B. LE FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS DÉMOCRATIQUES EN AZERBAÏDJAN

Le rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi, vient souligner une nouvelle fois les difficultés rencontrées par un certain nombre d'États issus de l'ancienne Union soviétique pour s'affranchir de traditions autocratiques. Membre du Conseil de l'Europe depuis 2001, l'Azerbaïdjan n'a, en effet, toujours pas connu d'élection conforme aux normes internationales. Aucune garantie n'est, par ailleurs, apportée aux libertés fondamentales. Les restrictions imposées à la liberté d'expression sont manifestes et prennent des formes diverses : harcèlement des journalistes, utilisation exagérée des procès en diffamation, emprisonnement arbitraire, voire agressions physiques, comme le souligne le cas du journalise Agil Khalil, poignardé en toute impunité. Des limitations semblables sont apportées aux droits de réunion et d'association, rendant impossible toute organisation de l'opposition.

L'absence d'indépendance de la magistrature et la généralisation de la corruption au sein de l'appareil judiciaire rendent parallèlement impossible toute protection effective des citoyens, en dépit d'un plan d'action quadriennal adopté par les autorités locales en 2007. De nombreux cas d'allégations de torture visent parallèlement les procédures d'enquête menées par la police ou l'armée. Les progrès enregistrés ça et là demeurent à cet égard tout relatifs.

La question des prisonniers politiques, déjà soulevée par neuf résolutions de l'assemblée depuis 2002 (1 ( * )) , demeure d'actualité. Si la résolution salue les décrets de grâce présidentielle de décembre et mars dernier libérant 173 prisonniers politiques, elle s'interroge sur le cas de trois journalistes maintenus en détention ainsi que sur l'absence de visée politique de la loi d'amnistie du 8 mai 2007. Celle-ci a permis la libération de 9 000 personnes, toutes condamnées pour des infractions mineures, aucune personne incarcérée pour un délit d'opinion n'étant concernée.

M. François Loncle (Eure - SRC) s'est associé aux réserves de M. Michael Hancock (Royaume-Uni - ADLE), exprimées lors du débat :

« Je respecte, bien entendu, le travail de la commission et des deux rapporteurs, nos collègues estoniens et bulgares. Si les principaux éléments de la résolution doivent être incontestablement pris en compte, j'aurais tendance à partager, en partie, les réserves exprimées par notre collègue britannique M. Hancock. Oui, l'élection présidentielle du 15 octobre prochain doit se dérouler conformément aux normes démocratiques fondamentales ! Pour cela, j'insisterai sur deux points. D'une part, il convient de fournir gratuitement aux partis et formations politiques - c'est le texte du projet de la résolution -, dans des conditions équitables, un temps d'antenne et des colonnes dans les médias financés par l'État ; le droit d'expression doit être équitable et libre. Je constate d'ailleurs que c'est loin d'être le cas dans de nombreux pays qui siègent ici. Je sais que ce n'est pas le moment ; mais je pourrais vous dire la manière dont le pouvoir politique, chez nous, aspire à contrôler quasiment totalement les médias publics et privés, directement ou indirectement. D'autre part, il convient de garantir le droit, pour l'opposition, d'organiser des rassemblements publics.

En outre, l'Azerbaïdjan doit accentuer ses efforts, exprimer une volonté politique forte pour éradiquer la corruption et bâtir un appareil judiciaire indépendant. Les pouvoirs publics, les autorités politiques, ne pourront pas atteindre ces objectifs seuls. Pour y parvenir, il convient de faciliter l'émergence et le développement de la société civile. Il existe un lien étroit, partout dans nos pays, entre la capacité à élever le niveau démocratique d'un pays et l'épanouissement de la société civile. Les associations, en particulier, doivent jouer leur rôle, sans obstacle, sans entrave.

Un point clef a été soulevé, d'ailleurs dans des sens contradictoires, dans l'excellent rapport de nos amis rapporteurs. Il a également été repris dans la résolution. Dans l'Azerbaïdjan actuel, il y a un problème majeur, le Haut-Karabakh.

Contrairement à M. Jacobsen, je pense qu'il est important de souligner, et cela figure dans le rapport, que l'évolution démocratique durable en Azerbaïdjan sera extrêmement difficile tant que l'intégrité territoriale du pays n'aura pas été restaurée. A cet égard, on peut approuver - ce que bien des pays n'ont pas fait, y compris le mien - la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies. On constate de l'inertie, un piétinement, - je ne sais comment qualifier ce fait - du Groupe de Minsk, composé de trois pays : la Russie, les États-Unis et la France. Jusqu'à aujourd'hui, ceux-ci n'ont pas obtenu de résultats significatifs pour mettre fin au conflit, alors que la fin du conflit signifierait, à coup sûr, la perspective d'un développement démocratique complémentaire en Azerbaïdjan. »

Les rapporteurs refusent, en effet, de mésestimer le poids du conflit du Haut-Karabakh dans un tel raidissement, la résolution considérant l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan comme un des préalables à l'évolution démocratique du pays.

M. François Rochebloine (Loire - NC) a néanmoins tenu à exprimer ses réserves sur ce point :

« Le rapport de nos collègues Andrès Herkel et Evguenia Jivkova nous frappe dès l'abord par sa rédaction minutieuse. Au-delà de la qualité formelle de l'exposé, l'accumulation d'observations critiques sur de nombreux points de la vie collective en Azerbaïdjan permet de se représenter en un instant la gravité des atteintes quotidiennement portées aux droits de l'Homme dans ce pays.

Faut-il voir là une malédiction ? Ou tout simplement la traduction d'une incapacité durable ? Au-delà des formules convenues que nous connaissons tous, le rapport ne laisse, en tout cas, guère d'espoir d'une amélioration rapide.

Nos collègues font, notamment, ressortir le contraste entre la prospérité confirmée de l'économie azerbaïdjanaise, portée par le pétrole, et l'organisation de la société en clans, témoin décalé d'une époque révolue. Il ne faudrait pas pour autant donner à penser que la prospérité économique a pour conséquence nécessaire une plus grande liberté. Les choses ne sont, hélas, pas si simples, et la situation de l'Azerbaïdjan est là pour le rappeler.

Parmi les plaies de la société azerbaïdjanaise, le rapport dénonce, à juste titre, la corruption généralisée. Les nations occidentales ont mis du temps à comprendre que les respects des règles démocratiques et de la transparence étaient aussi des atouts pour le développement des activités économiques : à long terme, la corruption n'est pas source de profits. Malheureusement, une telle conviction ne s'impose pas par la force. Les rapporteurs affirment que les pouvoirs publics en Azerbaïdjan ont pris conscience du problème. J'en accepte bien volontiers l'augure et je souhaite que la commission de suivi, comme elle sait très bien le faire, prenne les autorités au mot de leurs promesses.

Je m'associe également sans réserve aux appels lancés par le rapport en faveur de personnes détenues pour délit d'opinion dans des conditions non-conformes aux exigences de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Je déplore que l'amnistie très sélective octroyée par les pouvoirs publics n'ait bénéficié qu'aux personnes les moins lourdement condamnées.

Je voudrais enfin insister sur le passage du rapport consacré au Haut-Karabakh, et faire part de mon désaccord sur deux points importants. Je regrette, d'abord, qu'il reprenne sans la moindre distance critique la formulation très contestable de la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies réclamant le retour pur et simple à l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan. Je déplore également qu'il ne s'arrête pas davantage sur l'effort intensif que ce pays consacre au renforcement de son potentiel militaire. On ne peut voir dans ce choix un bon signe pour la paix. Ce n'est pas en multipliant les déclarations belliqueuses et les actes d'agression que le Président Alyev favorisera les chances d'un règlement. Ce n'est pas davantage en niant la réalité de la présence immémoriale d'une population arménienne dans la région. Je souhaite vivement que le peuple azerbaïdjanais, et surtout ses dirigeants, aient, un jour, le courage de la vérité sur cette question comme sur les autres. »

La résolution telle qu'adoptée préconise un certain nombre de mesures précises en vue de garantir effectivement les libertés individuelles. Elles constituent également une feuille de route pour le gouvernement local, à la veille des élections présidentielles. Ce texte constitue, néanmoins, le dixième depuis 2002, sans qu'aucun résultat tangible n'apparaisse clairement. S'il convient désormais d'attendre le résultat du scrutin d'octobre prochain et les conclusions de la commission d'observation, il est, de fait, légitime de s'interroger sur la portée des messages adressés régulièrement par le Conseil de l'Europe à l'Azerbaïdjan. Le retrait, par l'Assemblée, de l'ensemble de ses pouvoirs à la délégation russe d'avril 2000 à janvier 2001 souligne que l'adhésion au Conseil de l'Europe ne préserve pas les États membres de sanctions face à des violations flagrantes des droits de l'Homme. Il appartiendra donc à l'Assemblée, en cas d'absence de progrès notable en Azerbaïdjan d'ici à la fin de l'automne prochain, de se pencher sur les mesures à adopter en vue de faire respecter ses préconisations, comme les débats ont pu le souligner.

* (1) Résolutions n os 1272 (2002) , 1305 (2002) , 1358 (2004) , 1359 (2004) , 1398 (2004) , 1456 (2005) , 1457 (2005) et 1545 (2007) .

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