B. UNE CRISE ÉCONOMIQUE BRUTALE, SANS CRISE FINANCIÈRE

1. La crise des années 1990 a servi de contre-modèle

Le Japon, qui avait dû régler sa propre crise immobilière et bancaire dans les années 1990, a eu le sentiment d'être épargné par la crise des subprimes . En effet, d'après les informations communiquées à votre rapporteur général, les banques japonaises ont été assez peu exposées aux produits toxiques, du fait d'une gestion prudente du risque et d'une régulation étroite des marchés financiers par la Financial Services Agency (FSA).

La réduction des créances douteuses opérées à la suite de la précédente crise a en effet été importante : celles-ci seraient passées de 30 trillions de yens en 1999 à 11 trillions de yens en mars 2008, le ratio de prêts non performants ( non performing loans ) étant, quant à lui, évalué à environ 2,5 % à cette date 10 ( * ) .

Le Japon avait ainsi, au départ, tendance à donner des conseils au sein des instances internationales sur la manière dont il avait réglé sa propre crise durant les années 1990. Il reconnaissait avoir alors manqué de réactivité, n'abaissant le principal taux directeur de la banque centrale qu'au bout de trois ans de crise et prenant des mesures pour renflouer les banques seulement à la fin des années 1990.

Les autorités nippones ont donc invité leurs partenaires à prendre conscience de la rapidité et de l'ampleur des ajustements nécessaires. Le contre-exemple japonais des années 1990 a servi de référence constante lors de l'adoption des plans de sauvetage du système financier aux Etats-Unis et en Europe : la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis n'ont pas attendu pour renflouer leurs propres banques par des mesures de recapitalisation ou de rachat d'actifs toxiques.

La crise japonaise des années 1990 :
une crise déclenchée par un krach boursier et immobilier, entretenue par une longue absence de restructuration du secteur bancaire

Dans le cas du Japon, la crise bancaire a été déclenchée par l'éclatement de la bulle financière du début des années 1990.

De nombreux autres pays se sont alors trouvés confrontés à une situation analogue, sans que la crise soit durable. Le fait que des crises financières aient éclaté au même moment dans de nombreux pays vient du fait que ceux-ci avaient « déréglementé » leur système financier à peu près en même temps, au début des années 1980, et que les taux d'intérêt avaient augmenté au début des années 1990 partout dans le monde.

A l'exception du Japon, au milieu des années 1990, tous les Etats développés qui avaient connu une crise bancaire au début de la même décennie en étaient sortis, après avoir pris les mesures appropriées, c'est-à-dire la « socialisation des pertes » et des restructurations imposées par l'Etat. Les montants mobilisés ont été importants : plus de 10 % du PIB en Finlande, 8 % aux Etats-Unis, 5 % en France et en Suède.

Le fait que la crise financière ait été durable au Japon provient d'un double phénomène.

Tout d'abord, la crise y est née d'un krach boursier et immobilier plus important que dans les autres pays. La bulle boursière et sa correction sont clairement mises en évidence par le graphique ci-après.

Evolution des indices boursiers

(1980=100)

Source : Morgan Stanley Capital International Inc.

Ensuite, contrairement aux autres pays, le Japon a longtemps différé la restructuration du système bancaire, qui n'a été réalisée, sous l'impulsion de l'Etat, qu'à partir de 1998.

Source : commission des finances, « Le Japon et la Corée face à la mondialisation », rapport d'information n° 17 (2006-2007)

2. L'entrée en récession a été brutale

a) Un très fort recul du PIB au quatrième trimestre 2008

Le Japon est toutefois entré en récession au troisième trimestre 2008, avec une brutalité qui a surpris, comme le montre le graphique suivant, qui témoigne également de la croissance très « molle » connue par le Japon depuis le début des années 2000.

Evolution du produit intérieur brut japonais

(en %, rythme trimestriel)

Source : mission économique de Tokyo, mars 2009

Les chiffres du quatrième trimestre 2008, qui viennent d'être révisés par le gouvernement japonais pour s'établir à - 3,6 %, marquent un décrochage très brutal, puisqu'ils font apparaître une contraction du PIB de 13,5 % en rythme annualisé.

Selon les statistiques gouvernementales, cette dégradation s'est accentuée au cours du premier trimestre 2009, le PIB reculant de 14,2% en rythme annualisé.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB japonais reculerait de 6 % sur l'ensemble de l'année 2009 et connaîtrait une croissance de 1,7 % en 2010 11 ( * ) , ces données étant plus favorables que celles du consensus des économistes (respectivement - 6,2 % et + 1,4 %).

b) Un effondrement des exportations

Cette forte dégradation économique s'explique, notamment, par l' effondrement des exportations japonaises , en raison du ralentissement économique des principaux partenaires commerciaux, Chine et Etats-Unis en particulier : en glissement annuel, les exportations ont ainsi chuté de 27 % en novembre 2008, de 35 % en décembre, de 45,7 % en janvier 2009 et de 49,4 % en février, soit la baisse la plus importante depuis 1980. Cette chute des exportations est évaluée à 41 % en glissement annuel au mois de mai 2009.

Outre le secteur automobile, celui des semi-conducteurs est également particulièrement affecté par la crise. Dans le secteur automobile, la production a ainsi été réduite de 41 % entre janvier 2008 et janvier 2009. La production industrielle apparaît en baisse de 9,4 % en février 2009 (en glissement mensuel), et ce pour le cinquième mois consécutif.

Le Japon, qui dispose traditionnellement d'une balance commerciale excédentaire, a connu, d'octobre 2008 à janvier 2009, quatre mois consécutifs de déficit de sa balance commerciale , celui du mois de janvier 2009 (844 milliards de yens, soit environ 7,9 milliards d'euros) étant le plus important depuis 1979. Sur l'ensemble de l'exercice 2008 (avril 2008 à mars 2009), le Japon a enregistré un déficit commercial évalué à 5 milliards d'euros, soit 0,1 % du PIB, ce qui ne lui était pas arrivé depuis 28 ans. Le mois de février 2009 s'est cependant soldé par un retour à un excédent commercial (82,35 milliards de yens, soit environ 633 millions d'euros), contrairement aux attentes des économistes, ce qui s'explique largement par un fort recul des importations ce mois-là (- 43 % en glissement annuel). Le redressement de la balance commerciale s'est confirmé depuis lors, l'excédent commercial s'élevant à 508 milliards de yens (3,8 milliards d'euros) au mois de juin, grâce au déblocage du crédit aux Etats-Unis, aux effets du plan de relance chinois et à la baisse des prix du pétrole 12 ( * ) .

A contrario , on observe une meilleure résistance de la demande intérieure , qui a participé pour 54 % à la formation du PIB japonais en 2008 (- 1 % au deuxième trimestre 2008, - 0,4 % au troisième trimestre et - 0,3 % au dernier trimestre) 13 ( * ) .

La diminution des débouchés dans les pays partenaires du Japon s'est trouvée encore aggravée par la forte et récente remontée du yen.

c) Une économie pénalisée par la forte remontée du yen

Après un déclin du yen par rapport à l'euro depuis 2001, on observe en effet une remontée brutale à partir de la mi-2008. Cette croissance se retrouve aussi, quoique dans une moindre mesure, par rapport au dollar.

Le yen s'est ainsi apprécié de 30 % face à l'euro et de 15 % face au dollar entre la faillite de Lehman Brother , le 15 septembre 2008, et la mi-février 2009.

Le graphique qui suit retrace cette évolution.

Evolution de la parité yen/dollar et yen/euro

Source : mission économique de Tokyo

Cette appréciation du yen résulte notamment du « débouclage » des opérations de carry trade .

Le « carry trade »

La technique du carry trade consiste à profiter des écarts de rendement entre classes d'actifs, en s'endettant dans une devise à faible taux d'intérêt et en plaçant les fonds empruntés dans une autre devise à taux d'intérêt plus fort. Grâce à ce système, les investisseurs tirent parti d'un différentiel de taux d'intérêt.

Une personne qui emprunte du yen à un taux d'intérêt bas va ensuite vendre cette devise et en acheter une autre, par exemple des dollars américains. Ces derniers sont alors utilisés pour l'achat d'actifs américains à haut rendement. Après l'arrivée à maturation de cette obligation, l'investisseur récupère le principal et les intérêts, puis vend les dollars contre du yen, qui sert à rembourser son prêt initial en yen.

Les positions du carry trade étaient évaluées à 80 000 milliards de yens en 2008, soit près de 600 milliards d'euros. Elles étaient détenues à hauteur de 6 % par les ménages japonais, de 45 % par des établissements résidents et de 49 % par des établissements non résidents.

Source : trader - forex ; mission économique de Tokyo

D'après les informations recueillies par votre rapporteur général au cours de ses entretiens, les industriels pressaient ainsi les autorités japonaises d'intervenir pour déprécier le yen. M. Yoichi Miyazawa, vice-ministre de la politique économique et fiscale, a cependant estimé qu'inverser la tendance par des interventions publiques sur le change n'était pas de l'ordre du possible.

Par ailleurs, il convient de noter qu'en dépit de la remontée du yen, qui pénalise ses exportations, le Japon devrait continuer à soutenir le dollar, ses réserves de change étant en quasi totalité constituées de bons du Trésor américains.

L'accélération de la dégradation économique en février 2009 aurait entraîné un début d'inflexion dans ce mouvement, auquel la politique de communication du gouvernement, mettant l'accent sur les faiblesses du pays sans souligner ses atouts, aurait également contribué. La monnaie japonaise se serait ainsi dépréciée de 11,2 % par rapport à l'euro et de 3,2 % par rapport au dollar depuis la mi-février 14 ( * ) jusqu'à la fin mai 2009.

d) Une croissance du chômage, qui frappe en priorité les travailleurs « non réguliers »

Le Japon, qui avait cru échapper à la crise financière, se retrouve donc confronté à une sévère crise économique, qui se traduit par une hausse des faillites et une croissance du chômage.

Le nombre de faillites aurait ainsi augmenté de 21 %, en glissement annuel, au cours du mois de février 2009, et dépasse, pour le neuvième mois consécutif, les 1 000 cas mensuels.

Fin mars 2009, le ministère du Travail estime que 192 000 emplois avaient été ou seraient supprimés entre octobre 2008 et juin 2009, ce chiffre étant constamment revu à la hausse. La Japan Manufacturing Outsourcing Association évoque, de son côté, le chiffre de 400 000 suppressions d'emplois.

Le taux de chômage, qui s'établissait à 4 % en 2008, a fortement progressé pour atteindre 5,2 % en mai 2009. Selon le consensus des économistes 15 ( * ) , il pourrait atteindre 5,1% en 2009 et 5,6% en 2010, ce qui est élevé pour le Japon.

Les employés dits « non réguliers » (CDD, temps partiel, intérim...), qui représentent un tiers de la population active salariée, sont les premiers touchés par cette situation.

Un marché du travail de plus en plus dual

Alors que le marché du travail japonais était traditionnellement fondé sur un modèle « d'emploi à vie », on observe depuis les années 1990 une forte poussée des contrats de travail précaires, dits « non réguliers », allant de pair avec la forte croissance du secteur des services, qui représente désormais près de deux tiers de l'emploi total.

Sont considérés comme contrats « réguliers » les contrats à durée indéterminée à temps plein. Ils couvraient 66,5 % des salariés en 2007.

Les contrats « non réguliers » représentaient, à la même date, 33,5 % de la population active salariée, contre 17,6 % seulement en 1987. Ce type de contrats recouvre les contrats à durée déterminée (5,8 % des salariés), le travail à temps partiel (15,9 % des salariés), les « petits boulots » (« arubaitô », 6,6 % des salariés), l'intérim (2,6 %) et d'autres formes d'emploi minoritaires (2,6 %).

Ces contrats « non réguliers » se caractérisent par une plus grande flexibilité (le préavis de 30 jours requis pour le licenciement d'un salarié ne s'applique pas) et par un coût moindre pour l'employeur . En effet, à travail égal, les employés « non réguliers » perçoivent en moyenne un revenu 30 % inférieur à celui de leurs homologues « réguliers ».

Les PME ont particulièrement recours à cette forme d'emploi, qui touche en priorité les jeunes (46,6 % des 15-24 ans sont couverts par un contrat de ce type), les seniors (67,3 % d'entre eux y ont recours) et les femmes (53,5 % d'entre elles sont embauchées sous contrat « non régulier », contre 18,3 % des hommes).

Source : UbiFrance/Mission économique de Tokyo, « Le marché du travail au Japon », fiche de synthèse, 19 mars 2008 ; Caroline Newhouse-Cohen (BNP Paribas), « Le marché du travail nippon », décembre 2008

Par ailleurs, l'évolution du taux de chômage n'apparaît pas totalement représentative, pour au moins deux raisons:

- d'une part, les chômeurs les moins qualifiés semblent se retirer d'eux-mêmes du marché du travail , considérant qu'ils ont peu d'opportunités de trouver un emploi dans un pays où les jeunes diplômés constituent les recrutements prioritaires des entreprises. Ces retraits spontanés, qui concernent notamment les femmes, permettent de lisser les chiffres du chômage ;

- d'autre part, la flexibilité du système de rémunération des employés « réguliers » limite aussi les suppressions d'emploi , grâce à la baisse des bonus, qui représentent en moyenne 20 % de la rémunération annuelle d'un salarié (contre 27 % en 1990 16 ( * ) ).

Outre le recours aux travailleurs « non réguliers », la baisse des bonus constitue ainsi l'un des principaux leviers, avec la diminution des heures supplémentaires traditionnellement élevées, utilisé par les entreprises japonaises afin de réduire leur masse salariale.

A titre d'exemple, l'enquête du quotidien économique japonais Nikkei évalue la baisse des bonus d'hiver négociés en automne à 3,7% en glissement annuel (- 5,2% dans le secteur manufacturier). La baisse des rémunérations versées aux salariés s'apparente ainsi à un stabilisateur automatique en cas de crise, permettant de limiter le niveau du chômage.

3. Les banques sont confrontées à une baisse de leur ratio de solvabilité

Les banques japonaises, quoique détenant moins d'actifs toxiques que leurs homologues occidentales, ont également été touchées par la crise.

Les six principales banques japonaises 17 ( * ) ont ainsi enregistré une très forte dégradation de leurs résultats au cours du premier semestre 2008 : arrêtés au 30 septembre 2008, ceux-ci connaissaient un recul de 58 % par rapport aux résultats constatés en septembre 2007.

Les dotations nettes aux provisions au titre du risque crédit avaient, à cette date, connu une augmentation de 90 % par rapport à la fin 2007, en raison, notamment, de la progression des faillites d'entreprises.

En outre, la chute du marché des actions a conduit les six principales banques japonaises à comptabiliser des provisions à hauteur de 280 milliards de yens à la fin septembre 2008, afin de faire face aux moins values latentes constatées sur les portefeuilles titres 18 ( * ) .

Ceci a entraîné une baisse du ratio de solvabilité des banques , même si aucun des grands établissements ne présentait de ratio inférieur à 10 % en septembre 2008, pour un minimum réglementaire fixé à 8 %.

Cette situation pénalise les entreprises, en rendant plus difficile l'accès au crédit. Les PME seraient les premières touchées et éprouveraient de plus en plus de difficultés à se financer. De leur côté, les banquiers rencontrés par votre rapporteur général ont indiqué que les grands groupes avaient encore la possibilité de se financer sans faire appel aux banques, en raison de la trésorerie accumulée ces dernières années et du rôle des grands conglomérats. Ils ont toutefois estimé que certains d'entre eux pourraient disparaître, en particulier dans le secteur de l'électronique, du fait de la remontée du yen.

Les banques vont donc devoir trouver des solutions pour pallier ce manque de fonds propres. La plupart des principaux établissements bancaires ont déjà procédé à des recapitalisations par anticipation en 2008. Par ailleurs, le gouvernement a mis en place un mécanisme de garantie de prêt pour lever certaines difficultés (cf. infra ).

Certaines personnes rencontrées par votre rapporteur général ont mis en garde contre les dangers d'une régulation renforcée , qui accentuerait le cycle économique. M. Takafumi Sato, Commissioner de la Financial Services Authority , a ainsi estimé qu'il fallait, en cas de crise, envisager des ratios de solvabilité plus faibles.

* 10 Sandrine Boyadjian, « Les défis du système bancaire japonais », Crédit agricole Perspectives n° 123, décembre 2008. Au 19 juillet 2009, un euro équivaut à 133 yens.

* 11 Consensus forecasts : World economic activity, mars 2009.

* 12 Le Figaro, « Japon : l'excédent commercial multiplié par cinq au mois de juin », 24 juillet 2009.

* 13 Missions économiques de Tokyo et de Séoul, « Lettre économique et financière Japon-Corée » n° 2 (27 février 2009).

* 14 Missions économiques de Tokyo et de Séoul, « Lettre économique et financière Japon-Corée » n° 2, 27 février 2009 et n° 4, 27 mai 2009.

* 15 Consensus forecasts, 13 juillet 2009.

* 16 Caroline Newhouse-Cohen (BNP Paribas), « Le marché du travail nippon », décembre 2008.

* 17 Mitsubishi UFG, Mizuho, Sumimoto Mitsui, Resona, Sumimoto Trust et Mitsui Trust.

* 18 Missions économiques de Tokyo et de Séoul, « Lettre économique et financière Japon-Corée » n° 2, 27 février 2009.

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