RAPPORT PUBLIC THÉMATIQUE DE LA COUR DES COMPTES ET DES CHAMBRES RÉGIONALES ET TERRITORIALES DES COMPTES (NOVEMBRE 2007) - LES AIDES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
La présente note présente les principaux éléments du rapport de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes de novembre 2007 relatif aux aides des collectivités territoriales au développement économique.
Ce rapport, basé sur le travail des Chambres régionales des comptes, dresse un bilan critique des différents dispositifs d'aide au développement économique élaborés par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. Il estime que le bilan de ces aides est décevant par rapport aux objectifs affichés et aux moyens financiers mis en oeuvre. Doutant de l'efficacité d'une simple amélioration de ces dispositifs, il appelle enfin à leur refonte radicale mais ne va pas jusqu'à proposer un plan de réforme précis.
Il oriente son analyse autour de trois axes et s'appuie sur de nombreux exemples concrets de dysfonctionnement :
III - UNE ÉVALUATION ET UN SUIVI INSUFFISANTS
IV - UNE ÉTUDE DE CAS : LA RÉGION RHÔNE-ALPES
Quelques conclusions particulières ressortissant du rapport La capacité d'expertise : elle demeure en grande partie dans les mains de l'Etat et de ses services déconcentrés, alors que la région est chargée de définir la stratégie de développement économique. La gouvernance des pôles de compétitivité : l'Etat sollicite les régions pour le financement des projets mais garde la maîtrise sur les décisions de labellisation de projets et de pôles. Les aides vues par les entreprises : alors que les collectivités territoriales voient dans les aides qu'elles accordent une incitation au développement, les entreprises tendent à les considérer comme un simple droit qui ne les contraint pas à prendre des décisions nouvelles d'investissement. Les limites à la mise en cohérence des aides : le rôle coordinateur de la région est limité par la possibilité pour les collectivités inférieures d'accorder directement certaines aides (immobilier d'entreprise) ou de contractualiser directement avec l'État. |
I - UNE COMPLEXITÉ EXCESSIVE
A. Un poids financier non négligeable
La Cour des comptes, reprenant des données du ministère des Finances, évalue les dépenses des collectivités territoriales en faveur de l'action économique à 4% des dépenses de l'ensemble des collectivités :
Type de collectivité |
Dépenses pour l'action économique
|
Part de l'action économique dans le total des dépenses |
Montant des dépenses pour l'action économique
|
Communes |
1 032 |
1,70 % |
24,9 |
Groupements à fiscalité propre |
958 |
5,50 % |
19,8 |
Départements |
1 690 |
3,30 % |
28,1 |
Régions |
2 379 |
12,20 % |
39,5 |
Total |
6 059 |
4,00% |
112,3 |
La région consacre une part beaucoup plus importante de ses dépenses à l'action économique que les autres collectivités. Certaines régions apportent une aide particulièrement élevée : 66,52 € par habitant pour l'Île-de-France et même 330,33 € par habitant pour la Réunion.
Régions et départements fournissent l'essentiel des subventions, qui représentent près du tiers des dépenses totales d'action économique, tandis que les communes et leurs groupements interviennent plutôt sous forme de dépenses d'équipement. Le tourisme est le secteur le plus aidé avec 14,5 % des aides.
B. Des dispositifs éclatés, facteurs de complexité
Les acteurs sont multiples :
- l'État agit par l'intermédiaire d'une multiplicité d'agences et de services déconcentrés mais aussi par des dispositifs d'intervention directe : prime d'aménagement au territoire, aides aux entreprises qui n'ont été que partiellement transmises aux régions par la loi du 13 août 2004 ;
- les collectivités territoriales combinent l'ensemble des moyens législatifs mis à leur disposition, avec une certaine spécialisation : accompagnement du développement des entreprises pour les régions ; immobilier d'entreprise, concours financiers aux entreprises en milieu rural et procédures de développement rural pour les départements ; offre de terrains aménagés et de bâtiments d'accueil, mais aussi animation de réseaux, emploi et tourisme notamment pour les communes et leurs groupements. Les chambres régionales des comptes notent des cas de manque de coordination au sein de certaines structures intercommunales.
- des organismes périphériques nombreux et diversifiés : organismes consulaires, centres régionaux d'innovation et de technologie, réseaux associatifs, structures d'appui et de conseil, pépinières et incubateurs, comités d'expansion économique et agences de développement économique : tous organismes dont l'implication, à l'initiative des collectivités territoriales, accroît la complexité du dispositif institutionnel alors qu'ils n'ont pas toujours la capacité à gérer des projets juridiquement et économiquement complexes.
Les dispositifs d'aide sont également multiformes. Ils se comptent par centaines à l'intérieur de chaque région, ce qui nuit à la lisibilité du système pour les acteurs économiques.
Jusqu'en 2004, le régime des aides directes (primes régionales à l'emploi, primes régionales à la création d'entreprise, bonification d'intérêts ou prêts et avances à des conditions favorisées) était contrôlé par la région, les départements et communes ne pouvant que compléter des aides préalablement instituées par la région. Les aides indirectes , en revanche, pouvaient être accordées par chacune des collectivités.
La loi du 13 août 2004 1 ( * ) a supprimé cette distinction. Le conseil régional décide de l'octroi des aides qui revêtent la forme de prestations de services , de subventions , de bonifications d'intérêt , de prêts et avances remboursables, à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. Les autres collectivités ne peuvent intervenir que sur convention avec la région ou avec la permission de l'État. Les aides à l'immobilier , toutefois, demeurent une compétence de l'ensemble des collectivités territoriales. Les collectivités peuvent également apporter des aides dans le domaine de l'ingénierie financière ou en faveur des jeunes entreprises (ex. gestion des pépinières d'entreprises).
Le rapport dénonce la complexité excessive des dispositifs . Une enquête d'OSEO a montré que les entrepreneurs obtiennent la plupart du temps des aides sans passer par les structures dédiées à cette fonction, sur lesquels ils reçoivent une information insuffisante .
C. Des pratiques peu respectueuses des règles nationales et européennes
La Cour des comptes, citant un rapport du Sénat 2 ( * ) , note le décalage qui sépare le cadre juridique de la réalité et s'inquiète du risque couru sur ce plan par de nombreux régimes d'aide. Elle note de nombreux manquements aux règles nationales , qu'il s'agisse de dépassement de plafonds, d'interventions non autorisées dans des domaines soumis à la prééminence de la région, de confusion de compétences, d'attribution d'avantages non conformes à la réglementation. La Cour note la difficulté à remettre en cause, pour des raisons juridiques, certaines interventions publiques dont la finalité est le maintien de l'emploi.
La réglementation européenne , par sa complexité, pose également des difficultés d'interprétation aux collectivités territoriales, notamment en ce qui concerne l'application de la règle « de minimis » (dispense de notification à la Commission européenne pour les régimes d'aides d'un montant inférieur à un certain montant) et la mise en oeuvre des compensations de service public (manque de précision des règles fixées par la jurisprudence Altmark). Le risque juridique concerne les entreprises, qui peuvent être amenées à restituer les aides reçues en violation des règles communautaires, aussi bien que les collectivités territoriales qui peuvent faire l'objet d'une condamnation.
D. Une coordination insuffisante des dispositifs d'aide
La Cour estime que, malgré la réaffirmation par la loi du 13 août 2004 du rôle de la région en matière économique, le principe d'autonomie des collectivités territoriales, joint à la multiplication des aides et des acteurs, fait obstacle à une bonne coordination des dispositifs d'aide. Ainsi :
- les mécanismes reposent sur de trop nombreux intermédiaires entre le porteur du projet et les services de la région, ce qui explique la longueur des délais.
- malgré certaines tentatives de coordination, le département et la région ne suivent pas toujours les mêmes stratégies ou ne communiquent pas assez , d'autant qu'ils font appel à de nombreux organismes ou associations.
Le rôle central de coordination que la loi du 13 août 2004 a donné à la région ne se concrétise que d'une manière limitée. La région, qui manque de moyens et ne contrôle pas l'ensemble des aides accordées par les différentes collectivités sur son territoire, ne peut assurer un recensement exhaustif de celles-ci.
II - UNE PORTÉE LIMITÉE
Le rapport note que, malgré les ambitions affichées par les politiques d'intervention économique, 2 % seulement des entreprises créées au cours de l'année 2005 ont bénéficié d'une aide .
De plus, ces aides n'ont pas d'effet prouvé sur le développement des territoires . Le rapport constate que les aides ne suffisent pas à éviter certaines défaillances d'entreprise, des baisses de résultats à l'exportation ou une dégradation dans la situation de l'emploi.
Les opérations de soutien aux fonds propres des entreprises paraissent mal maîtrisées par les collectivités territoriales, qui s'engagent sur des projets trop importants au détriment des petites et moyennes entreprises, alors que celles-ci présentent les besoins d'investissement en fonds propres les plus importants.
Les délais de versement, supérieurs à six mois en moyenne, ne sont pas adaptés aux besoins de projets pour lesquels la réactivité aux évolutions du marché est cruciale.
Enfin le rapport souligne la survenance d'effets d'aubaine et de guichet. Trop souvent des entreprises bénéficient d'aides qui ne devraient pas leur revenir. Parfois elles les utilisent comme un simple droit et non comme un outil pour lancer de nouveaux projets.
III - UNE ÉVALUATION ET UN SUIVI INSUFFISANTS
Il n'est pas toujours aisé de déterminer l'effet d'une aide, qui ne constitue qu'un élément parmi d'autres de la réussite ou de l'échec d'une activité économique. Le rapport met tout de même l'accent sur les déficiences du système d'évaluation et de suivi des aides aux entreprises.
A. Des processus d'évaluation hétérogènes et mal adaptés
La pluralité des politiques publiques se reflète dans la multiplication des procédures d'évaluation . Conduites par les services de l'État ou, sur demande des collectivités, par des services extérieurs, elles n'ont souvent qu'une vision partielle des actions menées. Les contrats de plan État-région, notamment, ne semblent pas avoir bénéficié d'une évaluation aussi efficace que celle qu'ils prévoyaient dans leurs dispositions.
L'évaluation, gage de transparence, devait également permettre d'améliorer a posteriori la gouvernance des contrats de plan. Or, une définition insuffisante des objectifs fixés à chaque action économique n'a pas permis de vérifier que l'action publique répondait bien à des besoins réels et d'améliorer en conséquence les interventions. Le rapport donne l'exemple d'aides accordées en fonction du nombre d'emplois créés, sans que le département ou la région qui les accorde soit en mesure de vérifier la réalisation effective de ce critère.
B. Des évaluations insuffisantes et mal prises en compte par les décideurs publics
Le rapport critique l'absence d'évaluations d'impact, la qualité insuffisante des indicateurs retenus dans les comptes rendus annuels ainsi que, dans certaines régions, l'absence d'évaluation a posteriori des interventions économiques dans le cadre des contrats de plan État-région.
Même dans le cas où l'évaluation produit des résultats, ceux-ci sont parfois difficiles à interpréter en raison de ruptures dans les séries statistiques. L'évaluation serait peu prise en compte par les pouvoirs publics, au point que la Cour craint qu'elle ne soit d'abord conçue comme une procédure à suivre pour respecter la réglementation et non comme un outil pour améliorer l'action.
C. Une gestion des aides déficiente et coûteuse
Il ressort des travaux des chambres régionales des comptes que la gestion administrative des dispositifs d'aide se caractérise par :
- des contrôles lacunaires ou trop formels sur le respect par l'entreprise des critères d'obtention des aides ou sur l'utilisation des fonds accordés.
- un recouvrement insuffisant des aides accordées à une entreprise qui, par la suite, ne respecte pas les engagements pris : trop souvent les procédures ne vont pas jusqu'à leur terme. Les aides qui ne respectent pas le droit national ou communautaire, en revanche, font l'objet de procédures de restitution clairement définies.
- des frais de gestion élevés, que la Cour évalue à plus de 25% des aides accordées, voire beaucoup plus dans certains cas. Au total, les dépenses publiques consacrées à l'aide au développement économique des collectivités territoriales s'élèveraient à près de 8 milliards d'euros .
IV - UNE ÉTUDE DE CAS : LA RÉGION RHÔNE-ALPES
La chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a procédé à un contrôle approfondi des interventions publiques en faveur du développement économique, dans une région à l'économie diversifiée qui occupe le deuxième rang français par sa production industrielle et qui a joué un rôle de précurseur dans le développement des pôles de compétitivité.
Après la promulgation de la loi du 13 août 2004, la région a été l'une des premières à élaborer un schéma régional de développement économique (SRDE). Celui-ci a prévu de conclure des conventions relatives aux aides avec les départements, mais pas avec les communes.
Le rapport constate que les moyens concrets de la région dans la coordination de l'action économique sont fortement limités :
- l'État conserve un rôle important par la capacité d'expertise qu'il a conservée, la région étant obligée de faire appel à des organismes extérieurs ; par son action dans les territoires fragiles ; par son rôle décisif dans le lancement des pôles de compétitivité et dans la conclusion des contrats de plan État-région.
- les collectivités de niveau inférieur à la région demeurent, en vertu des dispositions de la loi du 13 août 2004, libres d'accorder des aides relatives à l'immobilier d'entreprise , qui constituent une grande partie des interventions en faveur des entreprises.
La région possède toutefois un effet d'entraînement sur les autres acteurs.
La chambre régionale conclut en estimant que, au-delà des aides traditionnelles, ce sont les interventions en faveur de l'attractivité du territoire et de l'innovation qui jouent le rôle le plus décisif. Ainsi s'est développée une « gouvernance économique » entre acteurs publics et privés dans le Grand Lyon, tandis que Grenoble et le département de l'Isère développaient des projets fédérateurs associant la recherche et l'industrie, à forte valeur technologique.
* 1 Loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
* 2 Rapport n°447 du 28 juin 2000 de M. Michel Mercier, présenté au nom de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales