OUVERTURE

A. M. MICHEL JARRAUD, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ORGANISATION MÉTÉOROLOGIQUE MONDIALE

M. le député Claude Birraux, Président de l'Office parlementaire, M. le sénateur Jean-Claude Etienne, M. le Sénateur Christian Gaudin, Mme Catherine Bréchignac Présidente de l'ICSU et du CNRS, Mesdames, Messieurs les parlementaires, chers collègues, chers amis. Il y a un peu plus de deux ans, j'ai déjà eu le privilège d'être ici même et de participer à l'ouverture solennelle, au Palais du Luxembourg, de la campagne de l'année polaire internationale sous le thème « Les pôles, témoins pour les hommes ».

Au nom de l'Organisation Météorologique Mondiale, c'est donc un plaisir renouvelé et un honneur de me retrouver avec vous à Paris à l'occasion de la clôture de cette campagne fructueuse. Je tiens en premier lieu à remercier le sénateur Gaudin d'avoir aimablement invité l'OMM à participer à cette séance, et de me permettre ainsi de contribuer à la célébration de cet événement unique. Comme vous le savez, l'OMM a mené cette initiative scientifique globale exceptionnelle, l'année polaire internationale 2007-2008, en partenariat étroit avec le Conseil international pour la science que préside Mme Bréchignac.

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de rappeler que l'Organisation Météorologique Internationale, le prédécesseur de l'OMM, a entrepris les deux premières campagnes internationales consacrées aux régions polaires, qui se sont traduites par des avancées majeures dans les domaines de la météorologie, mais aussi des sciences de l'atmosphère. Le principal objectif scientifique de la première année polaire internationale en 1882-1883 était d'aborder la recherche polaire à une échelle hors de portée des nations prises individuellement.

La France envoya en Terre de Feu l'aviso « La Romanche », commandé par le capitaine de frégate Martial, qui s'établit à la baie Orange. Une trentaine d'hommes hivernèrent pour exécuter un programme scientifique multidisciplinaire, portant sur le magnétisme, l'astronomie et la météorologie. La seconde année polaire internationale fut organisée cinquante ans après dans le même esprit de coopération internationale.

Dans ce contexte, l'Organisation Météorologique Internationale s'attacha au renforcement et à l'expansion des réseaux d'observations météorologiques et magnétiques existants dans les régions polaires. La France y participa également cette fois avec des missions au Groenland et en Arctique. Et lors de cette année polaire, le commandant Charcot, médecin, explorateur polaire, joua un rôle majeur avec son navire le « Pourquoi Pas ».

Après que l'Organisation Météorologique Internationale eut cédé la place à l'Organisation Météorologique Mondiale en 1950, la nouvelle Organisation s'associa au Conseil international pour la science pour lancer l'année géophysique internationale, dans le cadre de laquelle 67 nations unirent leurs efforts de recherche sur les régions polaires. C'est aussi au cours de cette année géophysique internationale qu'eut lieu le premier lancement d'un satellite artificiel « Le Spoutnik » . L'effort principal se concentra cette fois sur l'Antarctique où 12 pays dont la France installèrent des stations. Malheureusement, cette année fut endeuillée par la disparition accidentelle du météorologiste français André Prud'homme en Terre Adélie en 1959.

L'année géophysique internationale a débouché aussi, comme l'a mentionné le député Birraux, sur un succès diplomatique décisif, à savoir le système du Traité de l'Antarctique. Cependant, malgré toutes les activités de recherche menées à bien dans les régions polaires, notre connaissance des changements climatiques et de leurs incidences sur l'environnement et les écosystèmes et les sociétés polaires ainsi que sur le reste de la planète, présentait-elle encore de grosses lacunes à la fin du 20 ème siècle. C'est pourquoi l'ICSU et l'OMM décidèrent de joindre leurs efforts, une fois encore, pour organiser une nouvelle année polaire internationale, avec un accent particulier cette fois sur le lien entre les régions polaires et le changement climatique.

L'entreprise a déjà été un véritable succès, au point d'encourager certains pays à prolonger leurs activités au-delà de la période 2007-2008. On prévoit que la clôture effective, sinon officielle, de la campagne polaire aura lieu lors de la conférence sur l'année polaire internationale organisée à Oslo l'an prochain. De nombreuses voix s'élèvent déjà pour transformer cette année polaire en décennie polaire internationale.

Toutefois de nombreuses avancées de cette année polaire sont déjà évidentes. Et je ne retiendrai aujourd'hui que quelques-unes qui sont en rapport avec les domaines de compétence de l'Organisation Météorologique Mondiale : l'extension, la modernisation, des réseaux d'observations météorologiques en surface, ainsi que l'installation d'un grand nombre de stations météorologiques automatiques et de systèmes d'observations océaniques satellitaires. Mises à disposition d'une gamme étendue de nouvelles données et de nouveaux produits satellitaires. Lancement de nouvelles initiatives concernant l'étude du cycle hydrologique et de la Cryosphère. Émergence - et ce n'est pas le moindre des résultats - d'une nouvelle génération de chercheurs polaires.

A l'échelle du globe, l'OMM a mis à disposition de l'année polaire internationale la collaboration et l'infrastructure scientifique et opérationnelle de ses 188 pays membres, car le temps, le climat, le cycle de l'eau - comme vous le savez tous - ignorent les frontières politiques ou économiques.

La troisième conférence mondiale sur le climat qui se tiendra à Genève cette année, du 31 août au 4 septembre 2009, sera une occasion privilégiée de mettre en lumière la pertinence de la campagne polaire, confirmée par ailleurs par le 4 ème rapport du GIEC que l'OMM a créé avec le programme des Nations Unies pour l'environnement en 1988, et parraine depuis lors. L'urgence de la situation nous pousse en effet à mieux comprendre le rôle des gaz à effet de serre, des aérosols, des nuages polaires, alors qu'une fonte sans précédent des glaces continentales et de la banquise, lors des deux derniers étés arctiques, a un impact critique sur la biodiversité, les échanges, la sécurité internationale et les impératifs d'adaptation des populations arctiques.

Les données recueillies dans le cadre de l'année polaire internationale sont déjà mises à profit dans les modèles numériques de prévision du temps et de simulation du climat. Tandis que notre connaissance de la dynamique des phénomènes météorologiques à fort impact ou propres aux hautes latitudes a progressé de manière significative.

M. le Président, Mesdames, Messieurs, une nouvelle fois, la France a participé à un événement scientifique historique, puisque l'année polaire internationale 2007-2008 a déjà permis des progrès décisifs et elle nous laisse en héritage des moyens d'observation accrus, une nouvelle génération de chercheurs spécialisés, et une mobilisation sans précédent des responsables politiques, et du grand public.

En terminant mon intervention, je souhaite remercier la France, au nom de l'Organisation Météorologique Mondiale, de cette contribution majeure à cette expérience capitale. Je vous remercie.

(Applaudissements)

Dr Christian GAUDIN

Merci beaucoup M. Jarraud. J'invite maintenant Mme Catherine Bréchignac, Présidente du Conseil international pour la science et Présidente du CNRS, à s'exprimer.

B. DR CATHERINE BRECHIGNAC, PRÉSIDENTE DU CONSEIL INTERNATIONAL DE LA SCIENCE, PRÉSIDENTE DU CNRS

Mesdames et Messieurs les élus, chers collègues, bonjour. Le choix de lieux aussi prestigieux que le Sénat et le Collège de France pour célébrer la clôture de l'année polaire internationale, la 4 ème , qui constitue en fait un renouveau de la recherche en milieux polaires, est très symbolique. Et l'approche scientifique de questions sociétales au contact direct des décideurs politiques marquera - j'en suis sûre - les débats de ces deux jours à Paris.

Je souhaite saluer la présence ici des différents acteurs français qui se sont mobilisés à tous les niveaux scientifiques, logistiques, politiques pour que la participation nationale à l'année polaire soit significative, et qu'elle s'intègre à l'effort international, tant au plan de l'avancée de la connaissance que de sa diffusion vers un plus large public.

La présence à cette tribune du Secrétaire général de l'Organisation Météorologique Mondiale, Michel Jarraud, apporte le témoignage de l'action concertée qu'ont menée pendant depuis de nombreux mois l'ICSU - que j'ai l'honneur de présider - et l'OMM pour partager le parrainage de cet événement mondial que fut la 4 ème année polaire internationale.

Je souhaite remercier personnellement Michel Jarraud d'avoir engagé l'OMM dans un soutien sans faille à cette année polaire. Il y a deux ans, comme vous l'avez rappelé, nous avons partagé ici au Sénat l'ouverture solennelle de cet événement. L'ICSU est l'une des plus anciennes organisations non gouvernementales. Elle dispose désormais de plus d'une centaine de membres, 116 pays exactement, pour la plupart représentés par leurs académies des sciences, auxquelles viennent s'ajouter 30 membres que sont les unions scientifiques internationales.

Les programmes scientifiques que nous initions et qui bénéficient de notre label impliquent plusieurs milliers de chercheurs, et sont en prise directe avec les questions sociétales. L'année polaire en est une parfaite illustration. Mais déjà il y a plus de 50 ans, nous avions été complices avec l'OMM pour jeter les bases de l'année géophysique internationale qui s'est déroulée en 1957. Et il faut rappeler que c'est au cours de cette année géophysique qu'une nouvelle génération marquante de chercheurs en zone polaire a émergé ; que de nouveaux groupes de coordination de recherche comme le SCAR sont nés ; et que des centres mondiaux de collecte de données ont été lancés. Données dont le traitement devient aujourd'hui l'objet d'un enjeu mondial.

L'enthousiasme et la créativité de la Communauté scientifique, pour la 4 ème année polaire, ont été débordants, avec plus de mille projets au niveau des manifestations d'intérêt. C'est ici qu'il faut saluer le rôle réalisé par un comité conjoint ICSU-OMM pour canaliser, rationaliser, intégrer ces projets, avant de les labelliser en plus de 200 actions.

En fait, si le succès de l'année polaire a, en tout premier lieu, reposé sur la créativité de la communauté scientifique, les initiatives ont été épaulées par les organisations de chaque pays. La contribution d'autres agences que celles qui traditionnellement accompagnent les programmes polaires a été déterminante. Et en particulier en France, l'apport financier de l'ANR, notre agence de moyens, a permis la réalisation plus rapide de grands projets qui n'auraient pu voir le jour qu'à des échéances beaucoup plus lointaines.

Au niveau français, il est clair que notre pays a été naturellement engagé, dans la tradition de ces figures de proues qu'ont été Dumont d'Urville, Charcot, Paul-Émile Victor et Jean Malaurie dont nous aurons le plaisir d'avoir un témoignage en début d'après-midi. Le projet français d'accroître sa participation à l'Observatoire Arctique en étroite concertation avec les pays riverains de ce bassin est l'une des retombées directes et concrètes de cette dernière année polaire. Mais l'essentiel reste encore à faire en assurant la pérennisation de cet effort sans précédent. Il serait irrationnel de ne pas soutenir cette jeune génération qui a été attirée par les programmes qui ont été lancés, de ne pas conforter les collaborations, qui ont été initiées au cours de ces deux dernières années, et de ne pas tirer de nombreux enseignements que nous ont apportés des récents travaux.

Pour ce qui est du concept d'observatoire en général, je rappellerai que l'ICSU soutient, en co-partenariat avec l'OMM les systèmes globaux d'observations. De plus, nous avons récemment adhéré aux initiatives telles que SAON, « Sustainable Arctic Observatory Network », que l'on traduit en français par Réseaux d'Observatoire Durables. Et j'ai horreur de cette traduction entre sustainable et durable - mais enfin c'est comme cela - de l'Arctique.

Pour ce qui est de la gestion des données, je mentionnerai que l'Assemblée générale de l'ICSU a émis une très forte recommandation pour qu'une attention particulière soit apportée à l'obligation faite aux porteurs de projets polaires de partager et de disséminer les données qu'ils auront recueillies à cette occasion. Sur le long terme, il est nécessaire de repenser la collecte et les gestions des données.

Pour ce qui concerne les nouvelles générations, l'engouement des jeunes chercheurs dans la participation aux actions engagées constitue une immense satisfaction, et procure des garanties de pérennisation des nombreux programmes mis en oeuvre. Il serait irresponsable de ne pas tenir compte de la créativité et de la liberté d'approche de ces nouvelles générations, et de ne pas en retenir les aspects positifs.

En conclusion, je voudrais insister une nouvelle fois sur l'importance du succès et des perspectives très prometteuses des résultats en cours. Cet impact est essentiel pour la communauté intéressée par les zones polaires, à un moment crucial de l'évolution de notre planète. A moyen terme, nous devrions sans doute remodeler la structure de coopération internationale de recherche sur le système terre, et sur la généralisation de la gestion cohérente des données ; non seulement pour la communauté scientifique elle-même, mais aussi pour la fourniture de paramètres universels et incontestables aux décideurs politiques des différents pays. Je vous remercie.

(Applaudissements)

Dr Christian GAUDIN

Merci Madame la Présidente. Nous allons maintenant installer la première table ronde qui a pour thème « l'homme et l'environnement ». Cette table ronde présidée par les Professeurs Philippe Descola et Jean-Claude Etienne, et je vais demander aux trois intervenants qui sont : Mmes Michèle Therrien, Sylvie Beyries et M. Bruno Goffé de rejoindre la tribune.

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