaux puissent être garantis et respectés. Aussi dures soient les conclusions des rapports, elles doivent avant tout être envisagées comme autant de tentatives d'amélioration pour l'avenir.

Au sein du Conseil de l'Europe, l'Assemblée parlementaire dispose d'une place particulière. Elle ne répond pas à une quelconque logique diplomatique et peut, sans complaisance, réaffirmer inlassablement les valeurs du Conseil. Il en va de sa crédibilité qu'elle puisse agir de la sorte et exprimer avec force les principes pour lesquels elle se réunit. Nous devons donc être particulièrement vigilants à l'écho donné à la procédure de suivi au sein des États concernés. Nous ne pouvons rester sans voix face au cynisme qui pourrait présider à la lecture de nos conclusions sur d'éventuels dysfonctionnements ou de véritables violations.

Le Groupe pour la gauche unitaire européenne soutient les conclusions du rapport de M. Holovaty. Il entend également accompagner concrètement tous ceux qui luttent pour améliorer la situation de la démocratie dans nos pays, souvent contre des forces qui théorisent la démocratie sans véritablement agir en sa faveur. N'est-ce pas là le comble de l'hypocrisie ?

J'invite notre Assemblée à réfléchir à l'efficacité de son dispositif qui, s'il présente d'énormes avantages, n'en demeure pas moins fragilisé par l'impossibilité de rendre pleinement efficientes nos recommandations. La modernisation nécessaire du Conseil de l'Europe passe notamment par ce biais, sa légitimité et son poids également ».

* (2) Cet amendement a été cosigné par MM. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF), Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) et Georges Colombier (Isère - UMP).

* (3) Transparency International est une organisation issue de la société civile qui se consacre à la lutte contre la corruption. Elle se décline en 80 sections nationales, destinées à sensibiliser l'opinion publique aux effets dévastateurs de la corruption. Elle travaille en coopération avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile afin de développer et mettre en oeuvre des mesures visant à l'enrayer. Elle établit un classement des pays en fonction du degré de perception de la corruption qui y est ressenti.

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