II. L'EUROPE SOCIALE EN PANNE ?

A. UNE PARALYSIE CROISSANTE

1. Quelques échecs récents

a) La révision de la directive « temps de travail »

Le cas de la révision de la directive « temps de travail » est sans doute le plus emblématique pour illustrer les difficultés rencontrées actuellement par l'Union européenne dans le domaine social.

L'intervention de l'Union européenne en matière de temps de travail s'inscrit dans le cadre des actions de soutien et d'accompagnement qu'elle mène dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail. Dans ce domaine, les normes adoptées à l'échelon communautaire sont minimales et permettent une législation plus favorable au niveau national. Une directive de 1993 fixe ainsi les principes de base relatifs à la durée maximale de travail, au travail de nuit, aux congés annuels ainsi qu'aux périodes de repos journalier et hebdomadaire. La durée maximale du temps de travail est, de fait, établie à 48 heures hebdomadaires. La période de référence utilisée pour calculer la durée du temps de travail hebdomadaire est fixée à sept jours, ou dans les États qui le souhaitent à quatre mois.

La directive laisse cependant la possibilité à un État membre de déroger à cette règle, répondant ainsi à une demande du Royaume-Uni. Les employeurs intéressés au sein de ce pays doivent néanmoins obtenir l'accord du salarié concerné. Cette dérogation ou clause dite d' opt out , a largement été utilisée par d'autres États que le Royaume-Uni dans des secteurs spécifiques, à l'image de l'Allemagne, de l'Espagne ou de la France dans le secteur de la santé. La durée maximale retenue est alors de soixante-dix huit heures.

Les dispositions de la directive devaient être révisées à l'issue d'une période de dix ans après son entrée en vigueur. Par ailleurs, si le texte définit le temps de travail et le temps de repos, il ne s'attache pas à préciser la notion de temps de garde ou temps d'astreinte. La jurisprudence de la Cour de justice a comblé ce vide en 2000 et en 2003 (arrêts SiMAP-Jaeger et Dellas ) en assimilant les périodes de garde des médecins à du temps de travail, rendant encore plus indispensable la révision de la directive.

Dans la proposition de directive que la Commission a présentée en 2004, elle distingue, au sein du temps de garde, une période inactive correspondant au temps où le travailleur est d'astreinte sans pour autant exercer son activité. Le texte laisse aux États membres le soin de préciser les contours de cette période inactive et de le fixer ainsi dans leurs législations. Concernant la durée même du temps de travail, la Commission propose le maintien de celle-ci à 48 heures hebdomadaires. Elle n'envisage pas, par ailleurs, la suppression progressive de l' opt out en dépit des demandes de certains États membres dont la France. La durée maximale dans le cadre de l' opt out est cependant ramenée à soixante-cinq heures, la Commission réaffirmant la nécessité d'un accord de l'employé. Celui-ci devrait être obtenu sous forme écrite, pour une durée d'un an renouvelable, et ne pas intervenir au moment de la signature du contrat de travail ou durant la période d'essai.

Les négociations au Conseil ont montré que, face aux partisans de la clause d' opt out , au nombre desquels on retrouve le Royaume-Uni et un certain nombre d'États issus de l'élargissement de 2004, ceux qui souhaitaient y mettre fin étaient minoritaires (France, Suède, Belgique, Espagne, Hongrie et Grèce). Le compromis a, en conséquence, maintenu l' opt out .

Le Parlement européen, co-décisionnaire dans ce domaine, estime pour sa part que l' opt out doit être supprimé dans les trois ans. Il considère, par ailleurs, que le temps de garde doit dans son intégralité être considéré comme du temps de travail.

L'échec des réunions de conciliation entre le Parlement et le Conseil organisées depuis le début du printemps devraient, cependant, dans un premier temps figer les positions actuelles, le contexte - élections au Parlement et fin de mandat de la Commission - ne laissant d'autres solutions. La campagne en cours pour les élections européennes ne peut conduire les membres du Parlement européen à préconiser un compromis avec le Conseil et revenir sur leur demande de suppression de l' opt out . En l'absence de nouveau texte, il convient de rappeler que la directive de 1993 continue de s'appliquer et que la Commission peut entreprendre des poursuites à l'encontre des États qui ne respectent pas les arrêts de la Cour de justice sur le temps de garde. A cet égard, la scission de la directive en deux textes, l'un traitant spécifiquement du temps de garde et susceptible de recueillir un accord du parlement et du Conseil, l'autre visant la durée du travail semble avoir été écartée. Une telle proposition aurait eu le mérite de régler les problèmes juridiques posés par les arrêts de la Cour et d'éviter le lancement des procédures d'infraction.

Le maintien de l' opt out n'est pas sans incidence sur la volonté d'une partie des acteurs de l'Union européenne de faire émerger un véritable modèle social européen. Il convient de s'interroger sur la force et la pertinence de ce dernier si les soixante-cinq heures hebdomadaires permises par la dérogation deviennent la norme dans une majorité d'États membres. Dossier révélateur des différences d'appréciation au sein du Conseil et des blocages interinstitutionnels, la directive temps de travail est également emblématique aux yeux de l'opinion publique. Les normes minimales qu'elle préconise sont souvent considérées, faute d'un travail de présentation suffisamment clair, comme des règles qui s'imposeront bientôt à l'ensemble des États membres, supprimant notamment les durées fixées par les législations nationales. Un travail de pédagogie sur le périmètre de l'action communautaire en matière sociale apparaît urgent.

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