III. LA SCOLARISATION PRÉCOCE : QUELLE PÉDAGOGIE POUR QUELS BÉNÉFICES ?
Le débat autour de la scolarisation des moins de trois ans ne peut se concevoir sans une approche centrée sur l'enfant . Au-delà des enjeux sociaux et financiers, qui ne doivent pas être minorés car ils participent de la mise en oeuvre de la politique familiale française, la réflexion du groupe de travail a été guidée par une analyse des besoins spécifiques de cette tranche d'âge et des attentes que manifeste l'école maternelle vis-à-vis de ces enfants .
La diffusion auprès d'un large public des connaissances sur le développement du jeune enfant, l'investissement massif des familles et de la société en faveur de l'école maternelle ainsi que la réflexion autour de l'échec scolaire ont contribué à poser comme priorité une entrée précoce dans une culture scolaire commune. Dans le même temps, l'école française a été marquée par un phénomène d'allongement de la scolarité qui a permis d'élever le niveau de connaissances des élèves et de favoriser la scolarisation des enfants issus de milieux modestes.
Au cours de ses auditions, le groupe de travail a porté une attention particulière aux enjeux éducatifs d'une scolarisation précoce . Il est essentiel de s'interroger sur l'impact d'une fréquentation scolaire dès deux ans sur le déroulement de la scolarité ultérieure.
A. L'ACCUEIL DES ENFANTS DE DEUX ANS À L'ÉCOLE PRIMAIRE
1. L'école maternelle s'adresse-t-elle aux enfants de deux ans ?
« Permettre à chaque enfant une première scolarisation réussie est l'objectif majeur de l'école maternelle » . Entrer à l'école maternelle pour le jeune enfant, c'est se mettre progressivement en situation de devenir élève . Ce processus lent, difficile et complexe est ainsi imposé à de très jeunes enfants qui ne disposent pas encore de la maturité nécessaire pour mettre en oeuvre le passage de la socialisation à la scolarisation.
Les auditions réalisées par le groupe de travail ont permis de faire converger les différents points de vue de spécialistes des questions éducatives autour d'un postulat que l'on peut résumer ainsi : tous les deux ans ne sont pas scolarisables et toutes les écoles ne sont pas prêtes à les scolariser .
a) Un enfant de deux ans, ce n'est pas un enfant de trois ans !
Qu'est-ce qu'un enfant de deux ans ? L'enfant de cet âge a ses propres rythmes de vie, il apparaît autonome, mais il peut arriver que la « défusion » avec la mère ne soit pas totalement réalisée. Il a un besoin de relations personnalisées avec un adulte dans un cadre sécurisé. Certains spécialistes émettent des doutes sur la prise en compte de ces besoins dans un cadre scolaire. L'école s'introduit alors en rupture d'un équilibre familial et social .
Les structures d'accueil du jeune enfant doivent permettre une prise en compte des besoins affectifs et physiques ainsi que du rythme individuel de chaque enfant. Le rythme scolaire déjà peu adapté pour certains enfants l'est d'autant moins pour les deux ans.
(1) Le respect des besoins physiologiques de l'enfant
L'enfant doit passer du stade de « grand bébé » à celui de « petit écolier » alors que ses besoins physiologiques nécessitent une grande proximité et une forte intervention de l'adulte.
Ses besoins spécifiques concernent différents aspects :
- l'alimentation
Les temps de collation, ainsi que ceux du déjeuner et du goûter avec de jeunes enfants sont essentiels. Les repas à cet âge représentent des temps forts d'échange et de socialisation, et doivent faire l'objet d'une attention particulière afin de respecter l'équilibre alimentaire nécessaire à leur développement ;
- le rythme éveil-sommeil
Les rythmes sont extrêmement variables d'un enfant à l'autre. Le jeune enfant a besoin de dormir à deux moments de la journée : le matin et l'après-midi. Or l'école maternelle peut difficilement répondre à cette exigence. Souvent ce sont les enfants qui sont contraints de s'adapter aux rythmes de l'école maternelle. Le professeur Hubert Montagner souligne le caractère individuel des rythmes des petits enfants. Se pose enfin le problème du temps de présence dans l'enceinte de l'école, qui peut dans quelques cas aller jusqu'à dix heures si on additionne le temps scolaire et périscolaire ;
- la propreté
A cet âge, l'enfant n'a pas le contrôle véritable des sphincters. Il est encore dans une situation fragile sur ce plan. C'est un élément essentiel à prendre en compte. Devenir « propre » ne résulte pas d'un enseignement de l'adulte et encore moins d'un « conditionnement », mais d'une maturation physiologique qui se situe vers deux ans et demi, trois ans. Cette acquisition de la propreté, qu'il est important de ne pas « forcer », ne doit pas se transformer en contrainte psychologique de la part des parents.
(2) Le cadre du développement psychique et moteur
Les aspects du développement psychique et moteur du jeune enfant sont très liés aux conditions de scolarisation, mais aussi à sa maturité, au lien qu'il entretient avec le monde des adultes. Le développement des moins de trois ans ne correspond pas au temps des apprentissages de type scolaire mais à celui des acquisitions sensorielles.
- les besoins affectifs
Le jeune enfant a besoin pour évoluer dans un cadre extra-familial et accepter les contraintes qui y sont afférentes d'un environnement rassurant. Il doit se sentir en confiance et bénéficier d'une relation privilégiée avec un adulte disponible pour prendre en compte ses besoins. L'enfant de moins de trois ans se socialise progressivement en intégrant des règles et en coopérant avec autrui. Il a besoin d'explication pour éviter une incompréhension et provoquer un sentiment d'insécurité. L'intense besoin de sécurité des petits enfants ne peut se faire avec ses pairs. La qualité de ce lien est conditionnée surtout par la sécurité de l'attachement aux parents. La plupart des enfants sécurisés avec leurs parents le sont aussi avec le professionnel référent du lieu d'accueil.
- les besoins d'isolement
L'enfant a besoin d'un espace individuel pour se mettre à l'écart. La capacité d'être seul est dans l'ordre de l'autonomisation de l'enfant. Par ailleurs, entre deux et trois ans, les enfants sont généralement en situation de juxtaposition durant leur phase de jeux. Les séquences de collaboration entre eux sont peu fréquentes et courtes. Des locaux adaptés doivent permettre de satisfaire le besoin d'isolement mais aussi d'échanges et de motricité spatiale ;
- les besoins moteurs et cognitifs
L'enfant est en pleine possession de son corps, qu'il a appris à connaître et à maîtriser. A cet âge, l'enfant a besoin de se déplacer, de se mouvoir, d'expérimenter sur le plan de la motricité. Il est également très curieux mais sa capacité de concentration est très fragile.
Trop souvent, l'entrée à l'école maternelle est déterminée par des aptitudes essentiellement physiques, centrées sur l'acquisition de la propreté, alors que d'autres éléments devraient être mieux pris en compte, comme l'a indiqué Mme Agnès Florin, professeur de psychologie du développement et de l'éducation, lors de son audition par le groupe de travail. Du point de vue de l'enfant, une scolarisation réussie des plus petits enfants répond à plusieurs exigences :
- pas d'imposition sans préparation ;
- respect des besoins physiologiques ;
- relative autonomie dans les gestes quotidiens ;
- aptitude à se faire comprendre de l'adulte dans un cadre verbal ou non ;
- attachement sécurisé aux parents ;
- respect du bien-être de l'enfant.