E. DR GÉRARD JUGIE, DIRECTEUR DE L'IPEV
Mesdames et Messieurs, les circonstances me conduisent à me replacer au coeur de mon métier puisque je dois adapter mes propos au laps de temps qui me reste imparti en essayant toutefois de répondre à quelques questions fondamentales, et en séparant nettement notre positionnement par rapport aux deux précédents discours politiques qui ont bien positionné les difficultés devant lesquelles nous nous trouvons sur le sujet arctique. Au niveau purement des organisations scientifiques, je pense qu'il est nécessaire d'aller de l'avant et de définir une stratégie.
J'ai quelques scrupules à vous rappeler quelques grandes notions eu égard aux différentes interventions que nous avons écoutées. En fait, j'enfoncerai le clou en disant que pôle Nord, pôle Sud, sont véritablement deux mondes que tout oppose. Un océan versus un continent ; un espace possessionné, j'ai presque envie de dire un espace passionné, versus un espace international ; et surtout des habitants permanents versus des habitants temporaires. L'Antarctique, comme l'a bien rappelé notre collègue Karl Erb, compte 14 millions de kilomètres carrés. Les hautes latitudes Sud comportent 44 stations scientifiques, dont 3 à l'intérieur du continent avec en particulier les deux stations très modernes dont a parlé Karl Erb, la station américaine du pôle Sud géographique et notre station Concordia sur le plateau antarctique. En ce moment, les températures moyennes y sont de l'ordre de -65° C, elles peuvent y descendent jusqu'à -80°C.
La gouvernance de l'Antarctique est désormais parfaitement établie autour de la notion d'un territoire dédié à la science et à la paix avec pour support le Traité de Washington et l'action spectaculaire qui a été parfaitement commentée par Michel Rocard, le protocole de Madrid sur la protection de l'environnement en 1991. Quant à l'Arctique, c'est un océan d'une surface à peu près équivalente dont le seul point commun avec l'Antarctique est la couleur blanche quand l'eau de mer gèle. Certaines personnes confondent encore la glace des grandes calottes continentales et la glace de mer. L'Arctique est par ailleurs entouré par des pays souverains, sur lesquels je ne reviendrai pas, et dispose d'une forme de gouvernance via le Conseil Arctique.
Cette gouvernance comprend des Etats membres, des participants permanents et j'ai quelque fierté à dire que depuis 2000, j'ai contribué avec l'appui de notre ministère des Affaires étrangères, à y faire adhérer la France en tant qu'observateur. Ce positionnement privilégié, dans le contexte actuel et s'il est entretenu, est extrêmement utile. Il est aussi possible de compléter la vision de la gouvernance de l'Arctique par l'existence d'une organisation équivalente à celle du SCAR à savoir le comité scientifique international de l'Arctique (IASC). A mon avis, il faut que la France participe activement à cette instance pour qu'un certain nombre de grands thèmes scientifiques se développent sous les hautes latitudes septentrionales. Enfin, il parait opportun de mentionner la déclaration récente d'Iqaluit qui permet aussi de recadrer cette gouvernance de l'Arctique.
Pour apporter de l'eau au moulin du positionnement de la France, qui est beaucoup plus faible en Arctique qu'en Antarctique, nous avons dressé l'inventaire des programmes mis en oeuvre par l'Institut polaire. Bien que ne recouvrant pas toute l'activité polaire française, cette liste démontre que le barycentre des activités françaises est situé au Sud par rapport au Nord. Il est harmonieusement partagé entre des programmes portant sur les sciences de l'univers et sur une partie couvrant les sciences du vivant. En Arctique, il apparaît sensiblement la même répartition, mais avec l'apparition d'un soutien certes faible aux sciences de l'homme et de la société. Quand je dis faible, c'est faible en nombre de programmes et par comparaison à l'activité de l'Institut polaire. Le positionnement de la France en Arctique reflète le niveau de nos investissements. Si le critère du nombre de publications est pris en compte, il est noté que la France occupe un rang plus modeste qu'en Antarctique mais tout de même significatif.
Le plus intéressant est de considérer toute la palette des sujets scientifiques sur lesquels oeuvre la France. On détecte bien entendu les sujets traditionnels, comme les géosciences ou les sciences de l'atmosphère, tout en notant une palette d'autres disciplines qui, à mon sens, seront importantes à identifier, pour définir une stratégie politique et scientifique de l'Arctique au niveau national.
En analysant au niveau national l'impact de la recherche en milieu polaire sur le Territoire, il est à noter que ce domaine n'est pas l'apanage d'une communauté parisienne mais est harmonieusement réparti sur l'ensemble de l'hexagone. La carte présentée illustre le nombre de partenariats actuellement en vigueur au niveau national.
Enfin pour mieux cerner l'ensemble des programmes arctiques dans lesquels l'Institut polaire français exerce une activité, il est intéressant de constater une action prépondérante au Spitzberg où est entretenue une base commune avec nos collègues allemands de l'Alfred Wegener Institute. Nous soutenons également un certain nombre d'autres programmes sur le pourtour de l'Arctique, actions qui sont bien entendu menées en étroite collaboration avec les pays où se déroule le travail de terrain. Cette notion de partenariat local est majeure car il serait inconcevable de mener par exemple un travail en Alaska, sans être en lien direct avec la NSF et vérifier la validité et l'intérêt stratégique pour le pays qui nous accueille. Il y a là une question d'éthique mais aussi d'efficacité en termes de coordination internationale. Une des recommandations que je me permettrais de faire et d'essayer d'appliquer au Nord ce qui est relativement bien, pour ne pas dire très bien appliqué en Antarctique, à s'avoir l'esprit de collaboration internationale qui imprègne chaque programme. Ce n'est pas encore le cas pour l'Arctique, mais, à mon avis, c'est un concept, qu'il faut pousser.
Pour revenir au plan national, il existe actuellement une forte implication de l'Institut polaire pour soutenir au Spitzberg des travaux menés par des équipes liées au CNRS. L'aide est en revanche beaucoup plus marginale sur les programmes développés dans le pourtour arctique et la question du recentrage des activités va se poser. Le dilemme consiste à soit engager le maximum de nos forces sur une structure polaire qui nous appartient soit à développer des collaborations avec les pays riverains ? Il est à mon sens impératif de dégager rapidement une stratégie nationale cohérente à ce propos. Dans ce but, il faudra identifier les équipes françaises compétentes et envisager également les autres types de plateformes. En effet, il est nécessaire d'identifier les navires et tout le dispositif spatial.
Une des idées forces qui constitue une retombée pratique de l'année polaire internationale réside dans la valeur ajoutée des équipes françaises sur le secteur qualifié de subpolaire. Je dis bien subpolaire et non subantarctique. Dans les thématiques de l'année polaire internationale, il apparaît que stratégiquement, de nombreuses zones du subarctique vont être étudiées. La France, grâce à son gradient d'implantation entre l'Equateur et le pôle Sud, dispose d'avantages très significatifs. Les travaux qui ont été menés depuis plus de cinquante ans dans les îles subantarctiques, en étroite collaboration avec nos collègues des terres australes et antarctiques françaises, portent leurs fruits. De longues séries de mesures de type « observatoires » sont disponibles et, à ce propos, un des clichés présentés par Karl rappelle qu'il existe de nombreux parallèles à faire sur des zones parfaitement délimitées. Au niveau du CNRS, ces zones seraient qualifiées de « zones ateliers ».
Il est nécessaire de participer aux réseaux des systèmes d'observation et de choisir ceux qui sont les plus pertinents. Dans le cas de l'Arctique et pour paraphraser une citation célèbre, je dirais « qu'observer, c'est prévoir » et donc gouverner. Il faudra construire avec discernement, des opérations bilatérales et impliquer l'ensemble des organismes français compétents.
Je m'arrêterai là en vous remerciant pour votre attention.